Une contribution de Youcef Benzatat – Macron à Gao : en finir avec la Françafrique
Qu’est-ce qui a bien pu amener Macron à se précipiter ce vendredi 19 mai 2017 au Mali pour sa première visite à une zone de conflit où les troupes françaises sont engagées à peine quelques jours après son élection ? La question mérite d’être examinée au plus près, surtout après sa déclaration faite à Gao, où est stationné l’état-major de la force militaire française «Barkhane». Une force qui est censée couvrir les cinq pays du G5 Sahel, une organisation régionale de coopération en matière de développement et de sécurité, composée de la Mauritanie, du Mali, du Niger, du Burkina Faso et du Tchad, créé en 2014 en même temps que l’opération Barkhane et qui a mis en œuvre une force militaire commune en 2015 pour lutter contre les groupes terroristes au nord du Mali. Macron aurait déclaré à cette occasion, lors d’une conférence de presse, qu’il participerait dans les prochaines semaines à une réunion du G5 Sahel où la France compte renforcer son engagement à ce titre en liens très forts avec cette organisation. Il aurait également précisé, à cette occasion, qu’il avait téléphoné à Bouteflika pour l’informer de sa détermination à agir sur la situation sécuritaire au Sahel !
Mais le plus énigmatique dans sa déclaration fut sa remise en question d’une rumeur malveillante contre l’Algérie, qui affirme que le chef du mouvement djihadiste Ansar Eddine, Iyad Ag-Ghali, bénéficierait du soutien des Algériens, en précisant que rien ne permettait de confirmer ce soutien de la part des Algériens, pour ensuite dépêcher le Quai d’Orsay de lever toute ambiguïté. Une déclaration qui déclencha sitôt une polémique des deux côtés de la Méditerranée et qui fut reprise par l’éditeur François Gèze, qui a pignon sur rue en France (La Découverte), dans un article au vitriol paru sur son blog à Médiapart, le 22 mai 2017, et intitulé : «Macron à Gao : en finir (vraiment) avec le “double jeu” algérien au Sahel ?» Un article dans lequel il remet au goût du jour l’idée de la manipulation des GIA (Groupes islamiques armés) par le régime algérien durant la guerre civile les années 1990.
La «vulgaire diversion»
Qu’il y ait eu des manipulations des GIA par les services algériens, qu’eux-mêmes avaient d’ailleurs reconnu, il faut reconnaître que celles-ci ont permis l’éradication du terrorisme massif qui a meurtri le peuple algérien près d’une décennie et menacé l’effondrement de l’Etat algérien, pendant que les terroristes revendiquaient leurs crimes abjects à partir des capitales occidentales.
Par ailleurs, on ne peut nier l’engagement de l’Algérie dans la lutte contre les groupes terroristes dans le nord du Mali depuis que Kadhafi a été éliminé et que la Libye a été abandonnée aux mains de toutes sortes de groupes armés qui ont essaimé vers tous les pays voisins et particulièrement au nord du Mali. Ce sont d’ailleurs les autorités maliennes elles-mêmes qui le reconnaissent. Même les opérations Serval et Barkhane ont bénéficié du soutien logistique de l’Algérie et continuent d’en bénéficier à ce jour. Car il en va de la sécurité des frontières sud-algériennes aussi. Quant à Iyad Ag-Ghali, le pouvoir algérien l’avait, certes, approché en 2013 pour l’associer avec son groupe Ansar Eddine à la solution au conflit mais, voyant que celui-ci avait refusé de se désolidariser des autres groupes djihadistes, Aqmi et le Mujao, il a été définitivement écarté dès ce moment.
