«Mein Kampf» : faux combat, faux débat
Par Mesloub Khider – La réédition du pamphlet d’Hitler donne lieu à des empoignades entre les tenants de sa publication et les partisans du maintien de son interdiction. La polémique transcende les frontières. Et l’Algérie s’invite également au débat. Toujours est-il que la controverse fait rage entre les deux tendances. Dans les deux cas, les arguments convoqués ne sont pas convaincants.
Sur ce chapitre, l’appréhension de la question est très réductrice, aussi bien sur la genèse que sur les finalités de la Seconde Guerre mondiale. En effet, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le camp des vainqueurs (l’Occident en général) a réussi une double falsification. Il a imposé sa vision de l’Histoire.
Premièrement, les vainqueurs sont parvenus à présenter la seconde boucherie mondiale comme une guerre juste menée par le camp du Bien contre le camp du Mal. Un combat de la démocratie contre le fascisme. Bien évidemment, les Alliés (Etats-Unis, Angleterre, URSS, etc.) étaient dans le camp du Bien. Et l’autre camp, l’axe, était dans celui du Mal.
Les premiers prétendaient se battre pour la démocratie, les droits de l’Homme. Alors que tous ces pays piétinaient allègrement, dans la réalité, ces mêmes droits (la France et l’Angleterre par leur colonialisme asservissaient des centaines de millions d’«indigènes» réduits en esclavage ; les Etats-Unis, pays de l’esclavage et du racisme institutionnalisé, déniaient tout droit civique aux Noirs américains ; l’URSS, pays stalinien, avec ses camps de concentration, n’avait rien à envier à l’Allemagne hitlérienne).
Deuxièmement, seconde falsification, l’historiographie dominante a toujours réduit cette boucherie, par une psychologisation de l’histoire, à la seule personne d’Hitler, censé être l’unique responsable de la guerre. Alors qu’il s’agissait en réalité d’une véritable guerre impérialiste préparée de longue date par l’ensemble des pays belligérants. Hitler n’a été que le produit du grand capital allemand. Ce n’est ni un Génie ni un Malade mental, comme le propagent de nombreux historiens. Et n’était l’accélération de la crise économique mondiale à partir 1929, son ascension et son accession démocratiquement au pouvoir en 1933 n’auraient jamais eu lieu.
Il ne faut jamais perdre de vue que cette Seconde Guerre mondiale, tout comme la première, s’est déroulée au sein du mode de production capitaliste, au cœur du monde impérialiste, pour résoudre militairement les contradictions inhérentes à ce système confronté en permanence aux crises économiques. Et non dans un no man’s land socio-économique, politique et idéologique. Les deux guerres mondiales ne se sont pas produites ex nihilo. Mais sont le fruit d’un système de production déterminé, baptisé et nommé capitalisme.
Force est de constater que tous les pays en conflit étaient impérialistes. Par conséquent, il n’y avait à défendre aucun des deux camps en guerre. S’il fallait prendre position, comme le proclamait Lénine lors de la Première Guerre mondiale, c’eût été d’appeler à la transformation de cette guerre impérialiste en guerre de classe.
D’aucuns rétorqueront qu’il fallait lutter contre le fascisme pour sauver la démocratie, système politique plus humain. J’ai largement démontré, dans mes deux précédentes contributions sur la démocratie, «De la dictature du capital» et «Les tragédies démocratiques», la nature profonde et réelle de la démocratie : feuille de vigne derrière laquelle se dissimule la dictature du capital.
Le crime à géométrie variable
Certes, aujourd’hui, depuis 1945 les pays occidentaux vivent, pour la première fois de leur histoire jalonnée de perpétuelles guerres sanglantes, dans une période de paix. Mais au prix de l’exportation de leurs guerres dans les pays périphériques, au plus grand profit de l’industrie de l’armement occidental. En effet, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, il n’y a jamais eu autant de guerres aux quatre coins de la planète. Autant de massacres. De morts, majoritairement civils. D’exodes. De génocides quotidiens provoqués par les malnutritions et les maladies. D’holocaustes menés à petit feu, autrement désignés sous le nom de famines. Quelle est la différence entre les massacres massifs perpétrés par le nazisme et les famines occasionnées par le capitalisme mondialisé ? Aucune. S’il y a différence, elle est de degré et non de nature. Dans le cas des famines, le capitalisme massacre à petit feu, dans l’indifférence générale. Et non à l’échelle industrielle et massive comme le pratiquait le nazisme dans ses camps de concentration et de travail, et sur les champs de guerre.
