Affaire Boudjedra : des intellectuels algériens plaident pour la criminalisation du takfir
L’affaire Boudjedra pourrait être le prélude d’une formidable avancée dans le cadre juridique qui régit, en Algérie, les libertés individuelles et les droits de l’homme. Selon le média arabe Elaph, qui se réfère à l’écrivain et ancien directeur de la Bibliothèque nationale Amine e Zaoui, des écrivains et des professionnels des médias sont en train d’élaborer une proposition de projet de loi criminalisant le takfir (acte d’excommunier, de rendre mécréant) de personnes. Le texte sera présenté au Parlement dès qu’il aura suffisamment mûri pour prendre la forme d’une loi qui protège la liberté religieuse et empêche la violation des libertés individuelles.
Les promoteurs de cette initiative estiment qu’une telle loi répondrait au besoin ressenti en Algérie de punir ceux qui s’arrogent le droit d’excommunier des personnes et de porter atteinte à leurs particularismes. C’est, estiment-ils, un premier pas pour éviter l’instrumentalisation politique de la religion.
Amine e Zaoui explique que le point de départ de cette initiative a été le rassemblement de solidarité avec Boudjedra organisé le 3 juin dernier devant le siège de l’Arav. Amine Zaoui est de ceux qui considèrent que ce rassemblement n’a pas été une manifestation de l’opposition, mais une force de proposition qui ne devait pas s’arrêter au soutien à Boudjedra. Ainsi est née l’idée, chez ces intellectuels, d’apporter leur contribution par des idées nouvelles pour une Algérie moderne et tolérante.
Amine Zaoui – qui souligne que l’idée n’en est qu’à ses débuts et qu’il n’est pas le porte-parole de ses initiateurs – fait savoir que les contacts avec les députés n’ont pas encore commencé et que, sur ce point, rien ne presse dans la mesure où ce qui prime ce n’est pas l’urgence mais le résultat de cette initiative. Les contacts avec les députés seront pris une fois que les choses auront suffisamment mûri et que le texte aura la forme d’un projet de loi pris en charge par des parlementaires qui le proposeront au gouvernement qui sera en droit, poursuit Amine Zaoui, de l’accepter ou de le refuser. S’il est accepté, explique-t-il, le texte sera présenté à l’APN et suivra la procédure qui mène, en cas d’adoption, à sa promulgation au Journal officiel et à son entrée en vigueur en tant que loi.
Le texte qui sera proposé n’empiétera pas sur le domaine religieux et respectera les caractéristiques de l’Algérie, c’est-à-dire : dans la Constitution, l’islam est la religion de l’Etat ; la loi protège la liberté de conscience ; la majorité des habitants de l’Algérie sont des musulmans. Dans ce sens, Amine Zaoui affirme que le fait d’excommunier une personne n’est pas lié à une problématique religieuse mais se rapporte aux droits de l’homme et aux libertés garantis par la Constitution algérienne. Il explique qu’il ne s’agit pas d’une question qui concerne la société musulmane, mais du respect du «vivre ensemble» et que la religion reste une affaire de liberté entre la personne et Dieu ; toutefois, cette liberté ne doit pas servir à exercer un contrôle sur les autres.
Le but de l’initiative, résume Amine Zaoui, est de promouvoir une culture de la citoyenneté, des droits de l’homme et du respect des autres, le respect des différences et le respect de la vie privée. En conclusion, il caractérise le takfir comme une «maladie politique» qui prend une couverture religieuse alors qu’il ne fait pas du tout partie de la religion.
Deux pays arabes sont plus avancés que les autres sur cette question. Les Emirats arabes unis ont adopté, en juillet 2015, un décret-loi présidentiel qui criminalise tout acte qui attise la haine religieuse et interdit la discrimination «sur la base de la religion, la foi, la confession, la race, la couleur ou l’origine ethnique». Cette législation prévoit des peines très sévères allant jusqu’à la peine de mort. En Tunisie, la Constitution adoptée en janvier 2014 a introduit un article à partir d’un amendement déposé par les partis laïques, qui interdit clairement le takfir et l’incitation à la violence. Dans ce pays, la loi contre le terrorisme et le blanchiment d’argent, adoptée en juillet 2015, considère l’incitation à la violence et au takfir comme un crime terroriste.
Houari Achouri
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