Contribution du Dr Arab Kennouche – Système, mafia et corruption en Algérie
La crise financière qui secoue l’Algérie actuellement est certainement de nature exogène, rivée sur les cours du pétrole comme elle est. Mais il existe une part d’ombre non négligeable de cette mauvaise passe que traverse l’Algérie et qui s’explique par un système politico-économique de nature mafieuse au sens sociologique du terme. Entendons-nous bien sur le terme employé, il s’agit bien d’un phénomène diffus de gouvernance parallèle décrivant des pratiques commerciales, organisationnelles, lucratives et visant à se détourner des circuits officiels peu rentables de sorte à s’assurer un accaparement de positions sociales et politiques incontournables dans le jeu réel des institutions.
Dire que l’Algérie n’a pas emprunté la voie mafieuse par excellence, c’est rendre encore peu service à un diagnostic probatoire du phénomène d’évitement étatique qui caractérise en principal le fonctionnement politique de l’Algérie sous Bouteflika. Le recours récent à la planche à billets pour financer l’Etat rend ainsi compte de deux options occultées par le gouvernement Ouyahia, celui d’une nouvelle politique de réforme de l’Etat qui imposerait des règles de droit incontournables et, partant, d’une stratégie autonome de lutte contre la corruption basée sur le consensus.
Or, le gouvernement Ouyahia, empêtré dans un tourbillon médiatico-politique, où l’invective prédomine sur la raison, ne semble pas à l’heure actuelle être en mesure de proposer une méthodologie consensuelle de sortie de crise, d’où encore cette hystérie collective par laquelle de nombreuses personnalités n’ont pour ultime recours que de flatter leur propre ego, les cadres institutionnels faisant défaut. Pourtant, à leur décharge, il existe des causes bien plus profondes de ce chaos qui ne dit pas son nom, et que subissent les élites politiques algériennes malgré elles.
De la démocratie chimérique mais utile
Contrairement à une idée fort répandue, la démocratie telle que revendiquée par l’opposition en Algérie, depuis le RCD jusqu’à Jil Jadid, n’existe nulle part ailleurs que dans la partie idéaliste de nos cerveaux, pas plus qu’elle ne fut effective dans la Grèce du IVe siècle de Périclès. Or, dans le discours latent des politiques algériens, tous confondus, on tend encore à faire croire au peuple que le problème de la gouvernance en Algérie tient à l’absence de démocratie. En Algérie, les croyances politiques sont encore empreintes d’une grande naïveté, entre un pouvoir qui craint la démocratie et un peuple qui la réclame sans savoir ce qu’elle est véritablement.
En effet, dans les grandes démocraties occidentales, on a réussi à obtenir, et même fabriquer, un consentement, pour reprendre Chomsky, sur l’idée que les nations vivent en démocratie et c’est le plus important : il existe partout en Occident des systèmes de pouvoir parallèles qui fonctionnent comme garde-fous et qui, souvent, sont de nature antidémocratiques mais qui apparaissent comme répondant aux lois éternelles de la souveraineté populaire aux yeux des peuples. En d’autres termes, le véritable pouvoir est enfoui quelque part et se pare de l’habit démocratique pour continuer d’exister.
En Algérie, nous ne sommes jamais parvenus à un tel raffinement dans le jeu politique, si bien que le pouvoir, au lieu d’être protégé dans une coque à l’abri des tumultes de la masse dont les rêves sont irréalistes, se trouve en confrontation permanente avec une opposition anachronique, ingénue et même porteuse de risques à terme. Bouteflika, à son tour, se méfiant de la démocratie, aurait dû s’en servir justement pour consolider son pouvoir, en offrant une alternative de choix politiques faisant figure de garantie démocratique pour le peuple. Il écrasa la «démocratie», ne sachant pas qu’elle lui aurait grandement servi comme paravent. Ainsi, ce qu’on appelle opposition en Algérie n’est en fait qu’un conglomérat de partis sans aucune légitimité sociale autre que celle de lutter contre le houkouma (gouvernement), vestige honni de l’Etat-FLN qui perdure aujourd’hui comme pilier du pouvoir tant dans l’imaginaire et la conscience politique des Algériens.
