Les étudiants font la loi face au laxisme de l’Etat : où va l’université ?
La famille universitaire n’a pas encore digéré l’affaire de l’assassinat de l’enseignant Karoui Sarhane de l’université de Khemis Miliana par deux de ses étudiants, qu’un groupe d’étudiants du centre universitaire de Ksar Chellala, dépendant de l’université de Tiaret, dans l’ouest du pays, défraie la chronique. Recalés pour divers motifs de la spécialité des sciences économiques, les étudiants en question ont pris en otage un groupe d’enseignants dans l’après-midi d’hier pendant plus de 4 heures, afin de les amener à invalider les résultats du semestre, refusant de refaire l’année universitaire.
L’assassinat du jeune enseignant à Khemis Miliana, la semaine dernière, a soulevé une vague d’indignation au sein de la communauté universitaire. A contrario, la tutelle s’est contentée d’un communiqué laconique pour dire que ce crime n’a rien à voir avec l’université. Quel cynisme !
Ce n’est pourtant pas la première fois que des crimes aussi abominables ont lieu dans nos universités. Leur multiplication pose en toile de fond la question de l’insécurité dans les campus.
Juste avant le Ramadhan, une bande de délinquants a violé la franchise universitaire d’une cité U sur les hauteurs d’Alger pour bastonner un étudiant qui avait osé leur tenir tête aux abords de la cité.
En outre, cette déliquescence dans laquelle sombre l’université est due à l’absence de rigueur dans les cursus. Nacer Djabi, célèbre sociologue auteur de livres sur la société algérienne qui a claqué la porte de l’Université algérienne il y a quelques semaines parce qu’il ne pouvait plus supporter cet état de fait, explique dans une réaction par rapport à l’assassinat de Karoui Sarhane que les maux de l’université ne sont pas tous produits par la société, mais qu’une bonne partie de ses travers sont le fruit de l’université elle-même. Notons que dans une lettre postée sur sa page Facebook le 20 mai dernier annonçant sa démission de l’université, Djabi dit laisser une université «à l’agonie», livrée à la «violence et la corruption».
En effet, tout le monde se plaint du phénomène de la distribution des notes à l’emporte-pièce pour éviter une surcharge des salles, des amphis, des cités U, etc. Cette pratique illégale, œuvre de certains enseignants qui n’ont aucun scrupule, porte une grave atteinte à l’Université algérienne, à son niveau, son prestige et par-là même met en danger les personnes intègres qui y travaillent.
Selon le sociologue Nacer Djabi, l’Université algérienne ne peut plus être réformée. Des situations de rente dont profitent les différentes catégories (syndicats, organisations d’étudiants…) rendent la situation inextricable.
Dans sa lettre d’adieu, le sociologue a prévenu que la violence au sein de l’enceinte universitaire va croître et se développer, «car les conditions objectives et subjectives qui y conduisent sont réunies dans la majorité des institutions». De même qu’il a prédit que «le niveau d’instruction des étudiants et des enseignants va se dégrader davantage et les différentes formes de corruption vont prendre des dimensions industrielles».
Il ressort du constat du sociologue et de beaucoup de ses pairs que l’Université algérienne est laissée à l’abandon sciemment, parce qu’une réforme profonde et globale serait onéreuse pour les pouvoirs publics. De plus, la réforme exige d’identifier les maux et les positions acquises par certains partis, syndicats et organisations estudiantines dans l’enceinte universitaire qui se dressent comme un rempart contre cette réforme.
Enfin, le consensus, condition sine qua non pour cette réforme, n’existe pas aujourd’hui dans nos campus. Des divergences doctrinales, politiques et linguistiques divisent la communauté universitaire.
Dans les pays qui se respectent, un ministre démissionne lorsqu’un crime est commis dans son secteur, à plus forte raison lorsque c’est l’ignorance qui tue le savoir.
Ramdane Yacine
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