La crise agite et affole la petite bourgeoisie algérienne
Par Mesloub Khider – L’imminence d’une catastrophe économique prévisible en Algérie se précise chaque jour avec plus d’acuité. Et nos plumitifs apeurés n’épargnent pas leur futile énergie pour se dépenser dans un sursaut de sauvetage plus qu’hypothétique. Chacun y va de sa plume magique pour se livrer à des prestidigitations analytiques et des propositions économiques fantasmagoriques.
Déboussolée par la précipitation de la crise aussi soudaine qu’imprévisible à ses yeux aveuglés par son opulence acquise à la force de ses louches affaires, la petite bourgeoisie affairiste et intellectuelle algérienne se démène aujourd’hui dans une angoissante agitation pour éviter le chavirement de la barque Algérie. En vrai, pour sauver sa rentière parasitaire existence sociale.
Cyniquement, à l’époque de l’enrichissement inespéré de l’Algérie, où les milliards de dollars coulaient à flots par la grâce de l’enchérissement de cette source noire tirée des entrailles du désert, cette classe oisive flottait dans la mer de l’insouciance à bord de ses richesses achetées clés en main à l’étranger, sans se soucier nullement du développement économique du pays. Sans se préoccuper aucunement de la dilapidation des milliards de dollars opérée par le pouvoir.
Aujourd’hui, au moment où la conjoncture économique algérienne subit les tempêtes de la crise mondiale, elle se réveille de sa léthargique douce vie pour incriminer et fustiger les dirigeants pour leur gabegie, leur incurie. Dirigeants qu’elle avait pourtant aidés à se hisser au pouvoir.
Affolée par la dégradation de la situation économique algérienne, qui risque assurément de l’emporter, de la prolétariser, de la paupériser, elle s’emploie à se muer en experte pour nous livrer ses recettes économiques en vue de sauver l’Algérie de la banqueroute, de la débâcle.
De tout temps, la petite bourgeoisie a toujours été animée par une double attitude. D’une part, par sa dévorante ambition d’offrir ses services à la bourgeoisie pour gérer et partager le pouvoir ; d’autre part, par la peur que lui inspire les masses populaires en raison de leur propension à se révolter, à se soulever – et surtout par sa crainte de sombrer, à la faveur de la crise économique, dans la déchéance sociale. A la première, qu’elle envie pour son opulence, elle a toujours su lui prodiguer avec obséquiosité tous les conseils pour la préservation de l’ordre établi. Même si elle feint parfois la dissidence dans les périodes de fragilité du pouvoir, de faillite et déroute, comme le vit actuellement l’Algérie.
Aux secondes, qu’elle méprise souverainement, elle distille constamment le poison de l’obéissance et de la soumission avec des arguments religieux et patriotiques. Qu’elle est, par ailleurs, la première à piétiner en partageant abjectement dans la débauche et le cosmopolitisme. Aujourd’hui, installée confortablement dans ses demeures cossues algéroises, londoniennes ou parisiennes, elle attend passivement que les soubresauts de l’histoire (qui se déroule sans elle) lui offrent enfin l’occasion de se glisser subrepticement dans les palais du pouvoir d’Alger.
Une telle classe sans avenir, comme celle qu’elle entend remplacer, n’a en vérité, dans cette période de crise mortelle du capitalisme, rien à proposer, sinon la misère généralisée pour tous les Algériens.
C’est la raison pour laquelle il faut se méfier et se défier des discours propagés par les membres de cette classe.
A entendre ces thuriféraires du libéralisme, de simples solutions politiques suffiraient pour venir à bout de la crise. A les lire, un simple changement du personnel politique à la tête de l’Etat algérien parviendrait à freiner l’enlisement économique, la périclitation financière. Et ainsi rétablir une situation économique malmenée par l’effritement des cours du pétrole, unique source de revenus. Leur naïveté est criante, leur ignorance navrante. Aucun pouvoir placé à la tête de l’Etat algérien, même constitué d’un personnel politique compétent et démocratique, élu librement au suffrage universel, n’inverserait la tendance actuelle de l’effondrement économique, même avec la meilleure volonté du monde. Il suffit d’observer la situation catastrophique du Venezuela. Et de nombreux autres pays, comme la Grèce.
