Boudjedra : «Sansal et Kamel Daoud sont des contrebandiers de l’Histoire»
Par R. Mahmoudi – Sorti cette semaine aux éditions Frantz-Fanon, dont le siège est à Tizi-Ouzou, le nouveau livre de Rachid Boudjedra se veut comme une réponse à toutes ces voix qui, dans la confusion actuelle, se sont obstinées à réécrire l’histoire et à y imprimer de nouvelles facettes. Tout est dans le titre : Les contrebandiers de l’Histoire.
Ecrit dans un style à la fois simple et incisif, ce pamphlet de 91 pages analyse le phénomène de la falsification de l’histoire et aboutit à cette conclusion désopilante, à savoir que le révisionnisme algérien a pris racine dès les premières années de l’indépendance. L’auteur cite des exemples de ces «contrebandiers» de l’Histoire et dit sa tristesse de voir des «autochtones» relayer des (néo)colonialistes (BLH, Alain Finkielkraut, Eric Zemmour…) dans cette entreprise négationniste qui, d’après lui, a dépassé toutes les limites.
Il dit avoir écrit ce «brulot» pour dire que l’Algérie «va mal», que les Algériens sont «malheureux», «fragiles», «désemparés», «humiliés dans leur fierté nationale par des larbins et par les nouveaux harkis de l’ère moderne».
La première cible de Boudjedra : Boualem Sansal, avec son Village de l’Allemand, qui lui rappelle un roman d’Ali Boumahdi publié en 1970, Le village des Asphodèles, premier roman qui, selon Boudjedra, loue les bienfaits de la colonisation. Il rappelle que Sansal compare l’ALN à l’armée nazie, du fait du recrutement de légionnaires issus du IIIe Reich. Boudjedra enquête sur le sujet et revient avec une nouvelle lecture de ces Allemands accueillis par les moudjahidine. Puis, il y a eu le film de Mahmoud Zemmouri, Les folles années du twist (1982), qui chante le bonheur des Algériens pendant la colonisation française et célèbre l’amitié entre les deux peuples, «c’est-à-dire entre le bourreau et sa victime».
Sur sa lancée, l’auteur de L’escargot entêté revient sur la polémique suscitée par la parution de l’ouvrage élogieux du bachagha Bouaziz Bengana, écrit et présenté en Algérie par sa petite-fille Ferial Furon. Boudjedra voit là les signes d’une compromission inacceptable qui ouvrait la voie à la réhabilitation des pires collaborateurs que l’Algérie ait connus. Sur ce sujet, l’auteur ne dissipe, cependant, pas la confusion qui entoure le parcours des Bengana et leur rôle dans la répression de la résistance algérienne et qui a fait directement penser au père de Bouaziz, qui s’appelle M’hammed Bengana, connu pour être celui qui aurait ordonné à ses sbires de couper les oreilles aux résistants de la révolte des Zaâtcha (1849) et décapité notamment son chef, Si Bouziane.
Boudjedra n’épargne pas Yasmina Khadra, dont le roman Ce que le jour doit à la nuit est, selon lui, «l’expression d’un fantasme algérien que Frantz Fanon a bien analysé» : «Le colonisé est souvent orphelin de son colon ; et de ce fait, il va le sublimer, lui trouver toutes les qualités humaines et extrahumaines. A ce moment-là, le refoulé du colonisé revient d’une façon sublimatoire et au galop ! L’autre, le colon dominateur, raciste, arrogant et répressif avec tout l’aréopage qui l’entoure, le protège, alors, et réprime ‘‘l’Arabe’’, le bougnoule, devenant ainsi le père sublimé et sublimatoire, le prêtre et le sauveur (…).»
Boudjedra s’en prend également avec autant de virulence à l’universitaire Wassila Tamzali, qu’il avait toujours connue «progressiste» et à qui il reproche d’avoir eu une part active dans cette œuvre de «contrebande» du récit national, d’abord en essayant, dans un roman, de disculper son père (un riche commerçant de Béjaïa exécuté par l’ALN sur ordre du colonel Amirouche), puis en reproduisant le discours perfide du «qui tue qui ?» sur les massacres des années 1990.
Parmi les contrebandiers de l’histoire, Boudjedra cite Kamel Daoud. Il lui reproche d’avoir fait d’Albert Camus «un grand ami des Arabes» et «plus algérien que n’importe quel Algérien», tout en déclarant son indifférence pour les Palestiniens, les Arabes et les musulmans, «lui qui, écrit Boudjedra, a été très jeune membre du GIA !».
R. M.
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