Tebboune victime de la main de l’étranger ?
Par Youcef Benzatat – Le limogeage de Tebboune pose un problème de logique sur son mobile et ses auteurs. Mais déjà, sa nomination se traduisait par une contradiction intenable.
Officiellement, c’est Bouteflika qui l’a nommé au poste de Premier ministre, avec l’objectif de moraliser la vie publique en séparant l’argent de la politique. C’est ce que Tebboune a commencé à faire en voulant assainir la relation des acteurs économiques privés avec l’argent public. Or, ces mêmes acteurs économiques privés sont des hommes d’affaires très proches des hommes politiques du premier cercle présidentiel – dont le frère du Président lui-même en tant que conseiller auprès de la Présidence – notamment Ali Haddad, le patron des patrons. Ce qui a, paraît-il, contrarié le président Bouteflika qui s’est vu contraint de le limoger. La contradiction ici est flagrante : on nomme un Premier ministre à qui on confie une mission précise et lorsque celui-ci se met à l’exécuter, on le lui reproche et on le limoge pour cela.
A supposer que Tebboune avait mal interprété la mission qui lui a été confiée, comme l’ont suggéré quelques analystes de la scène politique algérienne. Que la mission en soi devrait être une manœuvre démagogique, laissant croire à la volonté du pouvoir de vouloir moraliser la vie publique, pour rétablir la confiance des électeurs dans les pouvoirs publics en perspective des échéances électorales à venir, suite au boycott historique des dernières législatives. Dans ce cas, sa mission devrait donc se limiter à sacrifier quelques lampistes pour atteindre son objectif. Une méthode assez rodée par le pouvoir et à laquelle il recourt systématiquement lorsque sa crédibilité est entamée par une colère populaire persistante. Si tel est le cas, Bouteflika aurait dû tout simplement préciser en ce sens la teneur exacte de la mission a son premier ministre, sans la nécessité de le limoger.
Dans ces conditions, si Tebboune a été limogé sans sommation, cela veut dire, en toute logique, que ce n’est pas le président Bouteflika qui l’a nommé ni qui lui a confié une quelconque mission. Que tout ce scénario est l’œuvre d’une main invisible, dont la volonté de Tebboune de vouloir moraliser la vie publique aurait constitué une menace pour des intérêts qui lui sont liés. Car si c’était réellement Bouteflika qui était derrière sa nomination ainsi que la mission qui lui a été confiée, il aurait certainement pris le temps nécessaire pour vérifier en sa compagnie s’il avait bien assimilé ses directives, comme dans toute relation d’un Président à son Premier ministre. D’ailleurs, ces discussions ont généralement lieu avant la décision finale du Président pour la désignation de son Premier ministre, après s’être bien assuré que ce dernier a compris sa mission et qu’il est disposé à l’accomplir.
De plus, le Président n’est même pas présent physiquement et ne communique que par des messages transmis à leurs destinataires par son entourage immédiat via les canaux d’information publique et, paradoxalement parfois, comme dans l’affaire Tebboune, par un média «privé» domicilié à l’étranger, réputé proche du cercle présidentiel. Dans ce cas, rien ne prouve que l’auteur de ces messages soit le Président lui-même. Il pourrait éventuellement y avoir une usurpation d’identité, qui serait cette main invisible qui parle et décide au nom du président Bouteflika. Beaucoup d’observateurs de la scène politique algérienne attribuent cette main invisible à son frère. La scène du cimetière El-Alia, lors de l’enterrement du défunt Rédha Malek, dans laquelle Saïd Bouteflika en compagnie d’Ali Haddad s’adonnent à un jeu de défiance à l’égard de Tebboune, rend cette hypothèse très plausible.
Néanmoins, le président Abdelaziz Bouteflika, très amoindri, pourrait être au courant de tout ce qui se passe autour du sérail, mais il n’a plus véritablement la force de faire des choix. En cela qu’il doit accepter tout ce que son cercle le plus proche lui suggère.
Tebboune étant un produit du système, rien ne devrait donc lui échapper et il a dù agir en toute conscience. Probablement soutenu par un clan de l’armée qui veut en finir avec les Bouteflika. Cette hypothèse apparaît du moins assez crédible, au regard de sa tournée européenne pendant ses vacances où il aurait, selon toute vraisemblance, déjà expliqué cette stratégie aux puissances étrangères en les rassurant de la maîtrise de cette opération qui devrait permettre la stabilité de la société et la garantie de la préservation de leurs intérêts en Algérie. Notamment, son voyage controversé en France et la destination énigmatique de sa dernière étape de vacances en Moldavie. A noter que la Moldavie est une banlieue proche de Moscou, ce qui aurait permis une rencontre avec des émissaires de Poutine en toute discrétion, comme ce fut le cas avec la tentative de dissimulation de son passage à l’Elysée dans un premier temps. Celle-ci aurait été sans doute interprétée par le clan présidentiel comme une manœuvre pour le doubler dans l’allégeance aux puissances étrangères pour s’assurer de leur soutien dans la perspective de la présidentielle de 2019.
Le problème de logique que pose le limogeage de Tebboune sur son mobile et ses auteurs ne peut trouver de réponse que dans cette piste.
Y. B.
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