Interview – Jean-Loup Izambert : «Le MAK reprend la même propagande utilisée par le FIS» (III)
Algeriepatriotique : Vous soutenez que le nord du Maroc est devenu un hub de transit et l’un des principaux fournisseurs de djihadistes avec la Libye, la Tunisie et l’Arabie Saoudite, facilitant les activités de recrutement et d’organisation de groupes criminels. Par quel biais se font ces recrutements ? Dans quelles villes ? Et quels sont leurs soutiens ?
Jean-Loup Izambert : Ces recrutements se font dans quelques pays d’Europe occidentale par le biais de mosquées, d’organisations proches de la mouvance islamiste, mais également dans les quartiers de grandes villes et les prisons. Le roi Mohammed VI prit dès le début position pour une intervention armée afin de renverser la présidence et le gouvernement de la république laïque syrienne. Cette prise de position du «commandeur des croyants» favorisa le recrutement de milliers de mercenaires tant en Europe occidentale qu’au Maroc et dans plusieurs pays arabes. Mais, suite à la coopération de la Fédération de Russie, de la République islamique d’Iran et de l’Irak avec la Syrie, de défaite militaire en défaite diplomatique des islamistes sunnites soutenus par les Occidentaux, Mohammed VI a dû revoir sa copie. Les grandes villes du nord du Maroc où, pour des raisons historiques et économiques, vivent des populations en contact régulier avec la rive européenne de «la mer aux trois continents», étaient propices à l’activité des facilitateurs qui guident les déplacements des «combattants» recrutés en Europe. La large majorité d’entre eux ne sont même pas croyants. Rejetés par leurs sociétés, souvent sans travail, sans argent, sans activité, ces exclus de la mondialisation capitaliste n’ont connu que la violence dès leur jeunesse. Ils ont cru naïvement que la guerre que les médias leur justifiaient à longueur de journée leur permettrait d’exister en défendant une cause présentée comme juste par les politiciens et les médias.
J’ai suivi l’une des routes principales empruntées par certains de ces jeunes recrutés en Belgique, en France et en Espagne jusqu’au Maroc. Vous avez pu lire, à travers ce parcours et des témoignages, comment ceux-ci entrent au Maroc et sont ensuite pris en main par des cellules islamistes. Mais, concernant le Maroc, je pense qu’il faut éviter les généralités. Si les dirigeants français considèrent toujours le Maroc comme leur basse-cour, les mentalités évoluent dans l’appareil d’Etat marocain et dans la population. J’ai pu observer, lors de mes rencontres au Maroc de 2007 à 2014, que de plus en plus de cadres de l’administration disent leur désaccord au soutien apporté par le gouvernement à des groupes terroristes, qu’il s’agisse de ceux présents sur le Sahara ou de ceux organisés en Libye ou en Syrie. Un Marocain à qui je demandais son avis sur Mohammed VI m’a dit ouvertement : «Il est comme la reine d’Angleterre ! La cour est très riche et notre pays très pauvre !» Un avis qu’il n’aurait jamais osé exprimer, même en privé, il y a quelques années seulement. L’entretien que je rapporte dans 56 avec un haut fonctionnaire proche des services de renseignement marocains est sur ce point symbolique de cette évolution. Vous avez d’un côté le discours de propagande de guerre tenu par les islamistes du Parti de la justice et du développement (PJD) dont l’ancien Premier ministre, AbdeliIlah Benkiran, et, à l’opposé, la prise de conscience par des responsables de services de l’armée, de la police, d’organisations politiques et syndicales, d’associations… des conséquences catastrophiques de la politique des islamistes au pouvoir. Ils connaissent d’autant mieux celles-ci qu’ils risquent leur vie pour combattre ces réseaux que soutiennent des membres du PJD.
Vous utilisez le conditionnel quand vous vous faites l’écho de la presse algérienne qui a longtemps affirmé l’existence de connexions entre les services secrets marocains et des groupes terroristes visant à déstabiliser l’Algérie. Que peuvent nous dire vos investigations à ce sujet ?
