El-Alia : un cimetière à l’abandon ?
Par Kamel Rachid – Vu de l’extérieur, le cimetière El-Alia a fière allure. Cependant, une fois à l’intérieur, et dépassé le premier cercle des carrés à l’entrée, c’est la stupéfaction devant autant de désolation. Le spectacle qui s’offre aux yeux est pitoyable et affligeant, et c’est le moins que l’on puisse dire : pistes défoncées, peuplées de nids de poule ou plutôt de cratères qui, par temps de pluie, se transforment en «gueltate» (fondrières), autant s’équiper alors de 4×4 amphibie pour pouvoir les emprunter.
El-qoraissa (l’oxalis), le chiendent, les ronces et bien d’autres mauvaises herbes recouvrent presque entièrement les tombes, ce qui rend hypothétique et très difficile de retrouver la sépulture d’un défunt. En outre, des détritus de tous genres sont éparpillés par-ci, par-là ! Néanmoins, le plus pénible reste d’aller à la quête de la tombe d’un disparu, c’est la galère, un véritable parcours du combattant. Aucune indication, ni signalisation ni plan, pas même un agent de l’EGPFC (l’organisme gestionnaire) pour vous informer ou vous orienter, c’est là une situation des plus préjudiciables et indignes de la plus grande nécropole de notre pays.
Ailleurs, les cimetières sont de véritables «petits paradis» sur terre ; à El-Alia, hormis le carré des soldats anglais de la Seconde Guerre mondiale, magnifiquement bien entretenu par les services consulaires britanniques et, bien entendu, les carrés 1 et 2, la quasi-totalité des autres carrés se trouvent dans un désolant état de délabrement et de déréliction.
Plus affligeant encore, la pitoyable situation où se morfondent les carrés où sont enterrés les martyrs du génocide de la «Bataille d’Alger». On citera : le carré 23 où se trouve la tombe du chahid légende, le lion de la Casbah et la fierté de tous les Algériens, Ali Amar (Ali la Pointe) ainsi que la tombe du chahid guillotiné Badèche Benhamdi (auteur de l’attentat mortel contre Amédée Froger, maire de Boufarik), mitoyen du carré 24, qui renferme les sépultures du chahid Khelifa Boukhalfa, le héros du plateau Saulière du Meissonnier, qui a tenu tête dans un combat inégal toute une journée face à la l’armada du sinistre Massuc et celle du chahid guillotiné, trois fois condamné à mort, le frêle et maladif chimiste artificier du FLN qui, face à ses juges du tribunal militaire qui le condamnaient à la peine capitale, déclara avec courage et fierté : «Pour mon pays, je saurai comment mourir…» ; le chahid Taleb Abderrahmane, pour ne citer que ceux-là, car la liste est longue de toutes les victimes de la barbarie colonialiste, qui reposent en ces lieux (gloire à nos martyrs).
Cependant, il y a de quoi pleurer des larmes de sang devant autant d’ingratitude… Pourquoi sommes-nous si peu reconnaissants envers ceux qui ont fait don de ce qu’ils avaient de plus précieux et de plus cher : la vie, pour nous rendre notre dignité ? Ah ! la grande tristesse de constater que, jusqu’à présent, de nombreuses tombes de ces valeureux martyrs non construites sont malencontreusement piétinées par les passants : c’est là un grave sacrilège ! Ces lieux auraient dû être érigés en sanctuaires dédiés à la mémoire et au recueillement car ils sont les témoins de la glorieuse page de l’histoire de notre lutte de libération écrite avec des lettres de sang de ces chouhada. C’est grâce à leurs sacrifices – et cela nous ne devons jamais l’oublier – que nous jouissons aujourd’hui des «bienfaits» de l’indépendance et de la liberté. La patrie doit leur être éternellement et infiniment reconnaissante, et nous leur devons tous les égards et une très grande considération.
Un philosophe disait : «La fatalité, c’est personne ; la responsabilité, c’est quelqu’un.» Par conséquent, la déliquescence et le mal-être dont souffrent nos cimetières ne sont pas une fatalité, il est de la responsabilité de tout un chacun et, surtout, de notre devoir à nous tous de veiller à l’entretien et à la préservation des lieux où reposent pour l’éternité nos chers disparus, c’est là une mission éminemment patriotique et de salubrité publique.
Faisant du civisme et du respect les maîtres mots de notre conduite, ils sont les véritables marqueurs de la maturité de notre société. La malheureuse situation de nos cimetières doit interpeller nos consciences humaine et citoyenne car c’est à cette condition que les nobles titres de «citoyen» et d’ «Algérien» prennent leurs véritables sens. La société civile, les associations (à une certaine époque, les Scouts faisaient leur b.a.-ba dans l’entretien des cimetières), les citoyens et les pouvoirs publics doivent conjuguer et redoubler leurs efforts pour rendre à nos cimetières leur lustre d’antan.
Pour El-Alia, l’EGPFC doit en priorité procéder à la réparation des voies d’accès aux tombes. Il serait toutefois judicieux de mettre du gravier entre les travées qui séparent celles-ci pour venir à bout de la prolifération des mauvaises herbes. Aussi, d’autres points d’eau (des citernes par exemple) doivent être mis à la disposition des visiteurs car il est anormal qu’il n’en existe qu’un seul à l’entrée pour un cimetière aussi vaste qu’El-Alia.
Pour terminer, espérons que ce cri du cœur et d’indignation d’un citoyen algérien, triste et ulcéré par la pitoyable situation de nos cimetières, en général, (même les carrés de nos martyrs n’échappent, malheureusement, pas à cette funeste malédiction) et à El-Alia, en particulier, trouvera un écho auprès de nos concitoyens, en premier lieu, et des autorités, en second, pour rendre à ces lieux la dignité qui leur revient et qu’ils méritent car c’est seulement à cette aune qu’on jaugera de la grandeur de nos valeurs morales et patriotiques.
K. R.
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