Quand The Independent rend hommage à l’Emir Abdelkader pour sa tolérance
The Independent, sous la plume de Robert Fisk, un journaliste britannique, appelle à prendre exemple sur l’Emir Abdelkader. C’est un hommage aussi mérité qu’inattendu, ainsi, rendu au fondateur de l’Etat algérien et résistant anticolonial éclairé, que nous découvrons, en effet, dans un article paru dans le journal The Independent à la suite de l’attentat de Manchester.
Dès l’entame de son article, Robert Fisk évoque la grandeur de l’Emir : «Nous devons regarder le passé, pas Isis (Daech), pour la vraie signification de l’islam. L’Emir Abdelkader était un musulman, un soufi, un cheikh, un humaniste, protecteur de son peuple contre la barbarie occidentale, protecteur des chrétiens contre la barbarie musulmane.»
Ce qu’écrit le journaliste britannique est très courageux. Il rappelle les crimes commis par les pays occidentaux, en particulier par l’armée américaine – «rappelez-vous ces 28 civils, y compris les enfants, tués par les marines américains», fait-il constater –, et souligne, en la condamnant tout autant, que la terreur pratiquée «en contrepartie» n’est pas la riposte appropriée. Robert Fisk s’adresse aux siens pour leur dire que «tant que nous bombarderons le Moyen-Orient au lieu de chercher la justice là-bas, nous aussi serons attaqués». Il dénonce l’appel obstiné à la terreur lancé par Trump. Pour le journaliste britannique, le recours à la «terreur» permet à Daech de gagner, mais, dit-il, «croyez en la justice et Daech sera vaincu».
Son argumentaire pour convaincre les pays occidentaux de cesser de recourir à la violence contre les pays musulmans, il le fonde justement sur l’exemple de l’Emir Abdelkader. En quelques mots, il en fait un portrait saisissant : «Il aimait l’éducation, il admirait les philosophes grecs, il interdit à ses combattants de détruire les livres, il adorait une religion qui croyait – pensait-il – dans les droits de l’homme.» Un homme que les musulmans devraient imiter et les Occidentaux admirer, suggère-t-il.
L’Emir Abdelkader, fait remarquer Robert Fisk, n’était ni «modéré» – puisqu’il a combattu contre l’occupation française – ni «extrémiste» – comme le prouve son discours tenu au cours de son emprisonnement au château d’Amboise, en France, sur la fraternité entre chrétiens et musulmans. Il insiste sur l’esprit d’ouverture et de tolérance qui animait l’Emir Abdelkader en citant en exemple la présence de conseillers chrétiens et juifs dans son entourage quand il était à la tête de l’Etat algérien. L’humanisme de l’Emir est également mis en valeur par le journaliste britannique, qui rappelle comment il se comportait avec les prisonniers français en comparaison du sort que réservait l’armée d’occupation aux Algériens qui tombaient entre ses mains.
Mais c’est surtout ce qu’a fait l’Emir Abdelkader à Damas en 1860, où il vivait en exil, que l’histoire a retenu et c’est ce dont devraient s’inspirer ceux qui se combattent à coups d’atrocités inhumaines d’un côté comme de l’autre, Daech et les pays occidentaux. Il est bon de lire ce qu’écrit Robert Fisk à ce propos : «La guerre civile entre les chrétiens et les druzes au Liban s’est propagée à Damas où la population chrétienne s’est trouvée entourée par les musulmans qui sont arrivés armés d’épées et de couteaux pour abattre leurs adversaires. Abdelkader a envoyé ses gardes musulmans algériens – sa milice personnelle – pour traverser la foule et escorter plus de 10 000 chrétiens dans son domaine. Et quand la foule armée de couteaux est arrivée devant sa porte, il l’a saluée avec un discours qui est encore rapporté au Moyen-Orient (tout en étant totalement ignoré ces jours-ci en Occident). «Tu es une créature pitoyable !», cria-t-il. «Est-ce la manière dont vous honorez le Prophète ? Dieu vous punit ! Honte à vous, dommage ! Le jour viendra où vous payerez… Je ne remettrai pas un seul chrétien. Ils sont mes frères.» L’Emir Abdelkader avait accompagné ce discours de menaces, au cas où les assaillants ne partiraient pas.
The Independent n’est pas le premier média d’un pays occidental à se référer à l’action de l’Emir Abdelkader en faveur de la coexistence pacifique entre musulmans et chrétiens, particulièrement durant son exil damascène. On dit que la protection qu’il assura courageusement à des centaines de chrétiens à Damas en 1860 lui a valu plusieurs distinctions, comme l’ordre de Saint Pie X, l’insigne de Grand Croix de la Légion d’honneur ou l’ordre de l’Aigle Blanc décerné par le tsar russe. En novembre 2013, le site «Egalité et réconciliation» concluait un article sur l’Emir Abdelkader par un passage en parfaite convergence avec l’hommage que lui a rendu The Independent : «Aujourd’hui mal connues du grand public ou récupérées, de telles figures peuvent pourtant illustrer de manière singulière une grille de lecture alternative diamétralement opposée au ‘‘conflit de civilisation’’ promu par tant de médias contemporains.»
Houari Achouri
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