Une contribution de l’ambassadeur d’Algérie à Bruxelles – Le futur accord UE-Maroc devra être conforme au droit international
Malgré les contorsions de l’Union européenne, le futur accord avec le Maroc devra être conforme au droit international et à la décision de la Cour européenne de justice.
Le Conseil des ministres de l’UE a adopté, le 29 mai, une recommandation de la Commission européenne, autorisant cette dernière à ouvrir des négociations entre l’Union européenne et le royaume du Maroc sur l’adaptation de certains protocoles à l’accord entre l’UE et le Maroc, ainsi qu’un projet de directives de négociation d’un accord entre l’UE et le Maroc.
L’arrangement proposé par la commission prendrait la forme d’un échange de lettres entre l’UE et le Maroc, étendant le champ territorial de l’accord d’association déjà en place, notamment dans ses aspects commerciaux (protocole n°1 relatif au régime applicable à l’importation des produits agricoles originaires du Maroc et protocole n°4 relatif à la définition de la notion de «produit originaire» et aux méthodes de coopération administrative), au territoire du Sahara Occidental, soi-disant pour prendre en ligne de compte le constat établi par la cour, selon lequel l’approbation du peuple sahraoui est requise pour la conclusion d’un accord qui comprenne le territoire du Sahara Occidental.
Il est important de souligner que l’accord obtenu par la Commission européenne ne porte pas sur des amendements précis, mais sur un mandat de négociation, lequel devrait respecter certains paramètres rappelés notamment dans un communiqué publié le 29 mai par le gouvernement suédois, tels que la conformité de l’accord additionnel avec le droit international, y compris les dispositions contenues dans la décision de la Cour de justice de l’UE sur l’approbation du peuple sahraoui. Il ne s’agit donc pas d’un chèque en blanc donné aux négociateurs de la Commission européenne, dont l’action devra satisfaire aux exigences de transparence. La position des Etats membres sur l’accord final dépendra, en outre, de la conformité de son contenu avec les attentes et principes promus par ces pays.
Cette séquence politique est le résultat de contorsions juridico-techniques et d’intenses discussions entre l’Exécutif européen et les autorités marocaines, les deux parties s’échinant depuis des mois à se sortir de l’embarras causé par l’arrêt de la Cour de justice de l’UE (CJUE) du 21 décembre 2016, qui avait établi que le Sahara Occidental est un territoire distinct et séparé du Maroc et que, par conséquent, les dispositions contractuelles liant le Maroc à l’UE en vertu d’un accord agricole ne sont pas applicables aux produits issus de ce territoire non autonome.
Le résultat de ces tractations menées en secret et dans l’opacité la plus totale est une formule boiteuse et accommodante pour le Maroc, axée sur deux éléments : l’extension des préférences tarifaires contenues dans l’accord agricole et ses protocoles subséquents aux produits issus du territoire du Sahara Occidental ; la perpétuation du lien de subordination du peuple sahraoui dans les territoires occupés à l’administration marocaine, en soumettant l’exportation, et donc l’exploitation des ressources du territoire, à l’assentiment d’un organe représentatif de la «population des provinces du Sud», constitué de «sujets» de sa majesté et donc totalement acquis à la thèse sur la «marocanité du Sahara».
En proposant une telle formule, l’Exécutif européen cautionne la prédation des richesses du Sahara Occidental par le Maroc et, fait plus grave, fait le choix hasardeux et immoral de soutenir indirectement l’occupation marocaine d’un territoire sur lequel aucun Etat au monde ne reconnaît sa souveraineté.
De plus, le mandat de négociation requis par la commission s’orienterait, selon certaines sources, vers une requalification du statut des habitants autochtones du territoire au mépris de la légalité internationale et de l’arrêt de la CJUE, en leur ôtant la qualité de «peuple». Ceux-ci seraient, en effet, considérés comme une simple «population locale» constitutive et prétendument intégrée dans le tissu social marocain, ce qui est un déni de leur identité propre, de leur histoire et de leur aspiration légitime à l’autodétermination.
En réalité, ce résultat était prévisible s’il l’on examine attentivement le discours des responsables européens, qui avaient, lors de leurs interventions devant les différentes commissions du Parlement européen, défendu bec et ongles l’accord agricole UE-Maroc, arguant que l’arrêt de la Cour de justice de l’UE du 21 décembre 2016 n’entravait en rien sa mise en œuvre, mais leur imposait simplement d’en clarifier certains aspects.
Ce discours, rassurant en apparence, visait en fait à anesthésier à fortes doses de jargon technique les eurodéputés qui s’interrogeaient sur la licéité de la démarche promue par la Commission européenne et sa compatibilité avec la décision de la Cour de justice, avec la complicité et l’appui discret de certains pays européens connus pour leur soutien indéfectible au Maroc.
Se sont joints à ce concert de louanges, des responsables français embrassant une carrière au sein de l’Exécutif européen, à l’instar de Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes, et de Bruno Dethomas, ex-chef de la Délégation de l’UE à Rabat, actuellement employé au cabinet de lobbying bruxellois «GPlus», mobilisé à coups de séjours, tous frais payés, dans les riadhs marocains au décor enchanteur, pour apporter leur caution politique à la démarche du Maroc et louer ses réalisations, minimisant, ce faisant, l’impact de l’arrêt de la justice européenne et l’action de la Commission européenne, dont la principale préoccupation serait en définitive de dissiper les «malentendus» pour rassurer son partenaire marocain.