On aurait dû créer un véritable système bipartisan non autistique, qui soit validé par le peuple en se référant aux intérêts de classe, économiques et idéologiques au lieu de cette empoignade éternelle entre l’Etat-ANP-FLN/RND et l’opposition, ramassis de personnalités politiques dont on attend uniquement qu’elles donnent le change au pouvoir. Il fallait créer deux puissants partis en «opposition démocratique», comme on l’a si bien fait en Occident (…), et enfouir l’ANP-FLN-RND dans l’Etat profond, à l’abri des éclats et des regards indiscrets. En Algérie, on a effectué le contraire, ce qui ne se fait nulle part ailleurs : l’armée est devenue une force politique de premier rang, un bouclier exposé en permanence, à l’air libre, objet de toutes les convoitises mais aussi de tous les dangers à venir.
Le schéma de l’opposition verticale fonctionne à plein régime entre une classe de nantis sans conviction politique et celle de démunis ayant abandonné tout espoir de protection par l’Etat. Il n’est pas, jusqu’au Premier ministre, de réclamer presque malhonnêtement, l’émergence d’une opposition réfléchie et civilisée, ce qui, dans le système à ciel ouvert actuel, n’a aucun sens, sauf celui de montrer qui commande réellement. Au lieu de créer une démocratie de façade comme aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en France, fiction qui a pourtant ses effets bénéfiques, comme l’a montré l’Occident, on a piétiné toute forme de démocratie, souvent par islamisme interposé, commettant l’erreur de croire que le peuple ne nourrit aucun idéal démocratique, comme un homme à qui l’on ôterait l’idée de son immortalité.
Dans le système de pouvoir actuel, c’est, par conséquent, le rapport de force qui règle le jeu. Armée contre ou pour le peuple, par présidence interposée : le peuple dans son intégralité devient l’objet de toutes les convoitises mais en dehors de sa liberté d’expression et d’organisation politique. Liberté souveraine que l’on aurait dû aider à construire par un système de partis proches des difficultés économiques des familles réelles, alors que tout le discours politique latent de l’opposition n’a toujours pas quitté la vieille souche problématique de la légitimité révolutionnaire du parti unique.
L’argent de la corruption
L’origine de la corruption est donc institutionnelle et son traitement de fond est politique. Sans l’assise d’un Etat de droit régulant le jeu politique par un système de partis représentatifs et faisant le «jeu» de la démocratie, il ne sert à rien de vouloir lutter contre la corruption par des mesures expéditives, même pertinentes. Il ne servirait non plus à rien à décider de sévir après un long temps d’impunité totale car un minimum de règles consensuelles est désormais nécessaire pour rétablir un niveau de confiance suffisant pour que le niveau de corruption baisse et que l’Etat émerge à nouveau comme acteur de régulation du jeu social, et non plus uniquement comme l’incarnation d’une vision paternaliste du pouvoir en Algérie, souvent encline à la promiscuité mafieuse de ses adeptes.
Si la confiance est rétablie, et à cette seule condition, l’Algérie peut se renflouer rapidement : confiance dans la règle, confiance dans le fonctionnement bancaire, et confiance dans l’emploi des deniers publics. Dans son histoire toute récence, le peuple algérien a démontré ses grandes capacité de sacrifice : le bas-peuple algérien de France, encore tout meurtri par une vie misérable entre les hauts-fourneaux et les usines de la métropole, se lança corps et âme dans une lutte contre l’oppression, en commençant par récolter de vulgaires cagnottes.
Aux grosses fortunes algériennes d’aujourd’hui, installées en France et ailleurs, de montrer la voie, en faisant le premier pas et en versant au Trésor public leur dîme, ce que leurs aïeux du 1er Novembre firent sans jamais rechigner.
Dr A. K.
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