Seule l’horreur nazie est apparemment condamnable. L’horreur démocratique est humainement acceptable. Pour illustrer notre propos sur cette perception à géométrie variable des crimes, il nous suffit de citer le cas d’Israël. En effet, Israël, présenté mensongèrement comme un Etat démocratique, en vérité pays théocratique, dernier vestige du colonialisme occidental, est auréolé de toutes les sollicitudes et protections par la majorité des pays du monde, en dépit du caractère raciste de son occupation territoriale et des massacres récurrents perpétrés avec l’assentiment des puissances impérialistes contre les Palestiniens. Nous sommes en pleine perception à géométrie variable des crimes, des massacres, des guerres.
Par ailleurs, Mein Kampf n’a nullement contribué à l’avènement de l’hitlérisme. Ni ne renferme quelque passage appelant à la Solution Finale. La politique d’extermination a été impulsée officieusement dans le feu de l’engrenage de la guerre mondiale pour régler le problème de l’immigration générée par la guerre. Sans nullement justifier cette extermination massive, cette solution finale a été l’œuvre du capitalisme moderne hautement technologique et non le produit d’une folie humaine. L’humanité n’est pas comptable de ce génocide, encore davantage les populations du reste de l’univers situé hors zones des conflits lors de la Seconde Guerre mondiale. C’est le système capitaliste comme un tout, représenté par tous les dirigeants à la tête de tous les pays belligérants, qui est responsable, et de la Seconde Guerre mondiale et du génocide des juifs. L’humble humanité opprimée a sa conscience tranquille. Ses mains sont immaculées d’innocence. Mais sa mémoire porte encore les stigmates de l’esclavage et du colonialisme infligés à ses aïeux par l’Occident civilisé et démocratique
Mein Kampf est «innocent»
De fait, Mein Kampf n’est ni comptable de l’embrigadement idéologique des Allemands attirés par le nazisme, ni responsable du déclenchement de la guerre mondiale. L’adhésion massive des Allemands au nazisme tout comme le déclenchement de la guerre mondiale s’explique par des facteurs concrets d’ordre économique et politique. Et nullement par la diffusion de l’opuscule Mein Kampf.
Ce n’est pas l’esprit qui guide le monde. Ce n’est pas la conscience qui détermine l’être, mais c’est l’être social qui détermine la conscience.
Preuve s’il en est, la littérature fasciste est née en France où elle était très prolifique depuis la fin du XIXe siècle. Pareillement pour les partis d’extrême droite, très florissants en France au cours de cette période. Pourtant, le fascisme n’a jamais pu accéder au pouvoir en France. Sinon, à la faveur de l’occupation de la France par l’Allemagne nazie en 1940, imposant un pouvoir vichyssois à sa solde.
Autre preuve s’il en est, plus actuelle cette fois. Même si Mein Kampf d’Hitler était diffusé gratuitement dans le monde entier, il ne donnerait jamais naissance à des adeptes purs et durs du nazisme. L’époque a changé. Le fascisme comme l’hitlérisme sont le produit d’une époque spécifique, et la particularité de pays (l’Italie et l’Allemagne) tardivement créés. En effet, leurs Etats respectifs étaient très faibles face aux classes en conflit.
Trois classes s’affrontaient à cette époque-là : l’ancienne classe seigneuriale en voie de disparition mais toujours déterminée à lutter pour sa survie et, surtout, pour empêcher la consolidation de cette nouvelle société capitaliste portée par la bourgeoisie ; la bourgeoisie naissante résolue à imposer et à consolider son pouvoir politique ; enfin, la nouvelle classe ouvrière en gestation résolue à unir ses forces pour se constituer en parti politique et en syndicat pour affronter la bourgeoisie. En effet, à cette époque, la classe la plus menaçante, qu’elle l’avait prouvée par ses révolutions avortées écrasées dans le sang entre 1917-1923, était la Classe ouvrière. Et le mouvement ouvrier allemand était le plus important à cette époque. Et surtout le mieux organisé, le plus avancé, le mieux éduqué.