Répondre précisément à cette question nécessite une longue enquête qu’il est difficile de conduire sur place pour un journaliste européen pour plusieurs raisons, notamment culturelles. J’ai pour habitude d’indiquer mes sources. Ce que je rapporte aux lecteurs sont des faits, des dates, des noms, des lieux de manière précise.
Les Etats impérialistes – principalement les Etats-Unis, l’Angleterre, la France, l’Espagne et l’Italie – tentent de déstabiliser l’Algérie avec un triple objectif : s’approprier plus largement ses richesses, en faire une base leur permettant de contrôler le passage de la Méditerranée à l’Atlantique et augmenter leurs possibilités d’interventions économiques et militaires sur le Maghreb, le Moyen-Orient et l’Afrique. C’est ce qu’ils ont commencé à faire en Tunisie et en Libye. A cette fin, ils reçoivent l’appui de dirigeants des Frères musulmans et d’organisations de leur mouvance pour prendre l’Algérie en «tenaille». D’une part, ils favorisent des troubles sur le Sahara à partir du Maroc et du Sud libyen et, d’autre part, ils soutiennent discrètement des dirigeants de mouvements qui se présentent comme «autonomistes» sur le Sud et l’Est algérien. C’est par exemple, parmi d’autres, les cas du Congrès mondial amazigh (CMA) ou du Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie (MAK). Sous une couverture identitaire, ceux-ci jouent le rôle que les services étasuniens, anglais et français confièrent dans les années quatre-vingt-dix à l’UCK, l’organisation militaro-mafieuse albanaise, pour éclater la République fédérative de Yougoslavie avec le soutien de l’Otan. Ils firent de même avec d’autres groupes, tel celui dirigé par le criminel Abdelhakim Belhadj entraîné pour mener la guerre contre l’Afghanistan avant de recevoir le soutien du Qatar, des Emirats arabes unis et de la France pour renverser le gouvernement libyen.
Il faut bien comprendre que les Etats-Unis sont dans une crise profonde qui ne peut que s’aggraver. Les grands propriétaires privés de la finance et de l’économie n’ont plus que le chaos et la guerre pour prolonger la survie du système qui leur permet de s’enrichir. C’est ce qu’ils appellent conquérir de «nouveaux territoires économiques». Ces territoires ne correspondent pas aux frontières terrestres et maritimes des Etats, mais aux localisations des ressources qui présentent un intérêt financier pour les transnationales qu’ils dirigent (pétrole, gaz, or, minerais précieux, eau, agroalimentaire, pêche, etc.) et leur domination. Les menées subversives des organisations qu’ils soutiennent en sous-main s’accompagnent de campagnes médiatiques contre le gouvernement algérien, les forces armées, la police et contre des organisations démocratiques comme l’UGTA. Vous remarquerez que toutes ces administrations de l’Etat et ces organisations ont en commun d’être rattachées à la souveraineté et à l’unité de l’Algérie. Sous la houlette des Etats-Unis, les Occidentaux reprennent aujourd’hui le travail de sape contre la république algérienne, qu’ils ont tenté avec le FIS dans les années quatre-vingt-dix, que l’armée et le peuple algérien mobilisé ont fait échouer. Il n’est donc pas étonnant de trouver côte à côte d’anciens meneurs du FIS avec ceux de ces groupuscules. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant non plus de voir Ferhat Mehenni, le fondateur du MAK, lancer son «gouvernement» fantoche depuis Paris et aller chercher l’appui des dirigeants d’Israël. Mehenni veut – je cite sa déclaration en décembre 2015 devant le Centre consultatif des relations juives et israéliennes (CIJA) du Québec – «sceller des accords d’amitié et de coopération avec le gouvernement d’Israël». Pactiser avec le principal ennemi des peuples du monde arabe, demander le soutien des dirigeants criminels qui empoisonnent la vie diplomatique internationale et assassinent le peuple palestinien, voilà qui en dit long sur l’origine de ce mouvement comme sur sa nature et ses objectifs.
