Lettre d’une jeune Togolaise à Marion Maréchal Le Pen
Par Farida Bemba-Nabourema – «Dans nos colonies, nous n’avons jamais appliqué l’apartheid. On peut en faire une fierté.» (Marion Maréchal-Le Pen).
Mlle Le Pen, je peux écrire 1 000 tomes d’un livre d’un million de pages chacun pour vous relater la politique nauséabonde de votre chère France dans ses anciennes colonies… Je peux peindre avec le sang des dizaines de millions personnes que la France a bombardées, fusillées, pendues, trempées dans de l’acide, brûlées vives, décapitées, enterrées vivantes, chacun des millions de murs en France, et toujours manquer de place pour y peindre les larmes qu’ont fait couler et continue à faire couler votre France dans ses anciennes colonies…
Mlle Marion Le Pen, je souhaiterais avant tout vous informer que la France ne possède plus de colonies, à moins que vous ne désigniez par là la Corse ; ce dont je doute.
Depuis de nombreuses années que je tombe à chaque fois par hasard sur les déclarations des membres de votre parti, le Front national, et plus précisément de celles de votre famille, à savoir votre grand-père Jean-Marie Le Pen et votre tante Marine Le Pen, je n’ai jamais jugé bon de répondre aux multiples inepties que vos proches ont tendance à pondre. Mais cette fois, suite à votre déclaration incongrue qui sans nul doute affiche votre ignorance béante de ce pays que vous prétendez représenter à l’Assemblée nationale, j’ai décidé de vous répondre, car je n’ose pas croire que vous êtes une imbécile pour vous répondre par mon silence, comme j’en ai pris l’habitude avec votre tante Marine.
Mlle Marion Le Pen, par cette déclaration («Dans nos colonies, nous n’avons jamais appliqué l’apartheid. On peut en faire une fierté.») que vous aviez faite sur BFM TV le 16 décembre dernier lors d’une émission au cours de laquelle vous sembliez rendre hommage à Nelson Mandela, ce monsieur que votre «papy Jean Marie» traitait affectueusement de «terroriste» dans les années 1980, vous ne m’avez point choquée, car je sais que la France dans laquelle vous aviez grandie ne vous a jamais appris dans ses écoles les horreurs qu’elle a commises dans ses anciennes colonies.
Vous êtes de cette génération à qui la France ment et à qui la France cache son linge sale que vous avez pourtant le devoir de laver afin de réduire le degré de haine et de dégoût que ressentent ceux-là que votre pays dont vous êtes si fière a humiliés, déshumanisés, torturés, exploités, opprimés, réprimés et continue de martyriser. Comment pouvez-vous laver le linge sale de votre chère France si, durant toute votre vie, les gens, comme votre grand-père, qui avaient soutenu l’apartheid, ont passé leur temps à vous faire croire que la France n’a fait qu’aider les «autres» à se «civiliser». Oui, la civilisation de la sauvagerie et de l’avilissement !
Mlle Le Pen, à 24 ans, vous êtes la plus jeune députée de France, et étant votre cadette de quelques mois seulement, je peux donc conclure que vous et moi sommes de la même génération et pourrais alors dire qu’à cet âge et avec le poste que vous occupez, vous devriez connaître la vraie histoire de votre pays, la France… si et seulement si vous eûtes fait preuve de moins de paresse intellectuelle en ne vous contentant pas que des histoires que vous raconte «papy Jean-Marie», mais hélas ! Je vais donc vous rendre un très petit service en parcourant avec vous quelques-unes des politiques de la France dans ses anciennes colonies qui étaient pires que l’apartheid en Afrique du Sud.
Avant tout, laissez-moi vous rappeler que vos ancêtres font partie de cette espèce d’êtres humains qui ont jugé noble d’acheter, de vendre, d’opprimer et de massacrer d’autres êtres humains. Le Code noir, qui désigne l’ensemble des textes juridiques codifiant la vie des esclaves noirs dans les anciennes colonies françaises (Indes françaises), est ordonné par le roi Louis XIV en 1685. Dans ce code, l’un des rois les plus adulés des «Français de souche», comme vous Mademoiselle, a tout simplement animalisé les Noirs (pratique que des membres de votre parti tels qu’Anne-Sophie Leclère continuent) et dénigré d’autres peuples pour le simple fait que ceux-ci avaient une couleur de peau ou pratiquaient une religion différente de la vôtre.
L’article 1er du Code noir nous dit :
«Voulons que l’Edit du feu roi de glorieuse mémoire, notre très honoré seigneur et père, du 23 avril 1615, soit exécuté dans nos îles ; se faisant, enjoignons à tous nos officiers de chasser de nos dites îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme aux ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d’en sortir dans trois mois à compter du jour de la publication des présentes, à peine de confiscation de corps et de biens.»