Et pour parer au danger de la révolution prolétarienne, les réponses apportées par les bourgeoisies respectives des deux pays a été d’affermir leurs Etats, de blinder leurs pouvoir, de militariser leurs économies, de verrouiller la politique par l’instauration d’un Etat policier, d’écraser les partis ouvriers, d’éradiquer les syndicats, de museler les médias, de muscler le patronat, en résumé d’asservir totalitairement leurs populations populaires.
Le communisme, la réelle menace
Ainsi, en ce qui concerne l’Allemagne, pour dompter la menace de la classe ouvrière dans cette période d’agitations révolutionnaires inaugurées en Russie par la Révolution bolchevique et suivies dans le reste de l’Europe, notamment en Italie et en Hongrie, il fallait un Etat fort. D’autant plus que, après sa défaite et la signature de l’humiliant traité de Versailles, la bourgeoisie allemande se préparait déjà à reprendre sa revanche. D’où la nécessité de créer les conditions historiques pour réaliser son projet par un réarmement aussi bien militaire qu’idéologique de l’Allemagne. Et le principal ennemi était le communisme, représenté par les Bolcheviks auxquels étaient associés les Juifs car ils constituaient le plus grand nombre au sein du Parti bolchevique. De même pour le parti Spartacus, dont les membres étaient majoritairement juifs, était tenu responsable de la défaite de la guerre comme de la tentative révolutionnaire avortée. Dès lors le communisme, dans l’optique réductrice de la bourgeoisie réactionnaire allemande, est devenu synonyme de Juifs. La principale préoccupation était donc de s’attaquer au communisme personnifié par le juif (le judéo-bolchévisme), et soumettre la classe ouvrière allemande pour la préparer à la guerre.
Hitler, peintre raté mais brillant orateur, est parvenu à s’imposer grâce au soutien du capital allemand, notamment par le financement de son parti et de sa milice créée pour mater les ouvriers et les communistes. Toute sa rhétorique était axée sur la dénonciation du marxisme et accessoirement sur la finance juive. Mais son ennemi principal était le communisme. Rien d’étonnant pour un représentant du capital en proie à cette époque à une grave crise économique et à des agitations ouvrières. Ainsi, l’hitlérisme est le produit du capital allemand.
Comment le sionisme a justifié la colonisation de la Palestine
Frustré par la défaite de sa guerre impérialiste, l’absence d’espace vital (à savoir l’absence de colonies pour disposer de matières premières gratuitement comme les autres puissances impérialistes anglaise et française), et la fermeture des marchés extérieurs pour l’écoulement de ses produits, le capital allemand fourbissait ses armes pour régler militairement ces deux problèmes. D’ailleurs, à la veille du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, Hitler a déclaré : «L’Allemagne doit exporter ou périr.» Aussitôt, il a lancé ses troupes sur toute l’Europe pour accaparer ses richesses et favoriser l’industrie allemande.
Pour finir, le plus cynique dans cette histoire de la Seconde Guerre mondiale, du moins en Europe comme dans le reste des pays «occidentaux», favorisée par une outrancière manipulation idéologique et falsification historique, c’est la perception de l’opinion publique de cette tragédie capitaliste. Neuf personnes sur dix réduisent cette effroyable 2e boucherie impérialiste à la Shoah, c’est-à-dire à la seule mort des 6 millions de Juifs. Occultant ainsi totalement le massacre des 60 millions de morts majoritairement civils provoqués au cours de cette seconde boucherie mondiale. Il faut rappeler que l’URSS a payé un lourd tribut avec ses 30 millions de morts, sans oublier les millions d’autres victimes des autres pays, à savoir 24 millions de morts.
Il est vrai qu’aux yeux du sionisme la vie d’un juif vaut mille fois plus que celle d’un Goy. Et le sionisme s’est chargé depuis des décennies de faire la propagande sur la Shoah aux fins de la culpabilisation de toute la planète pour justifier la colonisation de la Palestine par Israël.
Alors, publier ou interdire Mein Kampf, c’est un faux débat, et certainement pas un digne combat !
M. K.
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