Quand les Arabes du Golfe se donnent en spectacle à Genève
Par Sadek Sahraoui – La guerre de leadership fratricide que se livrent, depuis fin juin, Emiratis et Qataris commence à faire de sérieux dégâts. Le 23 août dernier, le site Intelligence Online a rendu public un document confidentiel attestant des efforts déployés par le quartet arabe emmené par l’Arabie Saoudite pour convaincre les Occidentaux de l’implication de Doha dans le financement du terrorisme à travers les Frères musulmans. Une occasion saisie pour dénoncer son rôle déstabilisateur dans les conflits en Libye, en Syrie, mais aussi au Yémen.
De son côté, le Qatar avait prévenu qu’il ne se laisserait pas faire et qu’il allait rendre chaque coup. Et sa riposte aujourd’hui tourne quasiment au déballage. Pour justifier le gel de leurs relations avec Doha, l’Arabie Saoudite, les Emirats, Bahreïn et l’Egypte avaient, par exemple, reproché aux autorités qataries d’avoir facilité l’ouverture d’une représentation des talibans au Qatar en juin 2013.
Depuis, des échanges de mails rendus publics par le site GlobaLeaks ont montré que les Emirats arabes unis avaient eux-mêmes échoué à accueillir ce bureau des talibans. Ce sont les Etats-Unis qui ont poussé pour qu’une telle représentation ouvre une antenne dans un pays du Golfe afin de faciliter d’éventuelles négociations. Bien évidemment, nombreux sont les observateurs qui pensent que le Qatar est derrière GlobaLeaks.
Les choses ne se sont pas arrêtées là. La presse suisse signale, par ailleurs, que depuis l’ouverture de la session du Conseil des droits de l’Homme à Genève, plusieurs ONG financées par le quartette arabe ont ouvert le feu sur Doha. Elles ont notamment repris à leur compte toutes les accusations portées contre le Qatar par d’autres ONG : exploitation des ouvriers sur les chantiers de la Coupe du monde de football de 2022, financement du terrorisme…
L’une des plus actives est l’Arab Federation for Human Rights. Son président, Ahmed Al-Hamli, un Emirati, a tenu une conférence de presse mercredi au Club suisse de la presse sur le thème «Qatar 2022, le Coupe du monde de la honte». Selon le site d’information 24heures, il a accusé les autorités qataries de «discrimination tribale, d’actes de torture et de déportation». «Au moins une dizaine de ‘‘side events’’ ont ainsi été organisés en marge du Conseil des droits de l’Homme pour mettre le Qatar en accusation. Le 15 septembre, une vingtaine de personnes ont manifesté sur la place des Nations avec des banderoles pour accuser Doha de terrorisme», indique la même source.
Bien évidemment, d’autres ONG plus proches de Doha se sont empressées de sortir à Genève les «casseroles» des Emiratis et des Saoudiens. Au programme, manifestation également sur la place des Nations pour dénoncer la répression aux Emirats arabes unis ou en Arabie Saoudite. 24heures rapporte que «trois avocats londoniens, Toby Cadman, Rodney Thomas Dixon et Rhys Davies, ont fait le déplacement à Genève jeudi pour participer à un événement organisé par l’Arab Organisation for Human Rights (à ne pas confondre avec l’Arab Federation for Human Rights), au cours duquel ils ont dénoncé le recours à la torture par les Emirats arabes unis avec un témoignage de poids, celui de David Haig, un homme d’affaires détenu illégalement durant 22 mois entre 2013 et 2015». «Privé d’avocat et de soins médicaux, il avait enduré les pires sévices. Une affaire qui avait fait les gros titres de la presse britannique», précise 24heures.
Les avocats ont également pointé du doigt, selon la même source, «l’existence de prisons secrètes et les aveux soutirés sous la contrainte. Ce qui les conduit à mettre en doute la fiabilité des témoignages mis en avant par les Emirats arabes unis pour démontrer l’implication du Qatar dans des activités terroristes».
La venue, mercredi à Genève, du directeur exécutif d’Al-Jazeera et de plusieurs panélistes invités à témoigner devant le directeur du Club suisse de la presse, Guy Mettan, des entraves à la liberté d’expression dont la chaîne qatarie est victime dans les pays qui sont en conflit avec le Qatar renseigne à quel point cette guerre entre frères ennemis va de mal en pis.
Selon la presse suisse, le représentant permanent des Emirats arabes unis auprès de l’ONU, Obaid Salem Al-Zaabi, a dénoncé aussitôt au nom du quartette arabe, devant un Conseil des droits de l’Homme à la fois amusé et exaspéré par les luttes arabo-arabes, «les manœuvres du Qatar pour améliorer son image devant la communauté internationale et l’opinion publique mondiale». Et de soutenir mordicus : «Au cours des vingt dernières années, le Qatar a construit une plateforme qui soutient l’extrémisme et le terrorisme.»
S. S.
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