Ce faisant, l’UE commet quatre erreurs qui finiront tôt ou tard par lui imposer de nécessaires clarifications :
1- En contournant une décision de justice qui lui est pourtant contraignante et qu’elle est tenue d’appliquer de bonne foi, l’UE contribue à l’affaiblissement de son propre système juridique et le socle de valeurs sur lesquelles a été construite et à l’aune desquelles elle fonde son rayonnement à l’international (soft power). Sa posture morale à géométrie variable en est l’exemple le plus édifiant, n’hésitant pas à pratiquer à l’encontre du peuple du Sahara Occidental ce qu’elle dénonce chez Israël par rapport à la situation des Territoires palestiniens occupés.
2- En encourageant le conseil à approuver une proposition qui contredit la politique de longue date de l’union sur le Sahara Occidental, en soutien aux efforts des Nations unies, l’UE se disqualifie bêtement de toute perspective de jouer un rôle constructif dans le règlement du conflit. Dans ce contexte, il lui sera impossible de jouer un rôle dans l’apaisement souhaitable des relations entre le Front Polisario et le Maroc qui permettrait de stabiliser la région pour se consacrer à l’édification d’un Maghreb arabe uni et prospère.
3- En encourageant aussi le Maroc à poursuivre l’exploitation illégale des ressources naturelles du Sahara Occidental, elle sape les efforts des Nations unies pour la relance des négociations directes entre le Maroc et le Front Polisario avec une nouvelle dynamique et un nouvel esprit, tels que stipulés dans la résolution 2351 adoptée par le Conseil de sécurité de l’ONU en avril 2017.
4- Loin d’aller à la rencontre des besoins du peuple sahraoui et d’être à l’écoute de son seul représentant légitime, le Front Polisario, l’UE a été dans le déni. Certes, il est dur de renoncer à la chaude ambiance de complicité, aux codes bien rodés, au partage décalé de références communes, acquis en plusieurs années de coopération, parfois houleuse, avec le Maroc. Mais de là à ignorer royalement les aspirations légitimes du peuple sahraoui, misant à chaque étape sur son échec à affirmer ses droits inaliénables, procède de calculs à courte vue et écorne irrémédiablement son statut d’acteur global qui promeut la paix et la stabilité dans le monde et défend le principe d’Etat de droit.
Seules demeurent, pour le salut du peuple sahraoui, deux inconnues dans cette équation :
1. Le vote du Parlement européen, qui devrait passer dès le 30 mai 2017 par le filtre des commissions sectorielles avant d’être adopté en session plénière. Dans ce cadre, la commission devra répondre aux inquiétudes des parlementaires sur la compatibilité des arrangements qu’elle propose avec l’arrêt de la justice européenne et le droit international. C’est, d’ailleurs, le sens de l’amendement adopté le 30 mai par la commission des affaires étrangères du Parlement européen dans le cadre du projet de rapport sur la recommandation du Parlement au conseil concernant la 72e session de l’Assemblée générale des Nations unies, au terme duquel ils appellent le conseil à «se conformer à l’arrêt de la Cour de justice européenne au sujet du Sahara Occidental et soutenir les efforts des Nations unies visant à garantir un règlement équitable et durable du conflit au Sahara Occidental sur la base du droit à l’autodétermination du peuple sahraoui et conformément aux résolutions pertinentes des Nations unies» et à «œuvrer pour que la Mission des Nations unies pour le Référendum au Sahara Occidental (Minurso) se voit conférer un mandat relatif aux droits de l’Homme, à l’instar de toutes les autres missions de maintien de la paix des Nations unies, et pour que tout le personnel de la Minurso soit autorisé à reprendre ses fonctions».
2. La validation par certains gouvernements, dont celui de la Suède, notamment du texte de la décision qui sera adoptée en dernier ressort par le Conseil européen. Cette ultime étape pourrait s’avérer une tâche difficile, car chaque gouvernement devra justifier, parfois devant son Parlement national, la pertinence de l’approche adoptée par la Commission européenne, elle-même de plus en plus critiquée pour ses postures sur certains dossiers et son éloignement des réalités socioéconomiques des citoyens européens.
A cela s’ajoute l’embarras dans lequel se trouve Rabat, après la décision récemment adoptée par la Cour de justice de l’UE sur l’accord de libre-échange UE-Singapour, qui remet en question la compétence exclusive de la Commission européenne dans la conclusion d’accords de libre-échange et lui fait obligation d’obtenir l’aval de tous les Parlements des Etats membres.
Ceci est loin d’être une bonne nouvelle pour le Maroc et promet de rendre plus complexes les négociations en cours avec l’UE sur un Accord de libre-échange complet et approfondi (Aleca), d’autant que l’approbation finale de l’accord sera soumise aux aléas politiques et aux sensibilités de certains Parlements nationaux à la cause sahraouie.
Amar Belani, ambassadeur d’Algérie à Bruxelles
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