Pierre Vermeren à propos des manifestations du Rif : «C’est la faute de Hassan II»
Le chercheur Pierre Vermeren, de l’Université Paris-I-Panthéon-Sorbonne, impute le gros de la responsabilité de la situation insurrectionnelle qui prévaut dans le Rif marocain depuis plus six mois à Hassan II, le défunt père de Mohammed VI. Dans un entretien accordé mardi au quotidien français Libération, le spécialiste du Maroc a soutenu que le roi Hassan II a volontairement maintenu le Rif dans la pauvreté et le dénuement durant des décennies pour punir ses habitants pour leur attitude de défiance à l’égard de la monarchie marocaine.
«Ce qui se passe actuellement dans le Rif est en grande partie de la responsabilité de Hassan II. (…) Après la révolte du Rif de 1958-1959 et sa répression extrêmement brutale, le roi a puni la région pour avoir osé se soulever contre l’Etat marocain. Il ne s’y est pas rendu une seule fois, il ne lui a consacré aucun investissement. La seule porte de sortie, c’était la culture du kif, dont le privilège avait été accordé par le père de Hassan II aux Rifains», rappelle Pierre Vermeren, qui indique qu’«il y a aujourd’hui des dizaines de milliers d’hectares qui nourrissent 800 000 paysans».
L’auteur de Le Maroc de Mohammed VI. La transition inachevée souligne que, contrairement aux grandes villes du royaume, qui se sont développées depuis quinze ans, le Rif, lui, manque encore de tout, avertissant que le fossé se creuse entre ces deux Maroc. «Jusque-là, l’émigration était une soupape. Le Maroc a échappé au pire dans les années 1980, 1990, 2000, car des millions de gens ont pu partir. Or, les migrations se sont arrêtées depuis la crise européenne de 2008. Les jeunes sont maintenant coincés. C’est un facteur à prendre en compte pour expliquer l’actuelle explosion de colère», analyse Pierre Vermeren.
A la question de savoir si l’arrestation des leaders du mouvement Hirak Errif peut porter un coup d’arrêt à la contestation, le chercheur français spécialiste du Maghreb pense que deux scénarios sont possibles : «Privé de ses meneurs, le mouvement peut doucement s’essouffler. Ou, au contraire, il peut déraper et basculer dans la violence. Au moindre incident (un manifestant tué, une bavure policière), la situation peut dégénérer.» Pierre Vermeren ajoute que «depuis toujours, le palais surveille le Rif comme le lait sur le feu. La province est hypermilitarisée».
Le Makhzen doit-il craindre ce qui se passe dans la région ? «Pour l’instant, la mobilisation reste cantonnée à Al-Hoceïma, qui est somme toute une petite ville de province, mais si elle devait s’étendre aux grandes villes du nord, en particulier Nador, peut-être trois fois plus grande et mal contrôlée par la police, les autorités commenceraient à paniquer», estime Pierre Vermeren.
Le chercheur français rappelle que pour essayer de réparer les erreurs commises par son père, Mohammed VI a essayé, quelques mois après son accession au trône, de rompre l’isolement du Rif. «L’un de ses premiers voyages a été pour la patrie d’Abdelkrim, où il a annoncé la prise en compte du fait culturel berbère. Sur le plan politique, il s’est entouré de nombreux conseillers rifains. Sur le plan économique, il a donné à l’Agence des provinces du nord beaucoup de moyens. Mais les investissements se sont concentrés dans les deux villes qui sont aux extrémités de la région : Tanger et Oujda. Entre les deux, il y a plus de 500 kilomètres. Une autoroute a été construite, mais ça ne donne pas à manger et ça ne crée pas d’activité», a conclu Pierre Vermeren.
Sadek Sahraoui
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