Le président et le gouvernement algériens semblent avoir du mal à comprendre qu’il ne peut y avoir d’accords de coopération économique ou sécuritaire mutuellement avantageux avec les Etats-Unis pour une raison simple : ceux-ci passent leur temps à instrumentaliser des groupes pour abattre la République algérienne. Sans doute faut-il rappeler au président Bouteflika que les ambassades américaines sont des nids d’espions et, comme l’a dit Nelson Mandela, que «le comportement des USA est une menace pour la paix dans le monde». Depuis sa fondation en 1776, «le pays de la guerre» a consacré plus de 95% de son existence à faire la guerre aux peuples sur tous les continents pour piller leurs richesses et imposer son hégémonie.
Quant à la France, pendant que les représentants des gouvernements algérien et français signaient de nouveaux accords de coopération en 2016, ses dirigeants favorisaient le développement sur son territoire, depuis les années 2010, de la campagne anti-algérienne menée par le MAK. En avril 2017, l’anti-algérien Ferhat Mehenni continuait publiquement depuis Paris sa campagne de désinformation et de haine contre l’Algérie. Ce n’est pas un hasard si ses discours reprennent les mêmes thèmes de propagande d’appel à la violence, à la partition du pays et au renversement du pouvoir central que ceux utilisés hier par le FIS.
Les putschistes du Conseil national de transition (CNT) pour la Libye et ceux du Conseil national syrien (CNS) pour la Syrie ont procédé de même. Paris est devenue la poubelle au fond de laquelle se retrouvent les politiciens aventuristes et criminels de toutes sortes venus chercher un soutien politique, médiatique et, pour certains, militaire, pour répandre la terreur dans le monde arabe.
Les médias français continuent leur deux poids, deux mesures dans le traitement de l’information. L’opinion française a-t-elle pris conscience qu’elle se fait manipuler et est complètement désinformée ? Pourquoi les auteurs d’attentats en Europe sont-ils qualifiés de terroristes par ces mêmes médias et de «combattants et rebelles» en Afrique du Nord et dans la région du monde arabe ?
Exception faite des chaînes publiques de France Télévisions, la quasi-totalité des médias français sont entre les mains d’une dizaine de milliardaires avec les conséquences qui en découlent sur la qualité de l’information. Vous avez pu lire dans 56 comment j’ai empêché une campagne de presse contre la République islamique d’Iran qu’un journaliste de Paris-Match, collaborateur de la DGSE et du Mossad, a tenté de lancer en utilisant mon travail d’investigation. Ces médias n’ont cessé de justifier les guerres contre la Libye puis contre la Syrie. Ils ont donné la parole aux associés des crimes contre la Libye et la Syrie qu’ils ont maquillés en «rebelles» dès 2011, tout comme ils l’on fait dans les années quatre-vingt-dix avec les dirigeants du FIS contre l’Algérie.
Ahmed Manaï lui-même, ancien expert auprès de l’ONU, qui fut un compagnon de route d’Ennahdha, a rapporté en avril 2013 la volonté et le soutien de certaines parties du gouvernement français, notamment du ministère des Affaires étrangères, de faciliter l’accès aux médias français pour les islamistes. Depuis les années quatre-vingt-dix, des campagnes de désinformation ont été téléguidées depuis l’Elysée et le ministère des Affaires étrangères avec différentes structures du renseignement. Ce fut notamment le cas des campagnes de propagande de guerre sur le thème de l’«utilisation d’armes chimiques par l’armée syrienne» quand ce sont les criminels soutenus par des Etats occidentaux et du Golfe qui s’y sont employés, tant en Irak qu’en Syrie.
