Des intellectuels appellent à boycotter la 22e édition du Salon du livre d’Alger
Par Hani Abdi – Des intellectuels ont lancé un appel pour boycotter la 22e édition du Salon international du livre d’Alger (Sila). Devant le laisser-aller, l’inquisition et la prolifération d’un contenu à caractère religieux nocif pour la société, ils demandent aux Algériens de boycotter ce rendez-vous censé être celui de la promotion du savoir et de la culture.
«Parce que la survivance des outrages est toujours le fruit d’une accumulation de petits ‘‘détails’’ tolérés, négligés, minimisés. Parce que la femme algérienne a déjà trop d’ennemis, de bourreaux et de tuteurs pour fermer les yeux sur une énième banalisation des horreurs subies. Parce qu’écrire au-delà de l’interdit et des conventions implique forcément une certaine cohérence qui ne doit souffrir aucune relativisation ou coquetterie sémantique. Parce que les violences faites aux femmes n’ont pas besoin d’un coup de pouce supplémentaire, qui plus est, venant d’un haut responsable culturel. Parce que le Salon international du livre d’Alger traîne suffisamment de tares, allant du non-professionnalisme à la marchandisation vulgaire, en passant par la censure et la prolifération du livre religieux», lit-on dans le texte de cet appel qui dénonce la forte place qu’occupent les inquisiteurs et les promoteurs des géhennes terrestres dans cet espace.
«Hamadache, Chamseddine, Benhadj ainsi que des milliers d’anonymes promoteurs de géhennes terrestres n’ont pas besoin d’un renfort inespéré venu de ce qui devrait être le bastion de la liberté et de l’équité…», ajoute-t-on dans ce texte, qui rappelle le dérapage, lors d’une interview sur le plateau d’Ennahar TV, du commissaire de cette manifestation, Hamidou Messaoudi, également directeur de l’Enag, qui a évoqué la polémique soulevée l’an dernier par la présence au Sila d’un livre intitulé Frapper son épouse : une solution pour les problèmes conjugaux ? d’un certain Abdelhamid Ahmed Abou Souleiman. Sur un ton humoristique adipeux, le responsable du Sila estime qu’une telle controverse n’avait pas lieu d’être, d’autant que ce «fascicule pourrait s’avérer utile pour modérer la violence conjugale. Car certaines épouses frappées par leurs maris semblent avoir été percutées par un camion». «Cette déclaration ne souffre aucune ambigüité : au lieu de massacrer son épouse, l’homme algérien devrait apprendre ‘‘l’éthique’’ coranique de la violence conjugale (sourate Nissaâ). Au moment où les prédicateurs téléportés du VIe siècle dénoncent vigoureusement les lois algériennes qui condamnent cet acte et les considèrent, à juste titre et fort heureusement, en contradiction avec les textes sacrés, le premier responsable du Sila vient indirectement faire écho à leur propagande de la haine et de la violence, et comble de l’infamie, en fait une matière à rire», lit-on encore dans le même texte.
«Nous, écrivain(e)s, éditeur(trice)s, intellectuel(le)s, lecteur(trice)s, avons aussi le droit de déserter massivement ce 22e Salon international du livre en exprimant, sur toutes les tribunes qu’il nous sera possible d’occuper, les raisons morales et historiques qui nous poussent au boycott. Morales parce que la violence conjugale est tout simplement inacceptable, quel que soit ‘‘l’opinion’’ du sacré à ce sujet. Historiques, car, dans un passé pas très lointain, écrivains, intellectuels, journalistes et artistes ont pris part à la résistance citoyenne contre la terreur intégriste qui voulait imposer cette négation de la vie et de la dignité humaines», argue-t-on, considérant ainsi que le boycott «sera une réponse à ce que nous considérons comme une atteinte aux principes fondamentaux du respect de la personne humaine, une insulte à des années de combat féministe et un crachat sur les tombes de toutes celles qui ont été égorgées, battues, violées, kidnappées, maltraitées ou détruites psychologiquement, parce que femmes».
H. A.
Comment (42)