Lettre aux justiciers sourds qui nous font honte ! (II)
Par Nouara Bouzidi – Ce qui vient d’arriver à Hocine Rizou n’est pas une histoire ni un fait divers ! C’est le symptôme manifeste que notre pays est en danger avec ces justiciers de pacotille. Nous sommes clairement dans une vengeance anonyme, procédurière, calculatrice et se voulant manifestement terrorisante pour servir d’exemple aux autres personnes qui ne ramperaient pas devant le chantage de voir leur réputation ruinée en public.
L’anonymat d’abord.
Parmi cette foule, personne ne se pose la question de l’enregistrement vidéo. Quel homme normal et sain d’esprit accepterait de se faire filmer dans une telle fâcheuse position, en Algérie, sachant la crispation de la société sur ces questions ? Mieux encore : qui a filmé ?… et surtout pourquoi, dans quel but poursuivi ?! Cela ne démontre-t-il pas que cela a été orchestré dans un but manifeste de chantage, de nuisance déclarée ? Il faut impérativement que la justice algérienne mette la main sur ces personnes dont la seule qualité criante est de savoir se ganter les mains pour piéger les personnes qui – manifestement – les dérangent.
La procédure ensuite.
Cet enregistrement est suivi – comme par hasard ! – par une manifestation syndicale, pour demander l’exclusion du directeur général de son poste. Rien n’est trop beau pour ces personnes que de passer par les pratiques de l’intimidation, par la manipulation de la foule d’abord, puis par la manipulation de la presse. Mais, le ministère de tutelle, lui, est encore beaucoup plus coupable dans la tragédie qui a frappé nos esprits. Sa décision de limogeage punitif et expéditif, sans se référer à une procédure réglementaire, statutaire, où l’accusé pourrait assurer sa défense, dérange particulièrement. Cela signifie que le ministère de tutelle vient de perdre sa qualité d’institution publique et la confiance qui lui est normalement dévolue. La tutelle vient de porter le coup de grâce, en tenant elle-même la guillotine, pour satisfaire une foule, mais surtout les commanditaires dont on ne connaît ni les identités ni leurs réelles motivations. Quelle est la vraie raison de ce scandale public, la vraie raison cachée ?
Le calcul aussi.
On se demande comment cette manifestation, aidée d’une télévision poubelle – nommons-la : Ennahar – a pu obtenir aussi vite la mise à mort publique de la réputation de cet homme. Ennahar n’a qu’un cahier des charges : faire appel aux plus bas instincts des Algériens. Quelle programmation civilisatrice ! Bientôt, il faudra lyncher son père et battre sa mère pour pouvoir passer dans cette télévision abrutissante. Dans un pays de droit, elle mériterait une mise en demeure et une amende très lourde, voire une fermeture définitive.
La terreur enfin.
Evidemment, cette affaire est un symptôme de la pensée sectaire qui sévit dans notre pays depuis le terrorisme. Evidemment, ces groupes, enfantés par la mouvance idéologique des Frères musulmans (3), ont déferlé sur notre pays tel des sauterelles de famine et, évidemment, ce sont bien des groupes de terreur mentale, usant du lavage industriel de cerveaux. De plus, évidemment, le poison semble encore présent, ici, dans notre pays, tant et si bien que des esprits malades ne sont nullement honteux de déshabiller l’intimité d’un homme devant tout un public, dans la presse, tout en ayant le culot de se proclamer de Dieu et tout en bafouant le respect de nous tous. Pensent-ils à l’effet dévastateur sur la jeunesse algérienne en formation ? Saisissent-ils qu’ils sont des adultes défaillants, qu’ils ne jouent aucunement le rôle de modèle pour cette jeunesse qui s’en vient ? Désormais, ne nous voilons pas la face, ce poison, délétère et nauséabond, mérite un antibiotique d’appoint, car il n’est plus possible de laisser notre population dans les mailles de cette pensée sectaire, terrorisante, déresponsabilisante et… infantilisante. Les autorités doivent, sans plus attendre, dans leurs entreprises publiques, exiger, en plus du travail accompli, la qualité de l’attitude et le sens de la responsabilité de tous les employés et de tous les personnels d’encadrement. Les autorités doivent aussi veiller, sans plus attendre, aux contenus de ces télés poubelles, dans leurs cahiers des charges ; car, en effet, si l’on n’y prête pas gare – ces télévisions feront de ce peuple autrefois rebelle et nourri de principes, un peuple de mutants, de décérébrés qui passera son temps à chasser son voisin, son rival, son semblable sur simple suspicion, au lieu de concourir à bâtir sa nation. Il faut être explicite : ces télévisions distraient et manipulent les Algériens en sollicitant les bas instincts de chacun.