En février 2017, lors d’un entretien avec Bachar Al-Assad, Fabien Namias, qui figurait parmi les journalistes de TF1 et d’Europe 1, interviewant le président syrien, lui demanda : «Comment pouvez-vous dire que la France soutient le terrorisme ?» Le président syrien, qui n’est pas un grand révolutionnaire comme le fut en son temps le Premier ministre Salah Jedid, leur répondit de manière très diplomatique et très générale. En ce qui me concerne, je l’affirme, je l’écris et je le prouve comme vous avez pu le lire dans les deux tomes de 56 et dans Trump face à l’Europe. Du reste, les rédactions de TF1 et d’Europe 1 ont été informées, comme la quasi-totalité des médias français, de la parution de mes enquêtes en octobre 2015 et en juin 2017 sans jamais y donner suite. Si ces médias souhaitent vraiment informer leurs auditeurs, preuves à l’appui, sur la protection et le soutien de dirigeants et hauts fonctionnaires français à des organisations criminelles, ils peuvent toujours organiser une émission sur ce thème d’actualité et m’y inviter.
Les médias français découvrent aujourd’hui que les «révolutionnaires» et «rebelles» qu’ils présentaient hier comme des «opposants modérés» échappent à leurs «employeurs» occidentaux et viennent frapper jusque dans leurs rues et salles de rédaction. Le temps où certains médias français qui donnaient la parole à Fahad Al-Masri, propagandiste de l’«opposition syrienne» qui qualifia en juillet 2012 les attentats en Syrie «d’opérations de qualité», serait-il révolu ? Les attentats ignobles, d’une cruauté incroyable, perpétrés en Syrie par les organisations proches des Frères musulmans ne seraient-ils plus des «opérations de qualité» lorsqu’ils se produisent en France et dans d’autres pays occidentaux ? La vie d’un Arabe ne vaudrait-elle pas celle d’un Français, d’un Anglais ou d’un Belge ? Les dirigeants français, qui ont favorisé le développement de la pègre terroriste, découvrent maintenant qu’elle tue en France même. Lorsque des tueurs frappent une foule de civils, assassinent des gendarmes ou des militaires, foncent avec des camions ou des voitures sur des passants innocents, comme ils l’ont fait en Syrie de manière encore plus brutale et ignoble, font-ils du «bon boulot», comme l’a prétendu l’ancien ministre des Affaires étrangères, Fabius ? Il faudrait aller lui poser la question au fond de sa retraite.
Vous citez l’imam iranien Ahmad Khatami qui, au lendemain de l’attentat contre Charlie Hebdo, a tancé les chancelleries occidentales, leur rappelant que ce sont elles qui ont «élevé ces bêtes sauvages et ces serpents venimeux. (…) Ces terroristes sont les vôtres !» La France ne vient-elle pas de le confirmer en annonçant, par le biais de son ministère des Affaires étrangères, vouloir défendre «ses» terroristes en Irak ?
Tout à fait. Les dirigeants des anciennes puissances coloniales espèrent toujours pouvoir s’approprier les richesses des peuples au moindre coût, quitte à déclencher des guerres qui durent des décennies, comme en Afghanistan, dans les Balkans, en Irak ou en Libye. Les Etats capitalistes qui connaissent la plus grave crise de leur histoire ne peuvent plus survivre que par la guerre. Guerre financière, économique, politique, médiatique. Voyez les Etats-Unis dont la dette n’est plus remboursable ou Israël dont l’économie est pour moitié dépendante de l’étranger. Cet Etat religieux ne subsiste que par les milliards de dollars qu’elle reçoit des Etats-Unis, le vol de terres arabes, la guerre qu’elle entretient sur le Moyen-Orient depuis 1947 en violation totale de la Charte et des décisions de l’ONU et l’incapacité des Arabes à s’unir pour délivrer leurs frères palestiniens de l’occupation sioniste. Aux dirigeants français, qui estiment avoir à défendre «leurs» territoires en Irak ou prétendent mener une «politique arabe», les dirigeants arabes devraient répondre en dénonçant vigoureusement l’utilisation du terrorisme contre les peuples et en réduisant toutes leurs relations avec les Etats soutenant le terrorisme, France comprise.
