Polémique : un Saoudien qualifie le sacrifice de l’Aïd d’hérésie
Par R. Mahmoudi – Le journaliste saoudien Abdallah Al-Alwite a été convoqué dimanche par le ministère de la Culture et de l’Information de son pays suite à la parution d’un article dans lequel il avait écrit, sous forme de fatwa, que le sacrifice de l’Aïd El-Adha était «une tradition indésirable» qui ne relevait point de la sounna, au motif que toute offrande dédiée aux morts est, dans la religion musulmane, «une hérésie» (bida’â).
Le ministère saoudien s’est contenté de rappeler à l’ordre le journaliste, en lui enjoignant d’éviter de s’immiscer dans les tâches qui sont dévolues à l’instance officielle chargée de promulguer des fatwas. Le journaliste a été même contraint de s’excuser auprès des lecteurs d’avoir «mal formulé» l’idée qu’il a voulu développer dans l’article incriminé parce que certains commentateurs confondent sciemment entre une critique de la sounna, dans son acception théologique (tradition), et une remise en cause d’une doctrine et d’une communauté (sunnite).
Cela dit, l’information a enflammé les réseaux sociaux, mettant aux prises les adeptes de la sounna les plus rigoristes et ceux qui, comme l’auteur de l’article-fatwa, pensent que ces images foisonnantes diffusées en boucle à l’occasion de l’Aïd El-Adha, célébrant des «orgies de sang» à travers toutes les contrées du monde musulman, donnent, au final, une mauvaise image des musulmans et de l’islam lui-même, lesquels ont déjà maille à partir avec cette vague d’islamophobie qui fait des ravages en Occident. Le dernier exemple en date : une mosquée a été attaquée aux Pays-Bas, au deuxième jour de l’Aïd, par un groupuscule d’extrême-droite qui y a laissé un graffiti qui en dit long sur les ravages de l’amalgame en Occident : «Nous ne voulons pas de mosquée dans notre ville. Nous ne voulons pas d’islamistes !»
Dans la polémique, les avis opposants s’en réfèrent à la tradition du Prophète (sounna) et rarement au texte coranique pour réfuter le propos du journaliste-mufti, tandis que leurs détracteurs avancent l’argument massue selon lequel une «sounna», loin d’être une obligation, n’est pas durable dans le temps et que, de ce fait, elle est appelée à être dépassée.
Au-delà de la controverse d’ordre exégétique, où les arrière-pensées idéologiques prennent souvent le dessus, l’intérêt de ce débat est de voir que le courant réformiste commence à émerger en Arabie Saoudite même, où la doctrine officielle, le wahhabisme, domine la vie religieuse et reste indiscutable. La dissolution, il y a une année, du puissant Comité de la promotion de la vertu et de la lutte contre le vice et la guerre déclarée au Qatar depuis quelques mois ouvrent une petite brèche dans laquelle de plus en plus de Saoudiens, brimés par le régime le plus fermé du monde, vont s’engouffrer.
R. M.
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