Quand le juif antisioniste Shlomo Sand donne une leçon d’histoire à Macron
La critique du sionisme ne peut être assimilée à de l’antisémitisme. C’est connu. Mais quand c’est un historien israélien, Shlomo Sand en l’occurrence, qui le dit le constat ne peut prendre que plus de valeur.
Et l’historien israélien s’est justement fait un devoir de rappeler le caractère incorrect de l’équation au lendemain du discours prononcé par le président français, Emmanuel Macron, à l’occasion de la commémoration, le 16 juillet dernier, de la rafle du Vél’ d’Hiv. Une commémoration à laquelle était convié le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu. Dans son discours, Emmanuel Macron avait particulièrement choqué lorsque, à un moment, il avait repris à son compte la rhétorique de délégitimation de toute critique de l’Etat d’Israël. «Nous ne céderons rien à l’antisionisme car il est la forme réinventée de l’antisémitisme», avait-il ainsi cru bon de déclarer, sous les applaudissements d’un Netanyahu qui n’en demandait certainement pas tant.
Dans une tribune publiée le 20 juillet dernier sur le site de Médiapart, Shlomo Sand s’est fait un devoir de porter la contradiction au chef de l’Etat français. D’emblée, il s’est dit étonné qu’Emmanuel Macron ait pu confondre antisionisme et antisémitisme. «Cette déclaration avait-elle pour but de complaire à votre invité ou bien est-ce purement et simplement une marque d’inculture politique ?» s’interroge l’historien israélien. «L’ancien étudiant en philosophie, l’assistant de Paul Ricœur (Emmanuel Macron, ndlr) a-t-il si peu lu de livres d’histoire au point d’ignorer que nombre de juifs, ou de descendants de filiation juive, se sont toujours opposés au sionisme sans, pour autant, être antisémites ?» poursuit Shlomo Sand comme pour souligner le manque de culture du nouveau président français.
L’auteur de Comment le peuple juif a été inventé souligne qu’il fait allusion à «tous les anciens grands rabbins mais, aussi, aux prises de position d’une partie du judaïsme orthodoxe contemporain». «J’ai également en mémoire des personnalités tels Marek Edelman, l’un des dirigeants rescapé de l’insurrection du ghetto de Varsovie, ou encore les communistes d’origine juive, résistants du groupe Manouchian, qui ont péri. Je pense aussi à mon ami et professeur Pierre Vidal-Naquet et à d’autres grands historiens ou sociologues comme Eric Hobsbawm et Maxime Rodinson dont les écrits et le souvenir me sont chers, ou encore à Edgar Morin», ajoute Shlomo Sand qui dit se demander «si, sincèrement, Macron attend des Palestiniens qu’ils ne soient pas antisionistes» !
Dans sa missive, l’historien israélien martèle : «(…) Le sionisme n’est pas le judaïsme contre lequel il constitue même une révolte radicale.» «Tout au long des siècles, les juifs pieux ont nourri une profonde ferveur envers leur terre sainte, plus particulièrement pour Jérusalem, mais ils s’en sont tenus au précepte talmudique qui leur intimait de ne pas y émigrer collectivement avant la venue du Messie. En effet, la terre n’appartient pas aux juifs mais à Dieu. Dieu a donné et Dieu a repris, et lorsqu’il le voudra, il enverra le Messie pour restituer. Quand le sionisme est apparu, il a enlevé de son siège le “Tout Puissant”, pour lui substituer le sujet humain actif», explique-t-il.
Pour ce qui est des événements factuels, Shlomo Sand demande s’il est concevable de se définir comme sioniste alors que les sionistes n’ont cessé depuis 1967 de développer des politiques d’extermination des Palestiniens et d’accaparer des terres des Arabes. «Est-ce cela le sionisme d’aujourd’hui ? Non ! Répondront mes amis de la gauche sioniste qui ne cesse de se rétrécir, et ils diront qu’il faut mettre fin à la dynamique de la colonisation sioniste, qu’un petit Etat palestinien étroit doit être constitué à côté de l’Etat d’Israël, que l’objectif du sionisme était de fonder un Etat où les juifs exerceront la souveraineté sur eux-mêmes, et non pas de conquérir dans sa totalité “l’antique patrie”.» «Et le plus dangereux dans tout cela, à leurs yeux : l’annexion des territoires occupés constitue une menace pour Israël en tant qu’Etat juif», avertit le professeur d’histoire.
Shlomo Sand explique, en outre, qu’en étant démocrate et républicain, il ne puit, comme le font sans exception tous les sionistes, de droite comme de gauche, soutenir un Etat juif. «Je suis un citoyen désireux que l’Etat dans lequel il vit soit une République israélienne, et non pas un Etat communautaire juif. Descendant de juifs qui ont tant souffert de discriminations, je ne veux pas vivre dans un Etat qui, par son autodéfinition, fait de moi un citoyen doté de privilèges», précise-t-il.
«A votre avis, Monsieur le Président : cela fait-il de moi un antisémite ?» lance-t-il révolté à l’adresse du président Macron.
Sadek Sahraoui
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