Amar Belani : «L’UE encourage le Maroc à poursuivre ses actions obstructives»
L’ambassadeur d’Algérie à Bruxelles et auprès de la Commission européenne, Amar Belani, a accordé un entretien à Afrique Asie, à la veille de la seconde visite de travail en Algérie, les 19 et 20 juillet prochains, du Commissaire européen chargé de la Politique européenne de voisinage, Johannes Hahn. Nous le reproduisons in extenso, avec l’aimable autorisation d’Afrique Asie.
Afrique Asie : Le commissaire européen Johannes Hahn chargé de la Politique européenne de voisinage se rendra à Alger en visite de travail les 19 et 20 juillet 2017. Quels seront les principaux points à l’ordre du jour des discussions bilatérales ?
Amar Belani : Cette visite du commissaire Hahn, la deuxième après celle qu’il a effectuée en mai 2016, revêt une importance particulière. Elle reflète la dynamique positive qui caractérise les relations bilatérales et le souci partagé par les autorités algériennes et européennes de créer les conditions d’un dialogue suivi et permanent sur les questions d’intérêt commun.
Cette évolution qualitative s’est renforcée depuis le début de cette année où on a enregistré pas moins de quatre rencontres à haut niveau qui ont eu lieu à Bruxelles et à Alger, notamment entre Mme Federica Mogherini, Haute Représentante de l’UE, et les représentants du gouvernement algérien.
La visite de Hahn constituera ainsi une nouvelle séquence politique de ce rapprochement avec un focus sur la déclinaison opérationnelle des projets convenus d’un commun accord. Elle sera suivie, le mois d’octobre prochain, par la visite à Alger du commissaire européen, Julian King, chargé de l’Union de la sécurité.
La visite du commissaire européen fait également suite à l’adoption des priorités communes de partenariat lors de la 10e session du Conseil d’association Algérie-UE qui s’est tenue à Bruxelles le 13 mars 2017. Il s’agit d’une véritable feuille de route qui articule les principaux axes de la coopération bilatérale pour la période 2017-2020 dans les domaines jugés clés dans la consolidation des relations Algérie-UE, tels que la gouvernance politique, le partenariat dans le domaine de l’énergie, le dialogue stratégique dans le domaine de la sécurité, la diversification économique et le dialogue dans le domaine de la dimension humaine, de la migration et de la mobilité.
De par la diversité des points qui seront abordés lors de la visite du commissaire Hahn, qui couvrent un large éventail de questions en lien avec les relations bilatérales et, plus largement, avec la situation dans la région notamment au Sahel et en Libye, on relève, non sans satisfaction, l’importance qu’attache l’Union européenne à consolider le partenariat riche et multidimensionnel avec l’Algérie, en engageant avec ses autorités un dialogue ouvert visant une meilleure compréhension des défis auxquels elles font face et l’examen des voies et moyens d’y répondre dans le respect de leur souveraineté et en tenant compte de leurs intérêts respectifs.
L’Algérie suit de près les négociations en cours entre la Commission européenne et le Maroc pour l’adaptation de l’Accord d’association UE-Maroc dans son volet relatif à la libéralisation des échanges des produits agricoles de la pêche. Elle a exprimé à ce sujet ses inquiétudes quant aux conséquences négatives du processus engagé par l’UE sur la décision de la Cour de justice de l’UE du 21 décembre 2016. Pourriez-vous nous en dire plus sur les préoccupations de l’Algérie ?
Pour faire court et simple, compte tenu de la complexité du sujet, les préoccupations de l’Algérie relativement à la démarche de l’UE se résument en trois points : primo, l’incompatibilité des termes du mandat de négociations, tel que confié à la Commission européenne, avec les dispositions de l’arrêt de la Cour de justice européenne, en ce qu’il prévoit d’amender certaines parties de l’accord d’association UE-Maroc pour conférer l’origine marocaine aux produits issus du Sahara Occidental. En clair, les négociations portent sur l’extension du champ d’application de l’accord UE-Maroc pour y inclure le territoire disputé du Sahara Occidental. Il s’agit là d’une démarche qui vise à accommoder le Maroc en violant la légalité internationale, y compris la décision de la Cour de justice de l’UE du 21 décembre 2016, qui avait conclu à l’inapplicabilité de l’Accord en question au territoire non autonome du Sahara Occidental.