A partir du moment, donc, que les pouvoirs français et malien reconnaissent que sans l’engagement de l’Algérie dans ce conflit le territoire malien aurait éclaté en plusieurs morceaux dès 2013, l’agitation du «double jeu» présumé de l’Algérie à travers le spectre de ce terroriste à cette occasion, apparaît, ni plus, ni moins, comme une vulgaire diversion ! La question est de savoir : quel est l’objet que l’on voudrait masquer à travers cette diversion ? Ce qui nous ramène à la question posée, à savoir le mobile de cette précipitation de Macron à venir à Gao en adoptant une posture paternaliste et autoritaire à l’adresse des pays du G5 Sahel. Notamment dans sa déclaration à vouloir participer dans les prochaines semaines à une réunion du G5 Sahel où la France compte renforcer son engagement à ce titre «en liens très forts» avec cette organisation.
Bien que, traditionnellement, chaque nouvelle équipe à s’installer à l’Elysée doive opérer, sans tarder, une prise en main de la chasse gardée de ce qui est convenu d’appeler La «Françafrique», la précipitation avec laquelle Macron avait agi laisse croire que le torchon devrait certainement brûler quelque part !
Mainmise française
En effet, si à la tête du poumon de cette Françafrique, qu’est la Côte d’Ivoire, un pays qui regorge de richesses (cacao, café, bananes, huile de palme, pétrole, gaz, uranium, diamants, manganèse, métaux rares, ses chantiers, ses réseaux de communications, ses ports…), soit 40% du produit intérieur brut de l’Afrique de l’Ouest, Félix Houphouët-Boigny incarnait la décolonisation de façade à la perfection dès l’indépendance présumée de ce pays, le «trublion» Laurent Gbagbo est venu tout renverser en octobre 2000, avec une prise de pouvoir légale au suffrage universel. A la tête du Front patriotique ivoirien, l’opposant historique Laurent Gbagbo part à la conquête de son pays, en voulant casser le consensus confortable dans lequel les «jolies colonies de la France» continuaient à couler des jours heureux, longtemps après la supposée décolonisation du continent africain.
Jacques Chirac, puis Nicolas Sarkozy ne l’avaient jamais accepté, et n’ont accordé aucun répit a ce patriote démocrate qu’était Laurent Gbagbo pour avoir voulu changer les règles pour son pays, en voulant le doter d’une véritable indépendance. C’était sans compter avec la cupidité et le cynisme des grandes entreprises françaises (Areva, Castel, Total, Bouygues, Bolloré, Orange, Véolia…) dont les intérêts se confondent avec ceux de l’Etat français. Ces entreprises s’y sont développées sans concurrence, en monopolisant les secteurs clefs. Une position de privilégié et un avantage acquis pendant la colonisation et pérennisé par le système de la Françafrique. Pour le pouvoir français de l’époque, il n’était pas question d’abandonner les richesses de ce pays, en cédant aux caprices d’un Laurent Gbagbo jaloux pour le développement de son pays et la dignité de son peuple. Lui céder, c’était ouvrir la voie à tous les pays de l’Afrique de l’Ouest à l’imiter. Perdre le contrôle de ce pays, c’est tout le système français en Afrique qui s’effondrerait. Ce sont toutes les entreprises françaises qui siphonnent cette région, où sévit cette Françafri que et dont les pays du G5 Sahel constituent son flanc nord, qui se verraient débarquées de leur posture néocoloniale.
La suite de cette affaire tout le monde la connaît, ou presque ! On la connaît surtout à travers la version des médias de la métropole néocoloniale. Gbagbo fut diabolisé et réduit à un criminel contre l’humanité ! Débarqué manu militari par les chars de Sarkozy et conduit au TPI où il croupit à ce jour. Après lui avoir fomenté un coup d’Etat en 2002 qui a échoué par sa ténacité, on lui monta à la mesure de son défi une rébellion à partir du Burkina Faso, qui s’est soldée par la partition provisoire du pays, où celle-ci s’est accaparée de près de 60% du territoire national pour finir par prendre le pouvoir sur les chars de la Françafrique. Alassane Ouattara, ami de longue date de Sarkozy, ancien Premier ministre d’Houphouët Boigny, haut fonctionnaire au FMI, bien introduit dans les réseaux de la finance et des affaires, devient le nouveau président de la Cote d’Ivoire et le mercenaire, chef des rebelles, Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale.