Faut-il nous le dire ?
L’esprit de terreur se lie toujours à la suspicion, à la paranoïa.
Le silence et l’inaction des autorités publiques devant cette télévision nous posent question.
La rumeur est le pouvoir des assassins anonymes.
La foule est le pouvoir des inconséquents. La menace est le pouvoir des lâches.
On nous dira : «Oui, mais il est homosexuel.»
Une question s’impose alors à ces justiciers anonymes : cela ne les dérange pas de regarder une vidéo pornographique et de se la transmettre, pendant plusieurs jours, comme s’il s’agissait d’un comportement sain et raisonnable ?
Avec le facteur aggravant que c’est pendant le Ramadhan ?
Combien de prières de nuit faudra-t-il à ces voyeurs pour réparer la blessure faite à cet homme et à sa famille ?
Et combien d’autres prières encore faudra-t-il pour nous réparer, nous, pour nous avoir mis à contribution et nous avoir imposé des haut-le-cœur devant ces procédés orduriers et vils ?
Pourquoi veulent-ils nous imposer leur vulgarité sous prétexte de contestation de leur responsable ? Pourquoi veulent-ils que nous subissions leur aveuglement et leur bêtise ? Ces gens sont-ils sérieux ? Sont-ils sérieux ou nous prennent-ils pour des idiots ? Sur la base d’une vidéo non authentifiée ? Avec visiblement le consentement des deux personnes qui y figureraient et qu’une tierce personne aurait donc accepté de filmer pendant ses écarts de déconnexion neurologique ? Sommes-nous à ce point bassement manipulables ? C’est un cauchemar, il faut que nous nous pincions. Alors, allons plus loin dans la chute, justiciers anonymes ! Sombrons dans la folie, puisque le bon sens fait même défaut à l’employeur de M. Rizou, qui n’aurait jamais dû céder devant la menace de la meute !
Cet homme, M. Hocine Rizou, attaqué publiquement et violemment, vient de succomber sous le poids d’un stress violent et humiliant impliquant les médias et la foule. Il y a encore quelqu’un dans le pilotage ? Quelqu’un qui reste humain ? Il faudra alors que tout le monde déballe tout, sur tout le monde, sans pudeur, sans dignité, sans rien cacher, puisque la meute travaillée par la paranoïa a faim, rageusement faim, des secrets intimes de tous.
Commençons par ces justiciers anonymes qui ont voulu sa peau, mais aussi par ces manifestants ! Commençons alors par tous les politiciens, les syndicalistes, les familles et les bergers ! Allons-y !
Il faudra passer à la dénonciation collective de tous contre tous, sans plus attendre, et ouvrir des tribunaux arbitraires dans chaque village et procéder, comme la Sainte-Vehme, à une justice secrète, expéditive, punitive et qui ne rend compte de rien à personne. Jusqu’à ce que personne de vivant ne subsiste dans notre pays.
Si nous devions entendre cette ignominie quant à la sexualité de ceux qui nous entourent, alors, il est clair que les ministres concernés par les problématiques de la famille, de l’éducation, de la santé publique et de la culture sont à questionner dans leurs résultats. On est encore loin du compte d’une réduction des dysfonctionnements éducatifs et sociaux. Visiblement très loin du compte.
Il est, par ailleurs, clair que les intellectuels de ce pays ne doivent plus murmurer devant la parole sectaire et qu’ils se doivent de donner les outils d’un débat, sans idéologie aucune, pour défaire l’impact de ces agissements sur le moral de nous tous. En effet, les idéologies pseudo-religieuses, politiques, maintenant économiques, ne cessent de déstructurer la population algérienne avec leurs venins. Depuis trop longtemps. Ce comportement nous plongera dans l’arriération collective si nous ne prenons pas garde à refuser le piège de la vindicte populaire. Ce symptôme est surtout le signe que la justice algérienne semble aussi défaillante en d’autres endroits et pousse des personnes à emprunter de biens tortueux chemins pour se faire justice sans la moindre réflexion(2). Ces justiciers anonymes viennent de commettre une attaque sérieuse contre la légitimité des corps constitués, que sont la police et la justice, en prenant le rôle de la police et de la justice, le temps d’un scandale public, en un temps record. Soyons vigilants au vrai sens de cette dérive, c’est une attaque sérieuse contre la légitimité des institutions publiques tout autant que contre le respect de chaque personne dans notre pays.