Le code noir, chère Mlle Le Pen, est le fondement même des systèmes de ségrégation raciale et raciste, comme l’apartheid, et l’on peut dire que les Boers d’Afrique du Sud se sont inspirés de la cruauté de vos ancêtres pour établir une version beaucoup plus diluée du Code noir en Afrique du Sud. De la même manière que les Noirs étaient interdits de se regrouper durant l’apartheid, Le code noir stipule dans son article 16 :
«Défendons pareillement aux esclaves appartenant à différents maîtres de s’attrouper le jour où la nuit sous prétexte de noces ou autrement, soit chez l’un de leurs maîtres ou ailleurs, et encore moins dans les grands chemins ou lieux écartés, à peine de punition corporelle qui ne pourra être moindre que du fouet et de la fleur de lys ; et, en cas de fréquentes récidives et autres circonstances aggravantes, pourront être punis de mort.»
En Afrique du Sud, bien que les Noirs fussent extrêmement sous-payés, ceux-ci recevaient quand même une compensation, aussi infime soit elle, pour leur travail, et avaient le droit d’exercer certaines petites activités commerciales.
Mais dans l’article 18 du Code noir, Mlle Le Pen, il est dit ceci : «Défendons aux esclaves de vendre des cannes de sucre pour quelque cause et occasion que ce soit, même avec la permission de leurs maîtres, à peine du fouet contre les esclaves, de 10 livres tournois contre le maître qui l’aura permis et de pareille amende contre l’acheteur.» Car vos ancêtres voulaient absolument éviter que les Noirs ne disposent de ressources financières qui risqueraient de leur permettre d’acheter leur liberté à leurs maîtres, comme c’était le cas dans certaines colonies britanniques et portugaises.
Dans les anciennes colonies françaises, les esclaves ne pouvaient même pas rêver acheter leur propre liberté. Durant la période de l’esclavage, de nombreux historiens révèlent que plus d’un million de Noirs ont été massacrés dans les colonies françaises seules. Vous me répondrez peut-être que la République française et plus précisément la 5e République du héros Charles de Gaulle n’a rien à voir avec cette France esclavagiste. Et bien, c’est vrai ! Votre 5e République française est pire que la France de Louis XIV : elle est la France de la barbarie pure et simple.
Mlle Le Pen, serez-vous toujours fière de votre chère France en apprenant que celle-ci a massacré froidement et sans remords 120 000 Camerounais en trois ans, de 1959 à 1962, pour le simple fait que ceux-ci ont réclamé leur droit le plus inaliénable, qui est celui de l’autodétermination ? Je n’invente pas les chiffres, car c’est le journaliste du Monde, André Blanchet, qui le dit suite à ses enquêtes, alors que les Camerounais, quant à eux, parlent de plus de 200 000 morts.
En Algérie, il fut question de 700 000 morts durant cette guerre coloniale que la France niait jusqu’en 1999 et qu’elle désignait affectueusement par «évènements d’Algérie». Au cours de la guerre d’Algérie, la France de De Gaulle avait créé des camps de concentration qu’elle avait rebaptisés «camp d’internement», dans lesquels elle torturait et abattait sauvagement les Arabes qu’elle y emprisonnait. Des milliers de jeunes filles, pour la plupart des adolescentes, ont été arrachées à leurs parents qui furent exécutés, et réduites en esclaves sexuelles que les soldats français, que votre 5e République a fièrement décorés plus tard, violaient passionnément et collectivement. Certaines des survivantes raconteront plus tard qu’elles étaient violées par au moins 100 soldats en une seule journée. Nombreuses furent celles qui tombèrent enceinte et eurent des «enfants sans père» qu’aujourd’hui vos camarades appellent amicalement «la racaille».
Mlle Le Pen, comparer l’apartheid aux bestialités de la France dans ses anciennes colonies est comme comparer une gifle à une décapitation. Loin de moi l’intention de minimiser les exactions du régime de l’apartheid contre les Noirs d’Afrique du Sud ou encore moins de justifier l’apartheid, mais il est important que je vous apprenne que votre France, dont vous êtes si fière, fut et continue d’être l’une des puissances impérialistes les plus cruelles de l’histoire de l’humanité.
Dans mon pays, le Togo, durant la conquête coloniale, les soldats français ont coupé les deux pouces à l’aide d’une hache aux guerriers de l’ethnie Konkomba qui résistaient à l’occupation française munis de leurs arcs et flèches.
Mlle Le Pen, s’il vous est difficile d’imaginer la douleur que ces milliers d’hommes ont ressentie, je me propose de vous faire cette expérimentation, mais, malheureusement, j’ai peur d’abîmer vos maigres doigts qui n’ont sûrement jamais tenus une houe et un coupe-coupe de leur existence. C’est avec ces outils rudimentaires que des millions d’Africains ont cultivé des centaines de milliers d’hectares de force pour épargner la famine à votre peuple avant, pendant et après les deux guerres mondiales et la crise économique de 1929 qui ont rendu la France plus pauvre et plus féroce qu’elle ne l’était déjà.
Votre pays, la France, a établi après l’abolition de l’esclavage et bien entendu du Code noir un autre code cordialement appelé «Le code de l’indigénat». Ce code, qui fut adopté en juin 1881 et imposé aux peuples des colonies françaises en 1887, «distinguait deux catégories de citoyens : les citoyens français (de souche métropolitaine) et les sujets français (les indigènes)».
