Dangereuse escalade dans le Golfe : guerre imminente ou simples gesticulations ?
Les ingrédients de l’escalade dans le conflit autour du Qatar indiquent, comme le font remarquer nombre d’observateurs, que l’on pourrait être dans le dernier quart d’heure qui précède une confrontation armée. Il est certain que le Qatar a fait appel au soutien armé de la Turquie. Le Parlement turc a donné son feu vert à la réalisation d’un accord permettant le déploiement de troupes sur une base militaire turque à Qatar, certes, dans le cadre d’un accord signé en 2015 entre les deux pays. Mais, il est clair qu’il s’agit d’un soutien apporté par la Turquie au Qatar dans son conflit avec ses voisins immédiats (Bahreïn, Arabie Saoudite et Emirats arabes unis) ainsi qu’avec l’Egypte. En fait, c’est la première riposte de la Turquie au coup porté à son allié qatari dans la région.
En outre, les derniers développements qui ont suivi le double attentat commis par Daech à Téhéran montrent qu’en cas de conflit, l’Iran se mettra de la partie contre l’Arabie Saoudite ! Cette éventualité apparaît à la lecture du communiqué du Corps des gardiens de la Révolution islamique (CGRI), dans lequel l’Iran accuse l’Arabie Saoudite d’être derrière cet acte criminel. Le CGRI a annoncé une vengeance contre «les terroristes, leurs complices et ceux qui les soutiennent».
Déjà, avant le double attentat de Téhéran, le ministre iranien de la Défense, Hossein Dehghan, avait réagi aux propos de son homologue saoudien, le vice-prince héritier d’Arabie Saoudite, Mohammed Ben Salmane, qui avait déclaré : «Nous n’attendrons pas que le combat se déroule à l’intérieur de l’Arabie Saoudite» et menacé de faire en sorte que la bataille se déroule «chez eux, en Iran». Cette menace saoudienne a été lancée à l’occasion de la visite récente du président américain Donald Trump chez les Al-Saoud. Le ministre iranien de la Défense avait mis en garde l’Arabie Saoudite contre toute «démarche irréfléchie», sinon «seules les villes saintes des musulmans, La Mecque et Médine, seraient épargnées». Les relations diplomatiques entre les deux pays sont rompues depuis début 2016, à l’initiative de l’Arabie Saoudite, après l’attaque contre l’ambassade saoudienne à Téhéran provoquée par l’exécution en Arabie Saoudite du dignitaire chiite Nimr Al-Nimr.
Le rapprochement du Qatar avec la Turquie et surtout l’Iran est la seule voie pour éviter l’isolement qui pourrait être fatal au petit émirat. Selon l’agence Reuters, citant un responsable qatari, le Qatar a sollicité la Turquie et l’Iran afin d’éviter toute pénurie en eau et en nourriture. Les approvisionnements se feraient par fret aérien assuré par la compagnie Qatar Airways. On sait que le Qatar importe presque toute sa nourriture depuis l’Arabie Saoudite, seul pays avec lequel il partage une frontière. La Turquie a répondu favorablement à cette demande par la voix du président de l’Association des exportateurs trucs (TIM), Mehmet Buyukeksi, qui a indiqué que ces derniers étaient prêts à répondre aux demandes du Qatar en eau et en nourriture afin de compenser l’arrêt des fournitures décidé par l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis. Il a été question également que l’Iran mette ses ports à la disposition du Qatar pour ses échanges extérieurs.
L’opération initiée par les Etats-Unis et par l’Arabie Saoudite pour faire rentrer dans le rang le Qatar pourrait avoir un résultat contraire en permettant à l’Iran de renforcer sa position dans la région et en accentuant l’éloignement de la Turquie de ses anciens alliés, avec la constitution d’un axe Ankara-Téhéran centré sur Moscou. Ce qui, en définitive, pourrait neutraliser l’apport du Qatar à l’alliance pro-américaine, alors que l’Emirat abrite la principale base aérienne américaine dans la région, près de Doha, où environ 10 000 militaires sont stationnés.
Est-ce cela qui explique la volte-face de Donald Trump qui, à la surprise générale, a offert hier son aide pour désamorcer la crise, alors que quelques heures avant il avait soutenu l’isolement du Qatar ? Le président américain s’est même entretenu au téléphone avec l’Emir du Qatar pour proposer cette aide, «y compris à travers une rencontre à la Maison-Blanche, si nécessaire».
Elément supplémentaire de tension de nature à inquiéter les Américains : l’état-major opérationnel des alliés de la Syrie, qui regroupe le mouvement libanais Hezbollah et la République islamique d’Iran, a annoncé sa volonté de riposter si nécessaire en frappant les positions de l’armée américaine si elles subissent une nouvelle fois les frappes de la coalition dirigée par les Etats-Unis. Le conflit Arabie Saoudite-Iran peut, en effet, prendre la forme interposée d’une confrontation armée directe, en Syrie et autour de ce pays, entre les forces iraniennes et les bases et troupes américaines qui s’y trouvent.
Houari Achouri
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