Si Abbès : l’homme de l’ombre qui s’est battu pour une Algérie des lumières
Par M. Aït Amara – C’est un grand moudjahid qui nous a quittés hier. Mohamed Lemkami, Si Abbès, a été rappelé à Dieu à l’âge de 85 ans, suite à un AVC qui lui causa une chute ayant eu pour conséquence un traumatisme crânien. Pris en charge à l’hôpital d’Aïn-Naâdja par une équipe médicale dévouée, l’ancien très proche collaborateur d’Abdelhafidh Boussouf a rendu l’âme après quinze jours de coma.
Le défunt Mohamed Lemkami est l’exemple même de l’Algérien pour qui la patrie passe avant tout. Sa vie, il l’a passée à défendre les causes justes. Un des rares bacheliers sous le joug colonial, privé du minimum vital dans son village natal de Khemis Beni Senous, dans la wilaya de Tlemcen, c’est sous un lampadaire, à même la rue, qu’il révisait ses cours. C’est dire sa faim de savoir pour combattre l’infâme colonialisme.
Son diplôme arraché, il devient instituteur à Zoudj Bghal, ville frontalière avec le Maroc, où il eut ses premiers contacts avec le chef du MALG. Son engagement et son courage durant la Révolution armée feront de lui l’homme de confiance de Boussouf, qui lui confia la difficile mission d’acheminement des armes vers les maquis. C’est ainsi que de grandes quantités d’armements furent introduites et transportées en usant de mille et un subterfuges dont les autorités françaises étaient loin de douter de la faisabilité. Lemkami et ses hommes firent même passer un véritable arsenal dans des rouleaux de goudron !
Avant de rallier le MALG, Mohamed Lemkami avait déjà pris les armes et mené des actions dans la Wilaya V historique. A l’indépendance, il rejoint respectivement les ministères des Finances et du Commerce où il occupera la fonction de secrétaire général, avant d’être désigné à la tête de la Pharmacie centrale.
En 1976, le défunt est élu député. Deux ans plus tard, il devient vice-président de l’Assemblée populaire nationale durant deux mandats. Il était membre de l’Interparlementaire mondiale, aux côtés de grands noms, dont l’Italien Giulio Andreotti. Il fut reçu par Franco, Mao Zedung, Deng Xiaoping et d’autres dirigeants qui ont marqué l’histoire contemporaine. Il fut également ambassadeur d’Algérie en Albanie.
Décoré de la médaille Athir – la plus haute distinction – pour son passé révolutionnaire, Mohamed Lemkami a consacré sa retraite à l’écriture de ses mémoires, après qu’il se fut initié à l’outil informatique à un âge avancé ; il n’y a pas d’âge pour apprendre, croyait-il à juste titre. Il en résulta son livre, Les hommes de l’ombre, un ouvrage richement documenté qui retrace son parcours ainsi que celui de ses compagnons qui ont été à l’origine de la naissance des services de renseignement algériens. Au sein de l’association des anciens du MALG, il s’attela à la recherche et à l’écriture de synthèses et d’analyses, tout en faisant bénéficier ses concitoyens de ses connaissances, par le truchement des nombreuses conférences qu’il anima à travers le pays, dans un élan de partage et de transmission de la glorieuse histoire de l’Algérie aux jeunes, qu’il a toujours encouragés et aux tréfonds desquels il s’est attelé à garder ardent et vivace le sentiment de fierté d’appartenir à ce grand pays qu’il chérissait tant.
Le défunt était connu aussi pour sa défense acharnée et juste des droits de la femme qu’il respectait plus que tout. Dans toutes les fonctions qu’il a occupées, il n’hésitait jamais à confier des postes de responsabilité à ses collaboratrices dont le mérite professionnel était éprouvé, ne faisant aucune ségrégation. Son épouse a toujours compté pour lui. Elle était son appui et sa mémoire. Elle était à ses côtés à chaque fois qu’une mission nécessitait une documentation pour la mener à bien.
Mohamed Lemkami a œuvré, enfin, à sortir son village de l’oubli – un village qui a donné à la Guerre de Libération nationale un grand nombre de martyrs –, a milité du mieux qu’il pouvait pour que l’Algérie aille toujours de l’avant et avait fait siennes les causes palestinienne et sahraouie pour lesquelles il s’est battu jusqu’à son dernier souffle.
Si Abbès a voulu perpétuer son combat en donnant son nom de guerre à son fils unique, pour que la flamme patriotique jamais ne s’éteigne après sa disparition.
M. A.-A.
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