Exclusif – Bassam Abu Sharif : «L’Algérie est notre référence suprême»
C’est dans une Rome figée en ce début juillet par une canicule paralysant tant les touristes que les Romains que je crois avoir reconnu l’autre soir, et par le plus pur des hasards, dans une trattoria du centre historique, Bassam Abu Sharif, ancien conseiller du président Yasser Arafat et un des tous premiers fondateurs du Front pour la libération de la Palestine (FPLP).
Le dignitaire palestinien hôte du Parlement italien est en famille et visiblement veut profiter de ces quelques moments dans la Ville éternelle dans le calme et loin des polémiques des derniers jours. De jeunes colosses attablés à ses côtés veillent apparemment à ce qu’il en soit ainsi. Néanmoins, têtu et téméraire, je m’approche de lui et je me présente…
Algériepatriotique : Seyyed Bassam, je suis un journaliste algérien, puis-je vous poser quelques questions ?
Bassam Abu Sharif : Ahlan ! Asseyez-vous, mais sachez que je réponds à l’Algérien, pas au journaliste (rire…) ! J’aime beaucoup votre peuple, brave et courageux… même si tout cela ne va pas me rajeunir ! Plus de cinquante ans déjà. Seuls les plus anciens se souviennent de cette Algérie de 1962, pratiquement sacralisée par les hommes libres du monde entier et par nous, jeunes Palestiniens, pour qui elle était la référence suprême. Trop de souvenirs hélas ! Au départ, et j’avait onze ans, Djamila Bouhired et son courage ; je me souviens de notre colère suite à son arrestation, mais aussi de notre fierté. Hassiba et son sacrifice émouvant. Des années plus tard, de longs dialogues avec les défunts Boumediene, Chadli Bendjedid, votre actuel président Bouteflika et un prince comme Rabah Bitat qui n’élevait jamais la voix, mais qui se faisait très bien comprendre… Cinq grands témoins et acteurs de la Révolution algérienne avec qui j’ai eu très humblement, en ma qualité de conseiller d’Abou Ammar, à évoquer, de par leur engagement, l’action et le parcours dans le combat que livra cette génération durant les années de l’infamie coloniale. D’ailleurs, l’essor de la mémoire et du sentiment de fidélité algérienne se poursuit encore aujourd’hui vis-à-vis et grâce à ces hommes et aux djounoud algériens qui ont tout sacrifié pour leur patrie et qui l’ont fait avec une foi en l’avenir, de la bravoure et du courage… C’est le peuple du million et demi de martyrs !… Et c’est ce peuple forgé par son histoire et par la substance de son vécu qui a permis à l’Algérie d’éloigner les desseins de déstabilisation qui lui étaient récemment promis par ce mensonge qu’est le printemps arabe.
Je vous sens très ému…
Effectivement, je le suis…
Vous êtes à Rome, invité par le Parlement italien et par la commission d’enquête parlementaire sur l’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro par les Brigades rouges et sur de possibles connexions palestiniennes…
Vous êtes bien informé…
C’est dans tous les journaux…
Ecoutez, je vais vous livrer un souvenir personnel pour confirmer ce que j’ai dit l’autre jour aux parlementaires italiens. Nous n’avons jamais eu, je dis bien jamais, de contact avec les Brigades rouges. Ils ont essayé d’en nouer avec nous, mais le FPLP est resté jusqu’au bout sourd face à cet intérêt, par ailleurs, jamais exprimé de manière directe, tant ils devaient se douter de notre scepticisme et de notre méfiance à leur égard. Georges Habache et Wadii Haddad avaient pris un engagement écrit avec Aldo Moro et avec les gouvernements italiens successifs de ne pas exporter notre lutte contre l’occupant israélien sur le territoire italien et ils n’auraient jamais cautionné un rapprochement avec une formation qui était devenue un danger mortel pour la cohésion politique de l’Italie, au début de ces années 1970. De même, dès l’apparition de cette formation sur la scène italienne et européenne, nombre de nos amis nous ont fait part de leurs doutes quant à sa fiabilité. Certains disaient même qu’elle avait été dès le départ infiltrée par les services de sécurité de pays n’ayant aucune sympathie pour la cause palestinienne. Je vous dis cela pour vous remettre dans le contexte de l’époque. Il y a lieu de rappeler que les Italiens nous ont toujours aidés, tant ils étaient convaincus que notre cause était juste, et nous ont toujours dit que nous étions en droit de revendiquer un Etat sur notre terre… Encore de nos jours, parlez avec l’Italien de la rue et il vous dira les mêmes choses. A la fin des années 1960, grâce à ce soutien, nos enfants purent suivre leurs études en Italie et nous reçûmes une importante aide médicale que nous partagions entre les camps de réfugiés du Liban, de Syrie et de Jordanie.
Quant à Aldo Moro, il avait une vision de la Méditerranée et du monde qui était la nôtre, celle d’une coopération partagée entre les peuples basée sur des principes aussi simples que la justice, la dignité et la légalité internationale, et une chose est sûre, c’est sa politique étrangère qui permit deux ans après son lâche assassinat la déclaration de Venise du G7 qui reconnaissait les droits légitimes du peuple palestinien. Enfin, un peu de logique, pourquoi aurions-nous dû aider ceux qui ont enlevé et assassiné un homme de cette stature qui plus est voulait se démarquer de l’hégémonie américaine et son tropisme israélien et souhaitait avec d’autres créer un grand espace de paix et de stabilité, ce qui lui a valu d’ailleurs le ressentiment de certains milieux outre-Atlantique. Preuve en est, le fait que durant les 55 jours de sa détention, aucun de nos interlocuteurs en Italie ne prit au sérieux ceux qui poussaient pour solliciter des bons offices de notre part.
Durant votre audition, vous avez parlé de centaines d’Italiens qui s’entraînèrent dans vos camps et qui s’engagèrent à vos côtés…
Et je le confirme ! D’ailleurs, l’ancien chef des services secrets italiens en avait été informé et savait que leur zone d’action excluait l’Italie et l’Europe. Ces jeunes voulaient nous aider à bâtir notre nation et ils le faisaient avec la fougue et la conviction de ceux qui accomplissent une action de justice et de soutien à un peuple opprimé. L’injustice qui nous a été faite les a conduits à la résistance palestinienne, les a fait rejoindre notre histoire et permis de participer à l’aboutissement de ses objectifs.
Un dernier mot : que reste-t-il chez Bassam Abu Sharif de ces années 1970 ?
Tout reste à faire, notre génération en quête de justice a fait ce qu’elle a pu, avec, j’insiste, le contexte de l’époque. Un jour, nos parents ont connu l’exil, l’arrachement. Celle de nos enfants se devra d’incarner jusqu’au bout nos espoirs, loin des prétendues différences et barrières religieuses ou raciales, tant à la mode de nos jours et que les Palestiniens réfuteront toujours.
Propos recueillis par Mourad R.
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