Abdelfattah Mourou : «Actuellement, aucun parti ne peut gouverner en Tunisie»
Contrairement à ceux qui pensent que les Tunisiens ont fait l’essentiel du travail en renversant Zine El-Abidine Ben Ali, Abdelfattah Mourou, vice-président du parti islamiste Ennahdha et de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), estime, au contraire, qu’il faudra du temps pour asseoir la démocratie en Tunisie. «Il faudra au moins deux quinquennats pour parachever la transition, pour que les gens puissent se comprendre, s’entendre sans se rendre coup pour coup et s’éloigner des divisions idéologiques. Parfois, j’avoue être lassé par certains comportements et querelles inutiles. La responsabilité en incombe aux partis, qui, sans doute pris de court, n’ont pas suffisamment préparé leurs députés au travail parlementaire», soutient-il dans un entretien accordé au magazine Jeune Afrique.
Le bras droit de Rached Ghannouchi lie, avant tout, la difficulté rencontrée pour passer de la dictature à la démocratie à la nature même du système politique choisi par les Tunisiens au lendemain de la révolution du Jasmin. Selon lui, les Tunisiens auraient pu s’éviter de nombreux blocages s’ils avaient opté, non pas pour un régime semi-parlementaire, comme c’est le cas actuellement, mais plutôt pour un système présidentiel. «Dans un contexte de fragilité, on ne peut pas construire un régime semi-parlementaire sur un tel substrat (de partis, ndlr). J’avais souhaité un régime présidentiel, mais Ennahdha y était opposé au prétexte qu’il avait engendré une dictature. C’était une erreur, car c’est le parti unique qui a porté à la dictature. Le multipartisme et les garde-fous constitutionnels nous prémunissent aujourd’hui contre les dérives. Mais il ne sert à rien de nourrir des regrets», indique-t-il, affirmant qu’«entreprendre une révision de la Constitution quelques mois seulement après sa mise en place n’a pas de sens et peut être dangereux».
S’agissant des protestations sociales que connaît actuellement la Tunisie, Abdelfattah Mourou s’est dit «opposé à la campagne actuelle qui vise à faire chuter le gouvernement». «Cela reviendrait à un saut dans l’inconnu et mettrait fin aux institutions de l’Etat», prévient-il. «L’Etat doit retrouver son autorité et son aura. Il doit être aux commandes et faire appliquer la loi. Nous avons réussi à parvenir à un consensus sur le plan politique, il est temps d’entamer un dialogue socioéconomique pour s’accorder avec tous les partenaires sociaux. Les revendications des régions exclues sont un problème, tout comme celles des secteurs qui bloquent la production par des grèves. La politique n’est pas l’art des revendications, elle est l’art d’y répondre», martèle encore le vice-président du mouvement Ennahdha.
Quelle est solution pour sortir la Tunisie de la crise ? Abdelfattah Mourou estime qu’«un dialogue national peut aider à apporter des solutions aux problèmes posés». «Saupoudrer des augmentations est une stratégie approximative. Il faut geler les prix des produits de base et les salaires pendant un an ou deux. On ne peut reconstruire une économie sans tableau de bord. La majorité du peuple peut accepter de consentir des sacrifices si ceux-ci sont supportés par tous. C’est pourquoi le chef du gouvernement devrait informer régulièrement les citoyens de la situation, en toute liberté et dans la transparence», indique-t-il.
Abdelfattah Mourou explique que les Tunisiens se doivent d’agir collectivement pour sortir leur pays de la crise. «Dans l’étape actuelle, l’exercice du pouvoir ne peut être que collectif. Nous n’en sommes pas au point où un parti peut gouverner seul avec un programme défini au préalable», soutient-il.
A la question de savoir si à force de consensus et de négociations, les projets ne perdent-ils pas de leur pertinence, le vice-président de l’ARP a fait savoir que «l’intérêt national étant au-dessus des partis, les concessions sont nécessaires». «Pour remettre le pays sur les rails, les décisions et les stratégies communes sont une assurance sur l’avenir. Les conflits partisans ne sont pas d’actualité. Nous devons boucler cette législature et la suivante. A ce moment-là, les partis seront assez solides pour définir leurs enjeux», a-t-il conclu.
Pour ce qui est de l’islam politique, Abdelfattah Mourou a indiqué avoir encouragé Ennahdha à renoncer au volet prédication. A ce propos, il mentionne qu’au sein de l’ARP, Ennahdha a fait des choix politiques sans faire interférer avec l’idéologie religieuse. A titre d’exemple, M. Mourou mentionne que les députés de son parti ont «approuvé la réduction des taxes sur l’alcool».
Sadek Sahraoui
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