Des chroniques de braise à Aboukir : Daoud et la littérature
Par Samia Ziriat Bouharati – C’est à défaut d’avoir trouvé une analyse satisfaisante à travers la presse algérienne au sujet du nouveau livre de Daoud, Zabor ou les psaumes, que j’ai décidé d’y contribuer moi-même ; ce que je cherchais bien sûr dépassait la simple description de l’histoire du roman ou d’apprendre que beaucoup de gens l’attendaient à Alger, Béjaïa, Oran et Constantine – c’est ce qui est relaté pratiquement dans la plupart des articles après le passage de l’auteur dans les différentes librairies pour la signature du livre. J’ai dans mon parcours l’occasion d’inviter des auteurs pour ce qu’on appelle communément le café littéraire, que j’essaye d’animer avec passion et ferveur, c’est dire que beaucoup d’auteurs peuvent appréhender ce moment de contact direct avec le public. Je n’ai pas eu l’occasion d’inviter Kamel Daoud. Mais ce dont je suis certaine, c’est que ce dernier se délecte, jubile de ces moments plus que beaucoup d’autres auteurs, et la raison en est simple : il a confiance en lui, en ses propres vérités, sa machine de guerre est maintenant bien huilée et rodée à merveille. Son style d’écriture confirmé. L’exercice des débats l’ayant aguerri. Et c’est tant mieux ! Beaucoup, tout en le critiquant, se verraient bien à sa place, s’il s’est trompé en faisant le choix de politiser ses positions, là où n’était plus question de littérature, chose pour laquelle il devait se consacrer, aujourd’hui justement, il démontre que son rôle est d’abord d’écrire, de la littérature si possible, et il se sait très attendu.
Si le succès et la célébrité acquis suite aux tollés provoqués sur des sujets brûlants et explosifs l’exposent et le mettent dans l’obligation de parfaire encore son style dans ce nouveau roman, c’est tant mieux encore ! La confiance gagnée en lui est chose précieuse, elle est, à mes yeux, une sacrée qualité qui fait défaut dans la société algérienne, nous nous représentons mal, et nous sommes mal représentés, à peine sûrs de notre identité mal définie, nous commençons à émerger comme après un long sommeil, à sortir la tête de l’eau avec une tonne d’interrogations, de choses à comprendre, à reconstituer, comme face à un puzzle géant, avec de très lourdes responsabilités historiques.
Redorer le blason d’une religion prestigieuse ternie, celle des aïeuls, aujourd’hui saccagée, qui ne demande pas au fond à être nommée du fait qu’elle est d’abord une pratique silencieuse et discrète, un comportement, elle peut facilement exister par elle-même et n’a besoin de personne, la raison c’est qu’elle est la vie en elle-même, synonyme d’harmonie, d’amour fulgurant et de mystère qui nous élève en tant qu’êtres humains ; être nommé comme l’ont si bien dit certains, c’est être voué à la stigmatisation, aux attaques et parfois à la diabolisation. Les mots ont leurs limites, ils ne peuvent tout définir. C’est dans l’attitude, le comportement d’un individu qu’on mesure sa valeur, sa grandeur.
A-t-on besoin de savoir ou de qualifier au nom de quoi une personne est juste, droite, honnête, polie, généreuse, qui sacralise la science et le savoir au service de l’humain, soucieuse de son prochain, si cette personne est tout cela par des convictions qui la concernent, qui lui sont intimes ? Doit-on nommer le fait, les raisons qui font d’elle ce qu’elle est, c’est-à-dire une personne honorable, respectable, humaine, qui accomplit sa mission d’âme, consciemment ou inconsciemment, qui donne à sa vie un sens pour parler un langage propre à la spiritualité. Sur les épaules aussi.
Une histoire révolutionnaire, unique au monde, bafouée, brisée dans son élan émancipateur, ayant coûté au prix fort. Sommes hantés à vie par les visages et les images, tournant en boucle dans nos psychés, si le passé était glorieux, admettre l’échec est chose trop douloureuse et pénible à porter.
Kamel Daoud est de ma génération, c’est ce que j’appelle la génération du funeste coup d’état de 1965, je ne pense pas qu’il doit détester ni sa religion ni sa langue maternelle. Cette génération a grandi avec l’arabisation, en faisant le deuil d’un dialecte maghrébin qui nous appartient, riche et beau, qui aurait pu être revigoré et restauré tel un précieux trésor, d’ailleurs Zabor ou les psaumes aurait été si beau écrit en dialecte, l’auteur a recours à maintes reprises aux mots (smaimes, le sansal…) des scènes qui rappellent étrangement le film, Chronique des années de braise de Hamina.
Nous avons essayé tant bien que mal de maîtriser l’autre langue, celle du «butin de guerre», en la volant presque, elle donnait déjà une ouverture, aujourd’hui même elle s’en trouve dépassée car d’autres puissances émergent et il y a urgence de maîtriser les autres langues dominantes. L’effervescence qui anime cet auteur, la joie perceptible chez lui presque enfantine, je la comprends, quelle personne n’aimerait pas qu’on lui accorde de l’importance, en lui donnant la liberté de parole en prime, quitte à se tromper. Etre muré dans son silence, dans la solitude, courber l’échine, accepter dans l’humiliation d’être malmené dans son histoire, et ensuite dans sa vie, toute sa vie, dans sa dignité d’homme ou de femme, n’est-ce pas le pire supplice ? La chose la plus terrible, c’est d’accepter de vivre sans choisir sa vie finalement, jusqu’à être privé de donner à la patrie ce qu’il y a de meilleur en soi en contrepartie de ce qu’elle nous a donné : la liberté et la dignité.
S. Z.-B.
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