Faits divers politisés et faits politiques ravalés
Par Mesloub Khider – Deux événements médiatiques ont défrayé la chronique ces derniers jours en Algérie. Ces deux shows ont mobilisé les réseaux sociaux pour relayer ces informations et commenter ces deux anecdotes. A l’ère de l’information instantanée filmée, tout un chacun peut visionner à sa guise des images sur internet. Dans notre société du spectacle, le spectateur est roi et la société nue. Plus aucun événement n’échappe à son regard voyeuriste (voyouriste).
Normal pour un Algérien habitué à vivre en spectateur de la politique et non en acteur du destin de son pays. Compréhensible pour un spectateur dont le scénario et la réalisation de la vie sont écrits et décidés par ses maîtres, détenteurs du pouvoir politique et économique. Lui, pour qui la filmographie existentielle est désespérément vide, faute d’avoir été le scénariste et réalisateur de sa vie, compense sa vacuité par le visionnage de la vie des vedettes.
On ne s’improvise pas acteur de sa vie, quand on a été réduit depuis sa naissance à occuper seulement les strapontins de la société. Quand on n’est pas résolu à déchirer l’écran derrière lequel se dessine et se trame en coulisses le scénario de notre misérable existence. Pour arracher les masques de ces hideux personnages responsables du drame de notre vie. Pour faire tomber une fois pour toutes les rideaux de cette tragique pièce qui se joue de nous et contre nous. Pour briser tous les écrans de fumée qui nous enfument avec leurs soporifiques informations.
Aujourd’hui, le moindre petit fait divers mondain prend, par le miracle de la médiatisation à la solde, des proportions politiques. Le plus grave fait politique se retrouve, toujours par le miracle de la médiatisation soldée, réduit à la portion congrue (incongrue).
Cachez-moi cette infamie politique que je ne saurai voir. Montrez-moi ce sein affamé pour nourrir ma curiosité libidinale. Tels sont les mots d’ordre des médias aux ordres. Des médias s’alimentant d’ordures. Et les lecteurs et spectateurs, bien ordonnés pour ramasser les détritus médiatiques, se pressent pour fouiller dans les poubelles de la presse de caniveau de quoi alimenter leurs bave-ardages (bavardages).
Deux personnages, liés et alliés du pouvoir, viennent d’être victimes d’une entreprise de déstabilisation ourdie par quelque entité nébuleuse. Dans les deux cas, des caméras se sont chargées de filmer les deux grandes personnalités dans des postures pour le moins douteuses et compromettantes.
Le premier, patron de son Etat, dirigeant d’entreprise reconnu pour son humanité envers ses subalternes au point de partager leur pitance et d’aligner son salaire sur celui de ses employés, a été victime d’un montage à ses dépens. Et a fini par être remercié par sa hiérarchie ministérielle pour ses déloyaux et mauvais services (sévices). Le second, célèbre écrivain, qui n’a pas pondu que des écrits vains, filousophe de son état, révolutionnaire dans sa prime jeunesse, mais qui a mis beaucoup d’eau dans son verre pour diluer son rouge, devenu pilier du pouvoir réputé pour la sobriété de sa politique mais surtout pour l’ébriété de ses répressions, toujours aussi téméraire mais pas courageux, a été poussé dans ses retranchements jusqu’à retrancher toutes ses croyances d’athéisme et à abjurer son athéisme de croyance.
Dans les deux cas de figure, la figuration a joué un grand rôle dans la représentation de ces événements filmés. Et les téléspectateurs – ou plutôt les internauto-spectateurs – se sont bousculés pour visionner les films de ces deux vedettes basculées dans leur intimité. Ils n’ont pas été déçus des bousculades livrées en pâture sur la Toile. Ils se sont ainsi rassasiés par l’ingurgitation de ces indigestes plats filmés. Sans oublier les multiples articles rapportés dans la presse écrite et numérique.
On voudrait nous faire passer un vaudeville pour une tragédie. En vérité, la vraie tragédie s’expose quotidiennement aux yeux des Algériens réduits à la subir dans l’indifférence générale. Chaque jour, les mêmes scénarios de brimades et d’humiliations se répètent à l’infini sur la scène de la vie algérienne. Silence, on tourne, clament les dirigeants du pouvoir depuis 1962. Traduction : taisez-vous, on vous gouverne en-devers vous et contre vous. Et, au moment des élections, on leur lance pour amuser la galerie représentative : souriez, vous êtes filmés pour immortaliser cette mascarade électorale.
Ainsi, en matière de brimades et d’humiliations, le simple et ordinaire citoyen algérien est amplement servi. Et non point sur un plateau de télévision qu’il ne fréquente assidûment que du côté de sa misérable masure pour vivre par procuration à travers l’écran télévisuel, mais dans les multiples lieux sinistrés et délabrés de son existence anonyme et fantomatique. Et nul média ne se fait l’écho des malheurs de ces Algériens du plat pays. Ignorés des médias qui côtoient (tutoient) les sommités du pays, ils vivent l’humiliation dans le silence tonitruant journalistique. Loin des feux de la rampe réservés aux nantis, les Algériens de l’ombre coulent une existence déjà anéantie. La néantisation de l’existence, l’anéantissement de la vie, voilà le lot quotidien des Algériens. Loin des caméras et de la camarilla du pouvoir.
M. K.
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