En effet, qu’il s’agisse de l’option industrielle ou agricole proposée dans l’affolement et l’urgence comme solution pour développer enfin l’économie algérienne, aucune mesure politique ne peut modifier le cours de la crise. L’industrialisation ne se décrète pas (on connaît le résultat avec l’ère Boumediene). Pareillement pour l’agriculture. De toute manière, la Chine et quelques autres pays émergents, devenus les ateliers du monde, pourvoient amplement à la consommation effrénée de la planète. Et notamment aux besoins de l’Algérie.
L’obstacle quant au développement économique de l’Algérie est paradoxalement économique. Dans une économie capitaliste mondialisée fondée sur le profit, la vente des marchandises produites, la saturation des marchés est déjà suffocante. En effet, la surproduction économique a atteint des proportions inégalées. D’où l’exacerbation de la concurrence entre les pays capitalistes pour écouler leurs produits. Dans cette guerre économique impitoyable, les nations à l’économie développée anciennement établie disposent de reins plus solides pour accaparer les marchés grâce à l’écoulement de leurs produits compétitifs à des prix défiant toute concurrence. Et ainsi rejeter du marché les pays sous-développés, comme l’Algérie. En vérité, dans le cadre de cette économie capitaliste concurrentielle, il revient moins cher à l’Algérie d’acquérir les marchandises à l’étranger que de les fabriquer sur place. C’est la loi du développement inégal du capitalisme.
En outre, à notre époque, où des milliers d’usines à travers le monde ferment pour raison de faillite (de mévente), avec comme corollaire un chômage massif pandémique, la perspective pour l’Algérie, comme le suggèrent ces illusionnistes d’analystes, de se lancer dans le développement industriel est illusoire, pour ne pas dire impossible. De même pour l’agriculture. S’il fallait développer ces deux secteurs, il aurait fallu l’impulser au lendemain de l’indépendance, à cette période de prospérité économique au niveau international, de croissance soutenue. Aujourd’hui, la crise a obéré cette perspective de développement.
La solution n’est donc pas politique. Encore moins économique dans le cadre du système capitaliste englué dans une crise systémique mortelle. En réalité, sans destruction du capitalisme, aucune solution n’est envisageable. Tous ceux qui ergotent sur les solutions à envisager uniquement dans le cadre de ce système en putréfaction sont des menteurs. Les travailleurs et les masses opprimées algériennes doivent se défier de ses plumitifs au service du capital.
Le salut du peuple algérien (qu’il faut différencier du pouvoir algérien et des classes opulentes parasitaires rentières) ne viendra pas de ces plumitifs illusionnistes déconnectés des réalités sociales, mais, par ailleurs, les yeux toujours rivés sur les cimes du pouvoir.
Le peuple doit prendre son destin en main, s’organiser pour instaurer une société débarrassée du profit, de la marchandise, de l’argent. Pour établir une économie produisant pour la satisfaction des besoins humains. Et non le profit. En Algérie comme à l’échelle de la planète.
Peut-être que le salut de l’humanité viendrait de l’Algérie qui balaierait définitivement toutes les injustices, les oppressions, les exploitations, les guerres, les famines. Qui donnerait enfin naissance à une communauté humaine universelle, débarrassée des classes, des Etats, des frontières.
Et l’Algérie deviendrait ainsi la capitale de cette humanité réconciliée.
La force du régime réside dans notre faiblesse.
Prenons exemple sur nos vaillants parents et nos grands-pères. Quasiment analphabètes et illettrés qu’ils étaient, paysans et simples ouvriers qu’ils étaient, ils ont su s’organiser, lutter, combattre, et, armés de leurs seuls détermination, bravoure et héroïsme, dans un affrontement militaire pourtant inégal au plan de l’armement, chasser le colonialisme. Même si les désillusions sont, aujourd’hui, à la hauteur des espérances placées dans cette révolution détournée.
«Ce n’est pas l’impossible qui désespère le plus, mais le possible non atteint.»
Comme le disait le grand révolutionnaire français Auguste Blanqui au XIXe siècle : «(…) Mais pour les prolétaires qui se laissent amuser par des promenades ridicules dans les rues, par des plantations d’arbres de liberté, par des phrases sonores d’avocat, il y aura de l’eau bénite d’abord, des injures ensuite, enfin, de la mitraille, de la misère toujours !» (de la part des pouvoirs établis).
«Lorsqu’on rêve tout seul, ce n’est qu’un rêve. Alors que lorsqu’on rêve à plusieurs, c’est déjà une réalité. L’utopie partagée, c’est le ressort de l’histoire.»
M. K.
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