Teboune effraye la chronique
Par Youcef Benzatat – La chronique en Algérie se divise en deux. L’une a pignon sur rue et l’autre souffre de visibilité. La première s’effraye lorsqu’elle est confrontée à une ligne rouge, dont le franchissement est synonyme d’anéantissement, et l’autre émane de l’esprit du peuple et s’attaque frontalement au système de pouvoir. A celle qui survit par le saupoudrage s’oppose celle qui n’a rien à perdre et tout à gagner. L’une névrosée et l’autre sclérosée. Aux symptômes de la première, caractérisés par le désir d’un pays de souveraineté, de justice, de liberté et de dignité se manifeste un contrepoint ambigu chez l’autre, qui veut le beurre et l’argent du beurre, sans jamais l’avouer. C’est ce qui lui permet d’ailleurs le privilège d’avoir pignon sur rue. Comme chez les gnous, pour pouvoir échapper aux assauts des prédateurs, il suffit d’occuper le centre du troupeau.
Lorsque Teboune s’était mis à «mettre du mouvement dans le statu quo», tous les chroniqueurs étaient pris de court. La première catégorie, celle qui a pignon sur rue, s’était ruée au centre comme les plus malins des gnous. Teboune fut dépeint à la Don Quichotte, tout au plus à un «zéro» qui se prenait pour un Zorro. Au mieux, qu’il aurait mal interprété les recommandations du président. En effet, comment se fait-il qu’un pouvoir qui n’existe que par la prédation ait pu désigner un Premier ministre pour détruire les fondements de la structure qui le soutient ? Autrement, lui tendre la scie pour couper la branche sur laquelle il est assis. Or, Teboune n’est pas le premier venu. Il est lui-même issu du système qu’il connaît dans tous ses recoins. Qui connaît tous les tenants et les aboutissants de toutes ses manœuvres. En homme averti, donc, il n’aurait jamais osé jouer au justicier dans une famille ou tous les membres sont soit coupables, soit complices, soit impliqués d’une manière ou d’une autre. Teboune ne serait donc ni Don Quichotte ni Zorro, comme voudraient le faire croire les chroniqueurs gnous. L’énigme reste entière !
Chercher à savoir pourquoi Teboune s’est engagé dans ce chemin sans issue apparente en toute conscience, c’est se poser la question : a-t-il des soutiens qui seraient les véritables commanditaires de sa croisade, celle de vouloir séparer l’argent de la politique et qui aura le mérite de lever le voile sur cette énigme ? Question que devrait se poser tout chroniqueur. Or, c’est à cet endroit précis où se situe justement la ligne de démarcation entre les deux catégories de chroniqueurs. Enquêter sur une hypothétique appartenance clanique de Teboune, qui serait à l’origine de son bras de fer avec le pouvoir et ses oligarques, c’est franchir la ligne rouge la plus meurtrière. Tous ceux qui s’y sont aventurés par le passé y ont laissé des plumes : médias interdits, associations de la société civile et partis politiques non agréés, cadres civils et militaires neutralisés, etc. Car l’enquête devrait mener dans l’antre du système de pouvoir et rendre publiques les motivations et les dessous de cette affaire.
C’est donc la tâche qui préoccupe l’autre catégorie de chroniqueurs, qui n’ont rien à perdre et tout à gagner.
A commencer par se demander qui a réellement nommé le Premier ministre, puisque celui qui est censé l’avoir nommé (le clan présidentiel), s’avère être son principal rival. Ne serait-il donc pas le clan rival du clan présidentiel qui l’a lui-même imposé, ou bien l’a introduit dans le territoire ennemi en cheval de Troie, à savoir, le clan de l’état-major, qui vise lui aussi le pouvoir à l’échéance de 2019 ?
Poser ces questions nous amène à mieux comprendre les dessous de cette mise en scène tragicomique ; celle par laquelle Teboune veut faire croire à sa volonté de séparation de l’argent et du pouvoir. Alors que cette action ne vise en réalité que l’échéance de la présidentielle de 2019. Car, dans leur lutte pour le pouvoir, les clans en compétition doivent faire face à un intrus de taille, un véritable empêcheur de tourner en rond : le boycott du peuple, qui peut, à terme, gâcher tous leurs plans. Dans ce cas, partir en campagne, c’est essentiellement rechercher la passivité des électeurs.
Rien de plus simple que de faire croire à la volonté de la moralisation de la vie publique, en orchestrant une mise en scène de séparation de l’argent du pouvoir. Et c’est là ou se distingue l’autre catégorie de chroniqueurs, pour qui, pour devoir séparer l’argent du pouvoir, il ne suffit pas d’abattre des lampistes du clan adverse, mais de restituer son autonomie à la justice, à l’institution chargée de la prise en charge des échéances électorales, aux pouvoirs législatif et exécutif et restituer la souveraineté de l’Etat en séparant le militaire du civil.
Le bras de fer enclenché par le Premier ministre et la résistance qui lui a été opposée, le recul des uns et des autres, ne fait que traduire une lutte acharnée pour le pouvoir qui ne fait que commencer et qui pourra mener jusqu’au coup de force.
Y. B.
Comment (12)