Le Cour Grandmaison : «Bugeaud est une insulte permanente aux Algériens»
Par Karim Bouali – L’académicien français Olivier Le Cour Grandmaison considère que le général Bugeaud «est une insulte permanente à l’émancipation des peuples et aux Algériens en particulier». Dans une tribune parue dans Mediapart, l’auteur du livre L’Empire des hygiénistes, vivre aux colonies, paru en 2014, estime qu’il ne suffit pas de supprimer les statues de ce général sanguinaire : «Si scandale il y a, il n’est pas dans le fait d’exiger que ses statues disparaissent et que son nom soit effacé de l’avenue parisienne qui l’honore encore, mais dans l’existence même de ces hommages toujours rendus au bâtisseur sanglant de la France coloniale et à l’ennemi de l’égalité, de la liberté et de la fraternité.» Le Cour Grandmaison exhorte les responsables politiques «nationaux et locaux» à agir «promptement pour mettre un terme à cette situation» et les appelle à «rappeler à toutes et à tous cette histoire écrite, certes, mais trop souvent tue ou délicatement euphémisée par les adeptologues du grand roman national».
«Elevé à la dignité de maréchal de France en juillet 1843, grâce aux “exploits” militaires qu’il a réalisés en Algérie, ce dernier est l’homme de la “pacification” de ce territoire où il fut nommé gouverneur général trois ans plutôt», ironise l’universitaire français, qui en veut à l’écrivain Victor Hugo d’avoir salué «avec enthousiasme et emphase» les actes barbares de cet officier français coupable d’innommables crimes contre l’humanité.
«Bugeaud est le théoricien et le praticien d’une guerre qui doit être qualifiée de totale puisqu’elle débouche sur l’effondrement de deux distinctions majeures, liées entre elles et constitutives des guerres réglées, comme on les nomme alors», écrit Le Cour Grandmaison. Et d’expliquer : «La distinction entre civils et militaires, destinée à préserver autant que faire se peut les premiers de la violence des combats, et celle entre sanctuaire et champ de bataille, indispensable pour permettre aux populations de trouver refuge en des lieux qui doivent être épargnés par les affrontements.»
Le politologue français spécialiste de la citoyenneté sous la Révolution françaises décrit les pratiques du général Bugeaud comme s’inscrivant «dans une stratégie de la terreur destinée à refouler les Arabes des terres sur lesquelles ils vivent». «C’est cela que les contemporains nomment pacification», ironise-t-il encore. Cette terreur, souligne-t-il, «est jugée indispensable à la colonisation effective du territoire par des Français et des Européens qui ne pourront s’y installer durablement que si la sécurité de leur personne et de leurs biens est assurée». «Pour ce faire, rappelle l’auteur de la tribune, les militaires déportent les populations civiles, torturent ceux qui n’ont pas été tués et ravagent le pays de façon méthodique.»
Olivier Le Cour Grandmaison évoque les enfumades «recommandées par Bugeaud à ses officiers en des termes qui ne laissent aucun doute sur ce qu’ils doivent faire et sur le but poursuivi». Il s’agissait, selon lui, de détruire physiquement des «indigènes assimilés à des animaux nuisibles qu’il faut éliminer». «Saint-Arnaud, Montagnac et Pélissier, pour ne citer que ceux-là, se sont exécutés avec zèle en suivant le mode opératoire établi par leur chef», note-t-il, en rappelant les sept cents morts de la tribu des Ouled Riah, dans les grottes du Dahra, près de Mostaganem, exécutés par le colonel Pélissier le 18 juin 1845.
K. B.
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