Salman Rushdie : «Le monde est entré dans l’âge de l’impossible»
Sous le titre «Salman Rushdie : bienvenue dans l’ère de l’impossible», le site Philosophie Magazine a mis en ligne un entretien de son directeur de la rédaction Alexandre Lacroix avec Salman Rusdie, l’écrivain d’origine indienne connu pour avoir été l’objet d’une fatwa lancée par l’ayatollah Khomeyni contre lui pour sa publication, en 1989, des Versets sataniques. Agé aujourd’hui de 70 ans, il vit reclus à New York. Son dernier roman, Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, est paru en 2016 chez Actes Sud. C’est en marge des Assises internationales du roman, à Lyon, qu’Alexandre Lacroix l’a rencontré.
Dans cet entretien, Salman Rushdie estime que le monde est entré dans «l’âge de l’impossible» et il explique pourquoi en citant d’abord le Brexit qui lui paraissait impossible dans un pays, l’Angleterre, qu’il connaît bien, et venant des Anglais qu’il dit avoir toujours considéré comme «des gens intelligents, sensés et calmes». Il ajoute à propos de l’élection de Donald Trump, «un parangon de la bêtise et de la suffisance à la Maison-Blanche». Salman Rushdie reconnaît qu’il ne percevait pas la réalité du pays (les Etats-Unis) dans lequel, pourtant, il vivait.
Une grande partie de l’entretien est consacré au «terrorisme islamiste, autre aspect de l’âge impossible». Il commence par souligner qu’il a fallu les attentats du 11 septembre 2001 pour que les Américains comprennent que «nous avons tous une fatwa contre nous». Pour Salman Rushdie, «si les islamistes s’en sont pris à un concert de rock au Bataclan, c’est parce que des gens s’apprêtaient à y passer une bonne soirée. S’ils se sont attaqués à un concert pop à Manchester, c’est parce que des gamines de 12 ans qui s’amusent et se divertissent sont à leurs yeux des prostituées». Mais il ne pense pas que l’islamisme soit un phénomène de longue durée comme le constatent nombre d’observateurs. «Je ne suis pas complètement d’accord sur ce constat», dit-il.
Le constat que fait Salman Rushdie est que «Al-Qaîda n’a plus le pouvoir qu’il avait autrefois et Daech est en train de s’écrouler. Les deux armées organisées du fanatisme sont affaiblies». Il est même optimiste quant à l’avenir : «je pense que les candidats au djihadisme vont se faire plus rares». Les choses ont changé, fait-il remarquer ; il y a deux ans, pour un jeune en rupture de ban, rejoindre Daech «c’était participer à la geste chevaleresque de la refondation du califat ; maintenant ce n’est plus qu’un suicide».
Face au fanatisme religieux, Salman Rushdie fonde son espoir sur les souvenirs qu’il conserve de Beyrouth et Damas avant les guerres : «C’étaient des villes cosmopolites.» Son argument, c’est sa description du Beyrouth de cette époque, qui était surnommé le «Paris de l’Orient», fait-il remarquer : «On y buvait à la terrasse des cafés, on pouvait débattre de tous les sujets, les femmes s’habillaient comme elles le voulaient. Et l’islam occupait simplement sa place dans cette société.» Il rappelle qu’à ce moment, c’est-à-dire jusqu’aux années 1970, le wahhabisme – la doctrine des islamistes, précise-t-il – était «minoritaire». La montée en puissance de cette doctrine des islamistes, souligne-t-il, est liée à l’activisme de l’Arabie Saoudite appuyée par les Etats-Unis.
Les tribus wahhabites ont décidé d’utiliser l’argent du pétrole pour répandre leur doctrine à travers le monde, «avec un succès étonnant», déplore Salman Rushdie. Il prend l’exemple de son pays d’origine, l’Inde, et rappelle que «l’islam indien était traditionnellement proche du soufisme, donc mystique». Il fait observer, à travers des exemples portant sur des petits détails, en apparence insignifiants, comme la façon d’exprimer les salutations d’usage ou de prononcer le mot «ramadhan», que le wahhabisme a gagné du terrain dans la vie ordinaire en Inde. «Une synthèse doctrinale austère et coercitive est en train de faire passer un rouleau compresseur sur des siècles de tolérance et de culture religieuse raffinée», conclut-il.
Houari Achouri
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