Je pense que les forces progressistes civiles et militaires arabes doivent reprendre le chemin ouvert par le Syrien Salah Jedid, le Libyen Mahmoud Soleiman El-Maghrebi ou l’Algérien Houari Boumediène. Sous leur direction, leurs pays respectifs étaient respectés, de grands chantiers de modernisation ont été entrepris et la misère a commencé à reculer. Malheureusement, pour des raisons diverses, tous ont été écartés du pouvoir sans que ces peuples ne réagissent. Il leur appartient aujourd’hui de consolider les forces démocratiques de leurs sociétés et de mobiliser l’ensemble de leurs peuples sur des objectifs politiques et économiques clairs.
Quelles sont les conséquences de cette politique des dirigeants français qui déclarent vouloir combattre le terrorisme tout en continuant à le soutenir ?
Les conséquences sont déjà en cours. Les cas de l’Irak, de l’Afghanistan ou de la Libye montrent que ces peuples ne connaissent que la guerre provoquée et entretenue par quelques Etats occidentaux, principalement les Etats-Unis, l’Angleterre et la France avec l’Otan. Ces Etats bénéficient pour leurs interventions de l’appui des dictatures wahhabites du Golfe. Dans le même temps, leurs sociétés transnationales spolient les peuples des richesses qui leur permettraient de se développer économiquement et socialement. Il en résulte pour eux une stagnation, un accroissement de la pauvreté, la destruction des infrastructures du pays, la mort et le déplacement de millions de personnes. Les peuples arabes n’ouvriront pas les portes d’un avenir de paix et de développement en discutaillant avec leurs agresseurs. Les grands chantiers de la paix et du développement économique, social et culturel dans le respect de la souveraineté des nations sont aujourd’hui initiés par l’Organisation de coopération et de sécurité (OCS), également appelée Organisation de coopération de Shanghai, et les structures du groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud). Les peuples qui s’y rejoignent depuis les années 2000 réalisent ensemble des coopérations financières, économiques et culturelles mutuellement avantageuses sans précédent dans le monde.
Malheureusement, exception faite du Maroc, les peuples arabes sont encore par trop absents de ce grand mouvement émancipateur. «Maroc Export», le Centre marocain des exportations, a multiplié depuis quelques années les délégations économiques et les rencontres avec ses homologues de la Fédération de Russie. La plus importante rencontre diplomatique entre les deux pays a eu lieu à la mi-mars 2016 lorsque le roi Mohammed VI s’est rendu à Moscou à la tête d’une délégation comprenant dix ministres, dont le chef de la diplomatie marocaine et les responsables économiques du gouvernement. D’importants contrats ont alors été signés dans plusieurs secteurs économiques pour renforcer les relations entre les deux pays. Résultat : depuis les sanctions des Etats-Unis et de l’Union dite «européenne» contre la Fédération de Russie, au prétexte que la politique étrangère de Moscou ne leur convient pas, le Maroc est devenu le premier partenaire commercial africain et arabe de la Fédération de Russie. Les échanges commerciaux entre les deux pays se sont renforcés au point d’atteindre plus de 2,5 milliards de dollars par an. Ces coopérations mutuellement avantageuses dégagent des résultats financiers qui devraient permettre au Maroc de créer des emplois et de financer des projets de développement économique et social. Le devenir des profits ainsi réalisés par les entreprises grâce à ces nouvelles coopérations est aujourd’hui l’affaire du patronat et des travailleurs marocains avec leurs organisations. Pendant ce temps, les responsables algériens posaient pour la photo avec leurs homologues étasuniens, français, émiratis ou saoudiens pour des coopérations sans grande importance et surtout sans réelles retombées politiques, économiques et financières pour l’Algérie.
Les choses semblent commencer de changer maintenant, avec les récents accords de coopérations entre l’Algérie et la Fédération de Russie. Mais l’Algérie a perdu beaucoup de temps sous la présidence de Bouteflika et aurait certainement à gagner pour se développer en préservant son indépendance en travaillant plus étroitement avec les pays membres de l’OCS.