Avec ces justiciers anonymes, nous sommes entrés dans les annales. Assurément ! Le Ramadhan est déjà mort pour nous, cette année. Avant sa première semaine d’existence… Vous, les justiciers anonymes, sachez-le, le Ramadhan est mort-né par votre profonde inhumanité. Les anges ne viendront pas avec l’Archange Gabriel pour la nuit du Décret. La lumière s’est éteinte. La présence divine aura raison de bouder notre pays devant tant d’esprit obtus et irresponsable de gens mesquins. La haine et la suspicion ont vaincu le mois du jeûne, la miséricorde et la confiance ont déserté notre pays en un jour misérable d’inquisition publique. Rangeons nos tapis, nos prières ne seront pas entendues, soyez-en convaincus, si dans la rage de la foule et de sa folie justicière, un homme, déchiqueté et broyé devant tous, nous sert de dîner. Votre parole est discréditée par votre infâme nourriture, justiciers anonymes ! Votre nourriture est le poison des hommes aisément manipulables, sans réflexion et visiblement n’éprouvant aucune honte devant leur bêtise profonde.
«Ô Vous qui avez cru ! Evitez de trop conjecturer sur autrui, car une partie des conjectures est péché. Et n’espionnez pas ; et ne médisez pas les uns des autres. L’un de vous aimerait-il manger la chair de son frère mort ? Non ! Vous en auriez horreur. Et craignez Allah. Car Allah est Grand, Accueillant au repentir, Très Miséricordieux.» Le coran, sourate 49, verset 12.
N. B.
(Suite et fin)
Notes
(1) On comprend dès lors que la religion, c’est de la dynamite quand elle est utilisée pour promouvoir un mouvement ou une idéologie politique par la force. Par exemple, ici, les croisades. Aujourd’hui, avec Daesh, nous sommes dans une autre idéologie politique, et elle aussi, c’est de la dynamite ! Elle aussi utilise la force pour terroriser ceux qui n’approuvent pas son idéologie politique.
(2) Croire que les croyants monothéistes ont toujours été respectueux de leur message, c’est être naïf ou ignorant des dynamiques égoïstes ou égocentriques des hommes qui se cachent derrière les religions pour dominer les autres et… leur faire peur devant toute contestation de l’ordre établi. Or, contester l’injustice est de la dignité même de l’être humain. Personne n’ira en enfer pour avoir osé demander justice. Mais, l’homme qui aura déformé les paroles religieuses, du haut de sa position de clerc ou de chef d’Etat, lui, devrait réfléchir par deux fois avant de se penser immunisé contre la colère de Celui qui lui a donné la vie, au même titre que ceux qu’il tente de dominer outrageusement. On notera – soit dit en passant – que si des musulmans se distancient de la religion musulmane, c’est en raison du comportement irrespectueux et envahissant de ces ténors prétendument religieux, pas en raison des athées ou des agnostiques. Il suffit de les rencontrer et d’entendre leurs obsessions – comme si Dieu les avait accrédités d’une mission pour broyer nos vies au quotidien – et nous voilà pris par l’envie soudaine de les fuir et de respirer un oxygène plus sain pour nos cellules nerveuses.
(3) Sainte-Vehme, article de Bernard Vogler dans l’Encyclopédie Universalis.
«Institution judiciaire, implantée surtout en Westphalie à la fin du Moyen-Age, la Vehme ou Sainte-Vehme a inspiré la crainte dans de nombreux milieux ; le romantisme lui a conféré ses lettres de noblesse. Tribunal indépendant des princes territoriaux, elle revendique l’investiture de l’empereur qui lui confère son appui. Charles IV l’a utilisée pour assurer la paix féodale et Wenceslas lui accorde, en 1382, le droit d’appel dans tout l’empire. Son succès tient également au morcellement de la justice et aux difficultés des roturiers d’obtenir justice. Les tribunaux sont composés d’échevins, paysans libres, qui sont les seuls à connaître les règles secrètes de procédure. Leur compétence se limite aux refus de conformité au droit et aux crimes de sang. Dispensant une justice expéditive, la Vehme ne prononce que deux verdicts, l’acquittement et la condamnation capitale exécutée dans les plus brefs délais. Elle a connu son apogée au XVe siècle, puisqu’elle cita même à comparaître l’empereur Frédéric III en 1473. Cependant, les nobles et les patriciens accaparent rapidement les fonctions d’échevins, d’où des abus qui incitent la grande majorité des princes et des villes à interdire à leurs sujets tout contact avec la Vehme.»
Comment (21)