Deuxio, la démarche de la Commission contredit également les déclarations bienvenues d’officiels européens, dont le commissaire européen à l’énergie et au climat, Miguel Arias Caneté, en janvier 2017, et celle de la haute représentante de l’UE, Federica Mogherini. Cette dernière a reconnu, dans une communication écrite datée du 4 mai dernier en réponse à la question d’un eurodéputé, que «le Sahara Occidental est inscrit sur la liste des territoires non autonomes de l’ONU et que son statut définitif continue de faire l’objet d’un processus de négociation mené sous l’égide des Nations unies, dont l’UE ne peut préjuger de l’issue».
Tertio, sous la pression d’influents gouvernements européens «alliés» du Maroc, et pour ne pas mécontenter ce dernier, la Commission européenne n’envisage pas d’associer le Front Polisario, unique représentant légitime du peuple sahraoui, au processus de négociations en cours. A travers cette démarche exclusive, et pour sauver les apparences, la partie européenne s’accommoderait d’une entité fantoche créée, de toutes pièces, par les autorités marocaines, érigée en représentant des Sahraouis. Le prochain round de négociations, prévu les 18 et 19 juillet à Rabat, devrait consacrer, malheureusement, les termes de ce marchandage destiné à contourner l’arrêt de la Cour de Justice de l’UE.
La conjugaison de ces trois éléments produit une situation extrêmement préjudiciable qui pourrait potentiellement affecter le bon déroulement du processus politique que le nouveau secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, tente de redynamiser avec l’appui unanime des membres du Conseil de sécurité de l’ONU, et ce, quelques semaines seulement après la nomination de l’Allemand Horst Köhler en tant qu’envoyé personnel du SG de l’ONU au Sahara Occidental.
Sur ce point justement, le Maroc consolide progressivement et dans l’indifférence générale son occupation illégale du territoire sahraoui et va jusqu’à délimiter unilatéralement ses frontières, sans que personne trouve rien à en redire. Comment expliquer ce silence de la communauté internationale ?
Je partage totalement votre indignation. Pour prendre le cas de l’UE, je dirai que la démarche de la Commission européenne s’apparente à une prime à l’intransigeance du Maroc, qui se voit ainsi encouragé à poursuivre, en toute impunité, ses actions obstructives sur la voie du règlement du conflit et à consolider sur le terrain l’occupation d’un territoire sur lequel aucun Etat au monde ne reconnaît la souveraineté du Maroc.
Loin d’être propre à l’UE, cette tendance malvenue touche malheureusement d’autres sphères décisionnelles. Au sein de l’ONU, par exemple, le Maroc refuse obstinément, en dépit des injonctions du Conseil de sécurité, de rétablir la Minurso dans la plénitude de son fonctionnement. Il le fait en traînant les pieds pour réadmettre une partie de la composante civile et politique de cette mission onusienne qu’il avait expulsée manu militari en 2016, en réaction aux propos de l’ancien secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon.
Il le fait également en appelant à des coupes dans le budget alloué à la mission, dont le Maroc ne perçoit l’utilité que dans l’observation du cessez-le-feu, occultant le volet politique de sa tâche qui est, comme l’indique sa dénomination, d’organiser sous supervision onusienne un référendum d’autodétermination.
Ce constat a d’ailleurs été confirmé par Mme Kim Buldoc, cheffe de la Minurso qui, à l’occasion d’une réunion récente avec ses collaborateurs, s’est plainte de la réduction du budget des casques bleus opérant au Sahara Occidental et la «non-fonctionnalité» de la Mission, notamment pour ce qui concerne sa composante civile et politique.
Sur un autre registre, le silence des autorités espagnoles face au recours unilatéral du Maroc à la délimitation de son domaine maritime a pour principal objectif l’intégration de l’espace maritime longeant les côtes du Sahara Occidental dans le système juridique du royaume pour barrer la route au Front Polisario qui remet légitimement en cause la souveraineté du Maroc sur les eaux territoriales sahraouies, prolongement naturel du territoire non autonome du Sahara Occidental, conformément au droit international.
