Nacer Djabi : «L’Algérien a peur de la femme qui réussit»
Par Hani Abdi – Le sociologue Nacer Djabi décrypte la situation de la femme algérienne et met en avant le manque d’audace de l’élite politique, qui est beaucoup plus proche des modèles conservateurs que des expériences modernes, telle celle vécue par la Tunisie. Dans un entretien accordé au magazine français Le Point, suite à la décision de la Tunisie de laisser ses femmes se marier avec les non-musulmans, cet universitaire et chercheur estime que la société algérienne a vécu une période où des transformations rapides ont eu lieu, notamment en matière d’éducation pour les femmes. Mais ces transformations rapides n’ont pas été suivies par l’élite et le système politique «dont la doctrine est devenue plus rétrograde et conservatrice».
Nacer Djabi, qui a fait plusieurs études sur le poids de la religion et du conservatisme dans la société algérienne, compare cette situation à «ce qui s’est passé avec le nationalisme». «Alors qu’il était moderne et ouvert sur le monde durant la guerre de libération et après l’indépendance, il a été influencé, ces dernières années, par le conservatisme et la religion.» Le résultat est qu’«aujourd’hui, la société algérienne ‘‘sanctionne’’ donc la femme qui réussit». «On ne se marie pas avec elle, par exemple, ou on n’en divorce pas rapidement. C’est ce que confirment de nombreuses données démographiques», affirme M. Djabi, pour lequel «l’Algérien, qui représente finalement très bien sa société, a peur de la femme qui réussit». «Certes, il étudie avec elle, travaille avec elle et peut sortir avec elle, mais il préfère se marier avec une autre plus jeune et moins instruite», soutient ce chercheur universitaire, qui ne ménage aucunement le système politique qui ne sait pas comment agir avec les jeunes issus notamment des centres urbains.
«Notre système (politique) sait comment gérer l’Algérien en milieu rural, illettré ou pauvre en lui accordant, par exemple, des aides sociales contre lesquelles il abandonne sa citoyenneté. C’est ce qui paraît clairement à travers les taux de participation aux élections et d’adhésion aux partis politiques (à travers le pays). En même temps, ce même système échoue dans la gestion et la mobilisation des jeunes instruits des villes et des femmes qui réussissent, avec lesquelles il ne sait pas jusqu’à maintenant comment agir», précise M. Djabi, qui estime que l’élite du système politique «a vieilli et devient plus rétrograde et conservatrice».
Pour lui, il suffit de constater le taux de port du foulard des filles et des femmes de nos responsables pour confirmer ce penchant conservateur chez nos dirigeants. «Faire une omra (petit pèlerinage) plusieurs fois par an et le hadj (le grand pèlerinage) chaque année fait désormais partie des rituels de notre classe politique algérienne corrompue», assure-t-il.
H. A.
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