Une contribution du Dr Arab Kennouche – Un gouvernement sans ministre de l’Economie
Inédit. Le premier gouvernement Tebboune fait date dans l’histoire de l’Algérie indépendante car privant d’un ministre de l’Economie et d’un ministère à part entière dans un pays en crise à tous les niveaux de pouvoir.
En effet, quelle lecture donner à ce premier gouvernement de l’ancien ministre de l’Habitat qui, dit-on, aurait suivi une exigence technocratique pour traiter les grands dossiers en cours, mais qui semble échapper à une direction économique centralisée qu’un ministère de l’Economie en bonne et due forme aurait pu chapeauter ? Il saute en effet à l’esprit que l’organisation de la future politique gouvernementale se soit privée d’un ministère vital pour le pays, surtout en cette période de restrictions budgétaires et de dynamisation forcée de la production nationale.
Abdelmadjid Tebboune a bien nommé un ministre des Finances, un ministre du Commerce et un ministre de l’Industrie – sans compter de nombreux autres petits ministères concernant des secteurs d’activité où l’Algérie est à la traîne depuis de très nombreuses années comme l’Agriculture, la Pêche, l’Economie numérique et les Energies renouvelables – mais sans direction économique centralisée qui faciliterait le besoin d’intégration de ces activités en retard de développement.
Une Algérie en régime minimaliste
Comment alors se faire à l’idée que la future Algérie soit gouvernée sans économistes de taille, surtout que le pays doit désormais sortir définitivement de sa dépendance des hydrocarbures ? Plusieurs réponses à cette question stratégique. Soit que l’Algérie de Bouteflika ait choisi de se passer d’une politique économique n’ayant plus les moyens d’engager les derniers deniers de l’Etat dans de grands investissements keynésiens porteurs de développement, soit encore que cette prérogative soit complètement dévolue au Premier ministre lui-même, ce qui en ferait le directeur officieux de la politique économique, ou bien, enfin, que le Président ait choisi de discuter dans un cabinet restreint des grandes orientations économiques du pays en dehors des prérogatives du Premier ministre et encore moins d’un ministre de l’Economie.
Dire que l’Algérie souffre de ne plus pouvoir choisir ses propres options économiques apparaît comme une évidence, au moment où les cours du brent oscillent entre les 50 et 60 dollars. C’est peut-être devant l’éventualité d’une faillite de l’Etat et d’un recours à l’endettement extérieur que le Premier Ministre, en accord avec la présidence de la République, ait choisi de se mettre à la diète au point de ne plus recourir à un ministère régalien dont les attributions budgétivores n’auraient servi à rien au niveau du développement concret des projets en cours, des infrastructures inachevées (autoroutes Est-Ouest, Hauts-Plateaux…), ou définitivement abandonnés (CHU et hôpitaux de standard international). C’est ce qu’on a vite fait de désigner comme une politique gouvernementale orientée par des technocrates, mais sans ministre de l’Economie.
Dans ce cas de figure, on considère l’absence de ce ministère comme non fatale, car il s’agit tout simplement de terminer les derniers chantiers en cours sans vision stratégique à plus ou moyen long termes. Celle-ci reviendra comme une nécessité absolue lorsque les cours du pétrole auront connu de nouvelles envolées.
Que la politique économique du pays ait été diluée dans les prérogatives du Premier ministre ou bien dans celle de la Présidence elle-même passerait encore, mais qu’elle ait été passée à la trappe revêtirait d’un amateurisme périlleux que seule une lecture politique pourrait expliquer. Mais force est de constater que, finalement, l’Algérie de Bouteflika n’a jamais eu de véritable vision économique pour le pays, si bien qu’aujourd’hui, nous nous retrouvons sans ministère de l’Economie.
Une lecture plus politique de l’économique
On ne peut évoquer le gouvernement Tebboune sans faire référence à des attributions politiques des postes ministériels en désaccord avec la donne économique actuelle, hautement volatile si elle n’est pas traitée adéquatement. On ne comprend pas une architecture qui scinde en trois ministères (Formation professionnelle, Recherche et Enseignement supérieur et Education nationale) des attributions propres à l’Education nationale dans le contexte qui prévaut de restriction budgétaire.
Vu les faibles résultats obtenus en matière de recherche et développement et l’hémorragie encore non stoppée de la fuite des cerveaux, le nouveau Premier ministre aurait dû promouvoir une nouvelle organisation rationalisée et destinée à faciliter le rapatriement de la matière grise. On pourrait facilement confondre les attributions du ministère de la Solidarité nationale et de la Condition féminine dévolu à Mme Ghania Eddalia avec celui de l’Emploi et de la Sécurité sociale de Mourad Zemali. Deux ministères qui font double emploi et dont la pertinence demeure sujette à caution en ces temps de vaches maigres.
La grande inconnue reste l’économie, qui semble avoir fait l’objet d’une tripartition maladroite entre commerce, finances et industrie. Quoi qu’il en soit, se posera désormais la question de la convergence des objectifs de ces trois ministères et de l’efficience de leur politique aux niveaux national et international. A moins que la feuille de route d’une politique économique nouvelle soit élaborée dans le sein même des cercles présidentiels.
Il paraît évident que nombre de ces ministères seront encore dépourvus des moyens nécessaires à leur fonctionnement à plein régime. Surtout, Tebboune concentre l’essentiel de ces attributions au gouvernement de l’Algérie, ayant créé une série de coquilles vides qui sonneront encore faux au moment de la clôture des comptes de la Nation.
Il est encore difficile de dire si c’est le principe de la régionalisation excessive qui sert de grille de lecture à ces répartitions ministérielles. Le président de la République n’a en effet pas démontré, jusqu’à présent, sa volonté de mettre fin à des sensibilités régionales pernicieuses et peu profitables à la Nation dans l’attribution des grands postes de responsabilité en continuant de nommer des personnes de sa famille politique dans les grands secteurs de l’économie, et ceci au détriment d’une raison d’Etat impérieuse. Les législatives du 4 mai dernier plaident pour cette thèse.
On aurait dû penser à l’émergence d’un grand ministère de la Production nationale qui définisse des objectifs clairs de formation professionnelle de haut niveau, en partenariat avec les grands secteurs industriels appelés à se développer en Algérie, dans une stratégie de sortie de crise née de la baisse de la rente pétrolière. Un tel ministère aurait pu fournir le cadre d’une réflexion approfondie entre les meilleurs économistes algériens sur les solutions à adopter pour relancer la production nationale et réduire la facture des importations. Car l’un ne va pas sans l’autre.
Pour ces raisons, il semble peu probable que le gouvernement Tebboune obtienne rapidement des résultats viables, étant la conséquence d’une politique de resserrement des rangs après la déconfiture des législatives plus que d’une projection sur l’avenir économique de l’Algérie. Resserrement des rangs qui avait commencé avec la déstructuration du DRS et s’est poursuivi avec le retour de Chakib Khelil, avec en point d’orgue la nomination d’un repris de justice à la tête de Sonatrach pour intelligence avec une puissance étrangère.
C’est ce fil conducteur qui devrait alerter l’ensemble de la nation et notamment l’avenir de la Défense algérienne dont le budget est indexé sur la politique de Sonatrach, à sa réforme, à ses principes idéologiques et stratégiques plus qu’à des critères de régionalisme exacerbé. En Algérie, effectivement, nous ne savons pas si c’est la région qui détermine la compétence ou la compétence qui détermine la région.
Dr Arab Kennouche
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