Qu’est-ce qui justifie, selon vous, le silence des instances internationales face aux actions marocaines ?
Il ne m’appartient pas de répondre à leur place, même si, au plan personnel, j’ai ma propre opinion sur le sujet. Disons, pour résumer, que ces instances ont une posture morale à géométrie variable.
Pour s’en rendre compte, il n’y a qu’à observer le discours évasif et les réactions plus que mesurées des officiels européens et onusiens face à la répression de la contestation populaire au Rif, qui dure depuis plus de sept mois, alors qu’elle suscite, partout ailleurs, émoi et condamnation, notamment de la part des organisations de la société civile au Maroc et dans le monde.
Ceci me rappelle les propos surréalistes et malvenus du représentant du Maroc auprès des Nations unies à New York qui, à la question d’une journaliste qui l’interrogeait sur la situation dans le Rif, a débité, comme à son habitude, des contrevérités pour présenter son pays comme une démocratie idyllique, respectueuse de la liberté d’expression et d’opinion où les manifestants ne sont ni attaqués ni emprisonnés.
En Europe, l’UE et ses Etats membres entretiennent une ambiguïté et un flou artistique concernant cette vague de répression et d’arrestations arbitraires, fermant les yeux sur des pratiques de torture révélées par des organisations et activistes marocains, et s’interdisant tout commentaire ou appréciation critique sur la situation au motif, fort commode, de ne pas compliquer davantage les relations, déjà tendues, avec le Maroc.
Jusque-là relativement épargnée par les nuisances marocaines, l’Union africaine semble, depuis l’adhésion du Maroc à l’organisation en janvier 2017, comme parasitée par les actions chahuteuses de ce pays qui entend, avec le soutien de quelques gouvernements africains amis, détricoter toutes les décisions relatives au Sahara Occidental.
Il s’agit d’une fiction volontairement entretenue par le Maroc et ses relais médiatiques, visant à faire croire à sa capacité à remettre en cause, sitôt entré à l’UA, des positions fermes et solidement ancrées de l’institution panafricaine sur la question du Sahara Occidental.
Il me paraît inimaginable de croire que cette organisation va changer, du jour au lendemain, sa position doctrinale sur la question, alors que la RASD siège en son sein. Tout comme il me semble inconcevable d’envisager que l’UA puisse un jour renoncer au principe sacro-saint de l’intangibilité des frontières héritées de la période coloniale, qui est intrinsèquement lié à son positionnement par rapport au conflit du Sahara Occidental.
Je pense plutôt les déclarations en trompe-l’œil des officiels marocains au lendemain du 29e sommet de l’UA, qui a eu lieu début juillet 2017 à Addis-Abeba, sont avant tout destinées à la consommation interne et visent à détourner l’attention de l’opinion marocaine sur la situation insurrectionnelle dans la région du Rif.
Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à lire les décisions et résolutions adoptées par le 29e
Sommet des chefs d’Etat de l’UA, notamment celles qui, en cohérence avec les décisions des précédents Sommets, confirment leur attachement collectif à un règlement juste et durable du conflit, lequel doit nécessairement passer par un référendum d’autodétermination du peuple du Sahara Occidental, conformément aux résolutions pertinentes des Nations unies et des décisions de l’UA/OUA. A cela s’ajoute l’adoption par le Sommet d’une résolution approuvant l’envoi d’une mission d’enquête sur la situation des droits de l’Homme aux territoires occupés de la RASD.
Par ailleurs, la Conférence des chefs d’Etat africains a engagé les présidents de l’Union africaine et de la Commission de l’Union africaine sur la base de l’Accord-cadre entre l’Union africaine et l’ONU, le 19 mai 2017 à New York, à assurer le soutien approprié à l’initiative que le secrétaire général de l’ONU envisage d’entreprendre pour parvenir à un accord sur une solution consensuelle et définitive du conflit, ce qui souligne une fois de plus sa volonté de continuer à suivre de près l’évolution des pourparlers directs et sérieux entre le Maroc et le Front Polisario.
In Afrique Asie
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