Derrière l’hommage par Bouteflika à El-Alia se profile le 5e mandat
Par Youcef Benzatat – A l’occasion de la célébration du 55e anniversaire de la fin de l’occupation barbare française, le 5 juillet 2017, c’est un imam qui officia la commémoration de cette date au cimetière El-Alia, en présence du président Abdel Aziz Bouteflika et des autorités civiles et militaires du pays. Ce ne fut pas un élu du peuple qui a été chargé de cette mission, un élu qui aurait été désigné par un gouvernement légitime, élu lui aussi par le peuple, mais bien un imam qui a été certainement choisi pour dire devant l’assistance et les caméras un texte qui lui a été communiqué par les propagandistes des coulisses de la présidence de la République. Ces êtres serviles, cooptés spécifiquement pour ce genre de tâches ingrates et dirigées contre le peuple pour le maintenir loin des préoccupations du devenir de la nation et de sa participation au parachèvement du combat libérateur, par l’édification d’une nation prospère et d’un Etat de droit garant de la dignité et du bonheur de tout le peuple algérien.
Le texte récité à l’occasion par cet imam de circonstance n’avait pas pour objet de déclamer la reconnaissance de l’immense sacrifice consenti par les martyrs et l’endurance dans la souffrance du peuple dans sa résistance à la cruauté inhumaine que lui infligeaient les soldats de l’apocalypse déclenchée contre eux par l’ennemi français. Ni de faire l’inventaire des tâches accomplies et celles qui restent à venir pour parachever le combat libérateur du peuple algérien. Le texte que récita cet imam était la négation de tout ça.
Le principal objet qui s’en est dégagé fut surtout la glorification mystifiée de Bouteflika en sa personne propre, en évacuant toute référence appuyée aux martyrs. Il lui a été attribué une grandeur démesurée de son rôle et de ses réalisations imaginaires, pendant et après la guerre de Libération nationale. Alors qu’en vérité, il a dilapidé près de mille milliards de dollars de la rente sans parvenir à impulser aucune dynamique de développement économique, social, culturel et politique depuis son accession au pouvoir en 1999.
En fait, l’objet non avoué du prêche pollué de cet imam était surtout destiné à la propagande pour le faire perdurer dans sa fonction, indéfiniment, bien plus qu’un cinquième mandat qui se trame dans ces mêmes coulisses.
Un fait que la sociologie politique atteste serait que tout acte de parole, de fait et geste politique n’est motivé principalement que par l’accession ou la conservation de l’exercice du pouvoir et dont le cas de Bouteflika n’en est que la confirmation. Même s’il le faudra, pour arriver à cette fin, sacrifier l’histoire et les idéaux révolutionnaires sur lesquels le peuple algérien a misé pour s’émanciper de sa condition de néantisation.
Joignant l’appui démagogique d’un imam par la prétendue sacralité de sa parole à l’adresse de l’opinion nationale, à l’instrumentalisation de la souffrance du peuple algérien sous la barbarie coloniale, dans un autre texte, adressé cette fois à l’arrogante et méprisante attitude des auteurs des crimes ayant produit cette souffrance, Bouteflika voulait briser l’image dont il est perçu par la conscience collective, d’être contraint de brader la souveraineté nationale et de profaner la mémoire des martyrs pour bénéficier d’un soutien extérieur pour préserver son pouvoir et celui du système qu’il représente.
En vérité, ce texte est plutôt adressé à l’opinion nationale, pour l’assurer de sa volonté à vouloir tenir rigueur à l’ancienne puissance coloniale pour les crimes commis contre le peuple algérien pendant les 132 ans d’occupation.
Une propagande qui vise à atteindre la sensibilité la plus vive qui ronge la mémoire collective et responsable de cette souffrance et des plaies béantes accumulées le long de la nuit coloniale. Une trompeuse volonté qui n’est destinée en vérité qu’à la réconciliation du corps électoral avec le processus du vote qui se profile en 2019 en vue de sa réélection pour un 5e mandat. Sachant qu’aux dernières législatives, seulement 10 à 15% de ce même corps électoral s’était déplacé pour aller voter. Composé essentiellement de la clientèle du pouvoir, de près ou de loin, directement ou indirectement bénéficiaire d’un moindre dividende de la rente. Une situation qui aggrave encore plus la perception de l’illégitimité de son pouvoir. Cette disposition rend la demande de reconnaissance de cette souffrance inconsistante aux yeux de leurs auteurs. Car le demandeur n’est même pas légitime à formuler cette demande au nom du peuple algérien. Bouteflika peut toujours formuler cette demande en son nom et au nom du système qu’il représente.
Car on ne peut demander une reconnaissance des souffrances d’un peuple aux auteurs des crimes de tout genre commis contre lui – crimes contre l’humanité, crimes de guerre, enfumades, étouffoirs, assassinats arbitraires, tortures, viols, destruction des structures anthropologiques, sociales, politiques, économiques, culturelles, confiscation des terres, pillage des richesses, génocide, apartheid et annexion définitive du territoire –, pendant que les auteurs de ces crimes considèrent cela de la «colonisation positive», allant jusqu’à lui consacrer une loi pour l’affirmer, même si celle-ci fut abrogée quelque temps après, et leur consacrer une relation de coopération économique exceptionnelle et privilégiée par des traités où la reconnaissance de ces souffrances est évacuée des négociations !
Il aurait fallu, pour être crédible devant l’opinion nationale, intégrer cette condition de reconnaissance de cette souffrance dans tout préalable de négociation de coopération pour établir un climat de sérénité et de confiance réciproque. Il aurait fallu surtout élaborer une loi criminalisant toute forme de négationnisme de ces crimes.
Il est évident que, pour le système politique qui a confisqué l’indépendance nationale et enfoui l’éclat universel de la glorieuse révolution de Novembre, prédateur, corrompu et liberticide, exiger de telles conditions serait contreproductif pour sa pérennité et les privilèges qui en découlent. Bouteflika peut aller jusqu’à se rendre hommage à lui-même et collaborer avec le diable s’il le faut, sous le masque d’un bienfaiteur de la nation et celui de garant de la souveraineté nationale, pour préserver son pouvoir.
Cela concerne également l’élite intellectuelle démissionnaire et les faiseurs d’opinion dans les médias pour qui la non-implication dans ce débat constitue une garantie de survie et la préservation de ses intérêts. Sachant que dans leur majorité, ces élites ont soit un pied dans le système de pouvoir algérien, soit dans la métropole de l’ancienne puissance coloniale. Les deux catégories craindront à coup sûr des représailles désavantageuses pour leurs intérêts si elles s’impliquaient ouvertement. Cette élite intellectuelle passive est condamnée à suivre deux trajectoires permanentes dans ce genre de situation. La première correspond à ce que Gramsci leur prédit, à savoir se contenter d’assumer le rôle d’intellectuels organiques. La seconde trajectoire est celle que Josef Losey décrit dans son film Les routes du sud, qui a vu les intellectuels espagnols planqués un peu partout en Europe emprunter le chemin du retour vers la terre patrie après la mort du dictateur Franco. A la traîtrise des uns s’ajoute la lâcheté des autres, contre le peuple, contre la nation et contre l’édification d’un Etat souverain et prospère, en attendant que la tyrannie ne s’effondre.
Y. B.
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