Nous connaissons aujourd’hui les enjeux et les conséquences d’une telle duplicité. Seulement, cela ne change rien à l’attitude des dirigeants occidentaux envers ces groupes extrémistes qui continuent à s’implanter en Europe et partout ailleurs. L’idée que le terrorisme est un «ennemi utile» se confirme-t-elle aujourd’hui ?
L’idée selon laquelle le terrorisme serait un ennemi utile est toujours en vogue dans les allées du pouvoir français comme de celui des Etats-Unis ou d’Angleterre. Il suffit de voir comment, au-delà des protections et des soutiens apportés depuis des années par des dirigeants français à des groupes criminels, ceux-ci continuent de les protéger. Je ne citerai que deux exemples parmi de nombreux autres que je développe dans le tome 2 de 56 : de juin 2014 à septembre 2015, date du début de la coopération de l’armée russe avec la Syrie et l’Iran, en près d’un an et demi, la «coalition internationale contre le terrorisme» de Washington a laissé se développer le trafic de pétrole des groupes armés avec des sociétés turques. Elle en avait parfaitement connaissance par ses moyens de renseignement. Elle a ainsi laissé ces groupes, dont Daech, se constituer un trésor de guerre pour poursuivre leurs attaques contre la société syrienne. Au plan diplomatique, Paris, Londres et Washington ont entravé systématiquement toutes les propositions de paix afin de gagner du temps et laisser ainsi les groupes terroristes qu’ils soutiennent poursuivre leur sale besogne. Ils ont été jusqu’à s’opposer à une proposition russe demandant d’inscrire toutes les organisations criminelles sur la liste des organisations terroristes de l’ONU. Ils ont ainsi protégé l’Armée syrienne libre et d’autres groupes comme Jaïch Al-Islam ou Ahrar Al-Sham qui se sont livrés à de terribles massacres en Syrie et leur ont permis de continuer de répandre la terreur.
Déjà en avril 2015, lors de la IVe Conférence de Moscou sur la sécurité internationale, le colonel-général Igor Sergun, alors directeur du Service de renseignement militaire de la Fédération de Russie (GRU), analysait que «tout en entretenant une relation avec les extrémistes, quelques pays occidentaux semblent certains que leur prétendue stratégie de chaos contrôlé dans des régions lointaines ne résultera pas en conséquences tragiques pour eux, au moins à moyen terme, mais je pense qu’ils se trompent lourdement». Il estimait alors que «le renforcement des groupes extrémistes, à l’instigation des Etats-Unis et de leurs alliés, surtout au Moyen-Orient et en Asie centrale, entraîne une réelle menace d’exportation du terrorisme vers les pays européens». C’est exactement ce qui s’est passé. Nous assistons aujourd’hui à l’implantation et au développement de nouvelles formes de terrorisme en Europe. Les dirigeants occidentaux qui ont favorisé le développement de cette pègre terroriste devraient prendre conscience que les attentats qui ont eu lieu dans leurs pays respectifs ne sont en rien des attentats terroristes de grande intensité comme peuvent en commettre ces groupes. Je parle de dizaines, voire de centaines de morts un jour de fête, de la destruction de la Bourse de Wall Street, de la City de Londres ou du quartier des affaires de Paris. N’est-ce pas les groupes de la même idéologie totalitaire et destructrice qu’ils encouragent à prendre le pouvoir dans le monde arabe par de tels attentats ? Chacun est désormais placé devant ses responsabilités. Mais je ne vois pas comment des dirigeants politiques, quels qu’ils soient, pourraient lutter contre le terrorisme avec ceux qui lui ont permis de se développer. Comme le disait le savant Albert Einstein, «ce n’est pas avec ceux qui ont créé les problèmes qu’il faut espérer les résoudre».
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi (suite et fin)
- Les lecteurs d’AP peuvent télécharger la version papier ou numérique en cliquant sur : www.is-edition.com
Comment (44)