Depuis, et le long du mandat de François Hollande, tout baignait pour les entreprises françaises, pour l’Etat français et pour la Françafrique. Alassane Ouattara et son fils sont devenus milliardaires et le peuple ivoirien est retombé dans la dépression de l’époque d’Houphouët Boigny en mordant la poussière. Les rebelles ont intégré l’armée régulière et leur chef, Guillaume Soro, en tant que président de l’Assemblée nationale, ce qui lui octroie le deuxième rang du pouvoir après le président, se voit pousser des ailes et aiguisé son appétit du pouvoir. Surtout qu’Ouattara avait annoncé qu’il ne se présenterait pas pour un troisième mandat en 2020.
Un ton autoritaire menaçant
Mais voilà que ce dernier ne semble pas faire l’affaire aux yeux de la Françafrique pour être un interlocuteur viable. En effet, la gesticulation de la succession d’Ouattara avait déjà commencé dès la fin de 2016 par la réforme constitutionnelle, adoptée à cette date, qui modifie la hiérarchie du pouvoir, en créant un poste de vice-président qui relègue Guillaume Soro au troisième rang en tant que président de l’Assemblée nationale. Depuis cette annonce, le torchon ne cesse de brûler dans le cœur de la Françafrique avec la menace d’une déstabilisation du régime allant jusqu’à l’éventualité d’une nouvelle guerre civile, ce qui affole tous les siphonneurs de ce pays et à leur tête l’Etat français.
En effet, on observe depuis janvier 2017 une agitation sans précédent dans les rangs des ex-membres de la rébellion qui ont rejoint l’armée régulière et qui sont restés fidèles à Soro.
Des mutineries au sein de l’armée ont été déclenchées au même moment où Guillaume Soro perd sa position de deuxième personnage de l’Etat ivoirien, synonyme de son exclusion d’une éventuelle succession au président sortant. Cette agitation ne semble pas se confiner chez les militaires, beaucoup d’autres secteurs, dont les fonctionnaires, se sont solidarisés avec eux. Des grèves sont annoncées un peu partout, réclamant tout et rien à la fois. Un climat délétère qui ressemble à une veille insurrectionnelle. D’ailleurs, des armes de guerre en grande quantité ont été découvertes dans les domiciles d’anciens rebelles restés fidèles à Soro.
Quoi de plus explicite devant cette situation pour interpréter la précipitation de Macron à vouloir se réunir avec le G5 Sahel «en liens très forts» sur un ton autoritaire et menaçant, surtout que les pays membres de cette organisation constituent un espace de repli idéal pour une éventuelle nouvelle rébellion de Guillaume Soro si on venait de le priver d’accéder à la présidence. Surtout que Soro avait déjà installé auparavant le quartier général de sa rébellion au Burkina Faso, pays membre du G5 Sahel, pour harceler avec ses troupes le président malheureux Laurent Gbagbo.
Changer le cours de l’histoire
L’on comprend également, à travers l’incohérence de la polémique autour d’un présumé double jeu de l’Algérie avec le terroriste Iyad Ag-Ghali qu’il s’agissait d’une diversion désespérée orchestrée par les conseillers des oligarques de l’ombre qui agitent l’épouvantail Macron dans la région.
N’est-il pas temps, comme l’a souligné François Mitterrand dans son discours de la Baule, le 20 juin 1990 : «Le vent de liberté qui a soufflé à l’Est devra inévitablement souffler un jour en direction du Sud», car : «Il n’y a pas de développement sans démocratie, et il n’y a pas de démocratie sans développement.» N’est-il pas temps pour la France de tourner définitivement la page coloniale en Afrique et cesser de jouer son «double jeu» à travers la Françafrique pour laisser les peuples africains, y compris les maghrébins, prendre leur destin en main ! N’est-ce pas une occasion pour le promoteur d’En Marche ! de changer le cours de l’histoire qui le grandira au retour, en rendant sa dignité à Laurent Gbagbo, qui s’est sacrifié pour la justice au profit de son peuple au lieu de préparer une nouvelle croisade meurtrière et destructrice contre lui !
Youcef Benzatat
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