Une députée tunisienne : «Daech a formé des terroristes chez nous en toute impunité»
Dans un entretien accordé hier au magazine Jeune Afrique, Leila Chettaoui, la présidente de la commission parlementaire tunisienne chargée d’enquêter sur les filières djihadistes, est revenue sur les conditions de son limogeage. Elle explique d’emblée que son éviction de cette structure était prévisible du moment que son travail dérangeait dans les hautes sphères tunisiennes. Mme Chettaoui soutient avoir découvert, entre autres, que «la corruption et la contrebande sont étroitement liées au départ de Tunisiens dans des zones de combat». «Plusieurs jeunes ont rejoint la Libye via des réseaux de contrebande financés par la corruption», soutient-elle.
Leïla Chettaoui insiste sur l’idée que les travaux de la commission parlementaire tunisienne chargée d’enquêter sur les filières djihadistes ont dérangé au premier chef Ennahdha et Nidaa Tounes, les deux principaux partis au pouvoir. «Des membres d’Ennahdha ont d’abord été hostiles au travail de la commission. Pourquoi ? Parce que le parti était à la tête de la troïka au pouvoir en 2012 – année de la première grande vague de départs de Tunisiens vers les zones de tension. Du côté de Nidaa Tounes, également, ces travaux dérangent. Certaines des personnes arrêtées dans le cadre de l’opération nationale anticorruption lancée aujourd’hui par Youssef Chahed sont liées à Nidaa Tounes, et ces liens ont désormais un impact direct sur la crédibilité de toute personne liée au parti», dénonce-t-elle.
Leila Chettaoui, qui dit avoir bataillé autant qu’elle pouvait pour mener à bien sa mission, indique que la commission dont elle avait la charge a en sa possession des informations sur le terrorisme en Tunisie qui donnent froid dans le dos. Elle confie, par exemple, que «concernant les circonstances d’endoctrinement et plus particulièrement l’arrivée de prêcheurs étrangers en Tunisie, la commission parlementaire a révélé que celui qui était à l’époque le mufti de Daech (un Saoudien aujourd’hui en prison) était venu en Tunisie en décembre 2011».
Ce Saoudien, ajoute-t-elle, «avait été accueilli par une association tunisienne et a fortement participé à la transformation des réseaux salafistes du pays en réseaux salafistes djihadistes». Mme Chettaoui précise à ce propos que ce mufti a formé des jeunes dans les 24 gouvernorats de Tunisie, dans l’impunité la plus totale, ajoutant que 200 associations tunisiennes, toutes à caractère religieux, ont été impliquées.
Leila Chettaoui indique que la commission parlementaire tunisienne chargée d’enquêter sur les filières djihadistes a découvert également qu’un certain nombre d’associations ont financé l’envoi de Tunisiens dans les zones de combat. «200 associations tunisiennes constituées après septembre 2011, toutes à caractère religieux, ont été impliquées, en échappant à tout contrôle. Leurs financements provenaient du Moyen-Orient, dont plusieurs du Qatar. En épluchant les opérations bancaires, nous avons relevé des virements allant de 5 000 à 3 millions de dinars tunisiens», soutient-elle. M. Chettaoui confirme au passage qu’environ 3 000 ressortissants ont rejoint des groupes djihadistes à l’étranger.
A la question de savoir si le gouvernement fait actuellement tout ce qu’il faut pour arrêter l’embrigadement des jeunes Tunisiens, Leila Chettaoui répond par la négative. Elle martèle que «le dossier de l’embrigadement et l’envoi de citoyens tunisiens en Irak, en Syrie et en Libye est un gros problème que l’on ne peut occulter, qui fait partie du présent de la Tunisie, mais aussi de son avenir, si rien n’est fait».
Sadek Sahraoui
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