Biotechnologie en Algérie : le projet du quatrième pôle mondial compromis ?
L’Algérie ambitionne de devenir le quatrième pôle biotechnologique dans le monde à l’horizon 2020. Pour ce faire, quatorze grands laboratoires, dont Pfizer, Merck, Abbott, Eli Lilly, MSD, Johnson & Johnson, Novartis, Roche, Bayer et GSK, sont mis à contribution pour réussir ce pari. L’élaboration d’une feuille de route stratégique pour l’industrie pharmaceutique innovante en Algérie (vision 2020) a été confiée par PhRMA au cabinet Deloitte. Mais le rapport de 200 pages élaboré par les consultants du cabinet Deloitte à ce sujet relève «plus de points faibles que de points forts pour l’Algérie», selon un article paru dans le journal français La Tribune dans son édition d’hier.
L’étude Deloitte note le «manque de transparence quant aux procédures d’investissement et d’installation», «l’instabilité politique», la loi «imposant» à l’Etat de détenir «51% des investissements étrangers», «la non-adéquation et lenteur du système bancaire algérien qui freine les investissements». L’étude Deloitte pointe aussi du doigt «l’absence d’une stratégie à long terme garantissant la stabilité des activités industrielles» et révèle que des ministres ont émis des réserves sur l’implication de certains organismes non gouvernementaux dans la conduite de cette étude. Une allusion à PhRMA.
Selon le rapport en question, l’Algérie ne disposerait pas de «cadre institutionnel régulant la recherche clinique». Le document parle aussi du «manque de moyens financiers, de la discontinuité des procédures engagées, du manque de volontaires».
Comme pour ridiculiser le domaine scientifique algérien, le cabinet Deloitte note que «l’Algérie effectue onze essais cliniques par an, contre plus de 300 en Egypte et plus de 500 en Afrique du Sud».
Citant le président du Conseil d’affaires algéro-américain, Smaïl Chikhoune, le cabinet relève que les laboratoires américains veulent aussi «une loi pour la protection de la propriété intellectuelle afin de protéger de nouvelles molécules», explique-t-il. Parmi les points faibles, Deloitte évoque également «le marché de la contrefaçon et la vente et importation parallèle des médicaments».
Pour enfoncer le clou, les rédacteurs du rapport Deloitte font parler des producteurs locaux sous le couvert de l’anonymat pour fustiger «une mainmise» américaine dans le secteur pharmaceutique national. «Ce n’est pas aux Américains de définir notre stratégie dans le médicament», estime un producteur algérien. Les industriels privés locaux ont boudé l’enquête, dénonçant leur marginalisation dans ce projet par le ministère de la Santé. «Les Américains cherchent à exporter leurs produits innovants en Algérie. Pour l’investissement, ils vont dire que l’environnement des affaires est mauvais. En réalité, ce projet vise à réduire la part de marché des labos français et à ouvrir la porte aux Américains», explique un industriel local repris par le journal français La Tribune.
Pour l’implantation du pôle biotechnologique, l’Algérie a aussi des points forts à capitaliser, selon la même étude. «Le positionnement géographique qui lui permettra d’exporter ses produits en Afrique et au Moyen-Orient, les coûts bas de la main-d’œuvre, la croissance économique, l’existence d’un système de remboursement de médicaments et de sécurité sociale, une population de 36 millions d’habitants, 45 000 cas de cancer recensés par an, des importations annuelles de médicaments de plus de deux milliards de dollars et près de 200 milliards de dollars de réserves de change», note l’étude.
Smaïl Chikhoune contre-attaque
Les Etats-Unis comptent beaucoup sur le climat d’investissement en Algérie pour mettre en place le quatrième plus important pôle de l’industrie pharmaceutique dans le monde, selon le président du Conseil d’affaires algéro-américain, Smaïl Chikhoune, qui a expliqué pour le site de la chaîne Al-Hurra que les négociations avec le complexe Pharma, qui comprend les produits pharmaceutiques, les laboratoires de recherche et universités spécialisées, sont toujours en cours en vue de concrétiser ce projet.
Smaïl Chikhoune, qui ne fait aucunement référence au rapport du cabinet Deloitte paru la veille, estime que ce projet sera le quatrième de son genre dans le monde en termes de valeurs économiques et scientifiques, ajoutant qu’il existe actuellement dans le monde le pôle de Boston qui a un siècle d’existence, suivi du pôle de Dublin, en Irlande, qui est vieux de 50 ans. En troisième position, le pôle de Singapour qui existe depuis 30 ans.
Sur le choix de l’Algérie pour la concrétisation de ce projet, Smaïl Chikhoune explique les Américains ont pris en compte un certain nombre de mesures, «dont la plus importante est la stabilité politique par rapport à de nombreux pays africains et arabes ainsi que la stabilité économique à la lumière de la disponibilité de la liquidité financière et la dette extérieure limitée en Algérie».
L’Algérie dispose d’un grand nombre d’étudiants qui sont déployés sur les centres de recherches spécialisés et les universités. «Ils pourraient constituer la matière grise essentielle pour ce projet», indique-t-il.
Dans la foulée, il annoncera qu’une délégation scientifique américaine composée de cinq directeurs de laboratoires se rendra en Algérie dans les semaines à venir. La délégation sera conduite par le chercheur algérien Nordine Melikechi du Massachussetts Institute of Technology (MIT) pour discuter des détails du projet avec les autorités algériennes.
Selon le président du Conseil d’affaires algéro-américain, de nombreux chercheurs algériens exerçant aux Etats-Unis et en Europe ont exprimé leur souhait d’intégrer ce projet. «J’ai reçu de nombreux messages de chercheurs algériens de différentes régions du monde», dira-t-il.
Ramdane Yacine
Comment (17)