Un journaliste espagnol décrit la paranoïa qui s’est emparée du Makhzen
Par Houari Achouri – Dans une interview intitulée «Au Maroc, les autorités surveillent tout le monde», publiée dans le dernier numéro du magazine trimestriel français Moyen Orient, Ignacio Cembrero, un journaliste espagnol spécialiste du Maghreb, décrit la véritable paranoïa qui s’est emparé du Maroc où «les autorités surveillent tout le monde, y compris le PJD qui, théoriquement, dirige le gouvernement».
Tout ce qui peut comporter le moindre risque pour le Makhzen est sous contrôle : les islamistes qui ne sont pas dans le gouvernement et bien entendu les Sahraouis qui luttent pour l’indépendance du Sahara Occidental. Ainsi, «à l’extérieur, les services (marocains) contrôlent, ‘débauchent’ et parfois, en collaboration avec la diplomatie marocaine, essayent de contrecarrer les initiatives des amis du Front Polisario. Certains des agents marocains arrêtés en Allemagne ne se consacraient, d’après le procureur, qu’à surveiller les associations proches du Polisario».
Mais Ignacio Cembrero tient à préciser que «depuis mai 2017, les activistes rifains, au Maroc et à l’étranger, sont cependant devenus l’objectif n°1 des services». Et il explique pourquoi : «Le Rif inquiète beaucoup l’Etat marocain, car il pourrait le déstabiliser si la révolte s’étendait au reste du pays».
Sur les causes de la tension qui caractérise les relations entre l’Algérie et le Maroc, le journaliste espagnol n’est pas très convaincant. Son analyse est d’un simplisme surprenant. En effet, il rapporte tout à la «grande ignorance chez les Algériens et les Marocains de ce qui se passe chez leur voisin». Il développe cette idée dans un schéma primaire qui renvoie dos à dos les deux pays du Maghreb : «Les Marocains pensent que l’Algérie est une dictature militaire sans nuances et les Algériens que le Maroc est une monarchie féodale.»
Et le Sahara Occidental, dans tout cela ? Pour Cembrero, «le Sahara occidental y est pour beaucoup dans cette relation tendue, mais il n’explique pas tout». La vraie cause, c’est qu’«il y a une rivalité de fond qui remonte à avant que ne surgisse le conflit. Ils sont allés jusqu’à se faire la guerre à cause de leur querelle sur les frontières, en 1963», estime-t-il.
Le journaliste espagnol reprend la thèse de l’Union européenne selon laquelle la crise entre l’Algérie et le Maroc est préjudiciable aux deux pays : «Cette dispute éternelle leur cause un énorme tort sur tous les plans, à commencer par l’économie, mais elle nuit aussi à l’Europe du Sud.» En fait ce sont, selon lui, surtout les intérêts des pays d’Europe du Sud qui pâtissent des mauvais rapports entre les deux pays maghrébins voisins. Il exprime cette idée comme personne ne l’a fait avant lui aussi clairement : «Si le Maghreb connaissait un processus d’intégration similaire à celui de l’Europe à la fin des années 1950, les taux de croissance de l’Espagne, du Portugal, de l’Italie et même de la France s’en ressentiraient positivement.»
Il confirme que l’Espagne et la France penchent pour le Maroc sur la question du Sahara occidental et il en donne une preuve : «Si le mandat de la Mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara Occidental (Minurso) n’a pas, par exemple, été élargi pour qu’elle ait des compétences en matière des Droits de l’homme, c’est grâce à Paris.» Autre exemple : «Si la Commission européenne cherche à ne pas trop tenir compte de l’arrêt de décembre 2016 de la Cour européenne de justice sur l’accord agricole avec le Maroc et son application au Sahara Occidental, c’est aussi grâce au rôle joué par le Quai d’Orsay.» Pour Ignacio Cembrero, «la France, de droite comme de gauche, est toujours aux petits soins pour la monarchie marocaine». Mais, ajoute-t-il, «sur bien d’autres sujets» encore, l’Espagne et la France sont avec le Maroc. Sous-entendu au détriment de l’Algérie.
H. A.
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