Ce complexe de supériorité qui régente votre peuple et que votre parti ne cesse de témoigner à travers ses discours provocateurs vous donne le droit d’appeler les autochtones des pays que vous êtes partis piller des «indigènes». Ce code de l’indigénat réduisait de nouveau les Noirs à l’esclavage, rebaptisé en «travaux forcés». Dans les anciennes colonies françaises, les Noirs devaient travailler de force pour la France sans compensation aucune. Certains avaient le devoir de cultiver le café, le cacao, le coton et autres produits agricoles qui ne peuvent jamais germer sur votre pauvre sol français.
D’autres devraient, quant à eux, construire les chemins de fer et les wharfs qui devraient permettre à la France d’exporter les produits qu’elle volait aux colonies, et d’autres, enfin, devraient servir les administrateurs de colonies comme hommes de chambres, cuisiniers, vaguemestres, coursiers, etc. La punition était les coups de fouet, l’amputation ou la mort pour ceux qui voulaient résister à la bestialité française. Entre 1908 et 1909, plus de 1 500 «infractions» au Code de l’indigénat ont été réprimées au Congo-Brazzaville seul et «en 1928, Albert Londres, journaliste au Petit Parisien», découvre que la construction des voies ferrées ou les exploitations forestières provoquent un nombre effroyable de morts parmi les travailleurs africains du Sénégal au Congo, et dans son article, il écrira ceci : «Ce sont les nègres des nègres. Les maîtres n’ont plus le droit de les vendre. Ils les échangent. Surtout ils leur font faire des fils. L’esclave ne s’achète plus, il se reproduit. C’est la couveuse à domicile.»
La répression dans les colonies françaises était si aigüe que des millions de personnes ont fui leurs villages pour s’installer dans les colonies britanniques. Robert Delavignette, haut fonctionnaire, directeur de l’Ecole de la France d’outre-mer et spécialiste des questions coloniales, a rapporté la migration de plus de 100 000 Mossis de la Haute-Volta (actuelle Burkina Faso) à la Gold Coast britannique (actuel Ghana). Le journaliste Albert Londres, quant à lui, révéla aussi que plus de 600 000 personnes ont fui les colonies françaises d’Afrique de l’Ouest vers la Gold Coast et plus de 2 millions ont fui les colonies d’Afrique centrale et une partie de l’Ouest vers le Nigeria qui était aussi une colonie britannique. La barbarie inouïe des colonisateurs français était insupportable aux «indigènes» qui ont préféré la domination britannique à la domination française. Ne dit-on d’ailleurs pas «qu’entre deux maux il faut choisir le moindre» ?
Cependant, notez bien, Mademoiselle, que la cruauté de cette France dont vous êtes si fière ne s’est pas arrêtée là. Afin de combler le vide dans ses colonies que les populations désertaient du fait de sa répression intense, la France «exportait» de force, comme des troupeaux, les Africains d’un pays à un autre pour les faire travailler dans ses plantations. Des milliers de personnes ont été parachutées de la Cote d’Ivoire à la Centrafrique, du Sénégal au Congo et j’en passe.
Et quand ces dernières se sont décidées à obtenir leur liberté de la France et à mettre fin à leur exploitation, domination, oppression et répression, la France les a massacrées, comme au Cameroun, en Algérie ou encore au Madagascar où plus de 100 000 Malgaches ont été massacrés par les soldats français suite à leur soulèvement en 1947.
Mlle Le Pen, je peux écrire 1 000 tomes d’un livre d’un million de pages chacun pour vous relater la politique nauséabonde de votre chère France dans ses anciennes colonies. Je peux également passer des années à réciter les exactions commises par votre adorable France dans ses anciennes colonies qui surpassent de très loin ce que les Noirs d’Afrique du Sud ont connu avec les Boers. Je peux peindre avec le sang des dizaines de millions personnes que la France a bombardées, fusillées, pendues, trempées dans de l’acide, brûlées vives, décapitées, enterrées vivantes, chacun des millions de murs en France, et toujours manquer de place pour y peindre les larmes qu’ont fait couler et continue à faire couler votre France dans ses anciennes colonies.
Et pour finir, notez pour votre gouverne que les Mandela de ces anciennes colonies, à savoir Toussaint Louverture, Sylvanus Olympio, Ruben Um Nyobé, Barthélémy Boganda, Félix Moumié, Outel Bono, Modibo Kéita, Marien N’Gouabi, Ali Soilih, Mahamoud Harbi Farah, Germain Mba, Aline Sitoé Diatta, Thomas Sankara pour ne citer que ceux-là, ont été exécutés par cette France dont vous êtes si fière.
Ne venez surtout pas, Mademoiselle, remuer le couteau dans notre plaie qui refuse de guérir parce que des ignares se permettent à chaque fois de débiter des sordidités, comme vous le faites.
F. B.-N. (Togo)
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