Les Ecritures sont-elles le seul chemin qui mène à l’immortalité ?
Par Arezki Hakem – Je n’ai pas encore lu le dernier opus de Kamel Daoud, Zabor ou les psaumes, mais le titre choisi par l’écrivain a attiré ma curiosité, car le mot zabor a littéralement disparu de mon vocabulaire, et ce depuis longtemps. Si mes souvenirs ne me trahissent pas, l’ultime fois où je l’avais entendu remonte à mon adolescence : ayant été scolarisé au cycle fondamental de l’école algérienne, le professeur nous a inculqué un cours sur le Zabor (l’un des livres sacrés révélés par Dieu avant le Coran). On dit de lui qu’il était un livre où la beauté sonore de son verbe faisait chanter la terre et le ciel en unisson ! Le Zabur fait communément référence au livre des Psaumes. Le terme zabur est l’équivalent arabe de l’hébreu zimra, qui signifie chant, musique. Zamir (chanson) et mizmor (psaume) sont dérivés de zamar, qui signifie chanter une louange, faire de la musique.
Chanter une louange à la vie
Les psaumes sont pour les amoureux de la vie l’antidote aux hérauts des oraisons funèbres, car à force de semer les mélodies mystiques du Zabor, les marées engloutissantes de la vie se tarissent et laissent pousser des fonds féconds et arables d’un sol, longtemps prisonnier d’une oppressante eau vaseuse, les psaumes qui font l’éloge de la beauté, de la blancheur de l’esprit, pas celle de cette maudite toile enserrant les hommes dans leur ultime voyage. Une blancheur de l’esprit analogue à une irrépressible feuille blanche s’étendant jusqu’à l’infini, où le verbe sera porté comme une aiguisée sarisse sur le javelot de l’éternité.
Ainsi est Zabor, le psaume de Kamel Daoud, dans sa dernière création littéraire, un personnage qui prolonge la vie comme ses mots sourdant de sa féconde imagination les psaumes qui font reculer la mort dans ses derniers retranchements, telle une sentinelle dont les munitions buttent sur des boucliers d’airain. Chasser la mort du domaine du vivant, ne pas lui offrir du soleil, équivaut à la célébration de la vie, à la greffe de nouveaux plants sur l’arbre de l’humanité, le rendant ainsi chatoyant de toutes les couleurs qui se brossent de cette incroyable diversité des visages humains, chasser les cavaliers de l’apocalypse de nos circuits équivaut à rendre aux troubadours du beau leurs allées perdues, leurs flûtes rongées par les ironies des temps perdus.
Le verbe qui tue, le verbe qui fait renaître
Le verbe n’est verve que lorsque son essence se puise de l’encrier de la postérité car les idées qui ne laissent guère de saines descendances sont vouées à des mutations morbides. Ecrire des mots dont l’essence est cueillie tout près de nos premiers pas, sur la terre de nos premières poussières, de nos chutes saignant ce sang écarlate synonyme de la puissance du lait maternel, c’est comprendre sa société, forger son avenir et construire des citadelles infranchissables confinant les mangeurs de cerveaux au bas étage de leur bestialité.
L’héritage de la terre est dans le discernement des justes
Ceux qui se croient être des légataires de la Providence sur la terre : les prêcheurs cathodiques, les prosélytes bedonnants et les chevaliers de l’apocalypse sont en réalité les mercenaires de l’obscurantisme, les affidés des puissances mondiales, les exécuteurs des agendas dont les dividendes se comptent en milliards de dollars. Chanter les psaumes avec Zabor, c’est construire un inébranlable pont sur cet impitoyable mais non invincible Léthé, qui fait oublier aux hommes la pensée logique des Anciens.
C’est ainsi que se lit le nouveau roman de Kamel Daoud, comme les hommes des lumières lisaient les parchemins fondateurs de la pensée libre.
A. H.
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