Ghozali : «Même avec le départ de Bouteflika la crise ne se réglera pas»
Par Hani Abdi – L’ancien Premier ministre, Sid-Ahmed Ghozali, considère que le départ du président Bouteflika ne réglera pas le problème de la crise systémique dans laquelle patauge le pays. Dans un long entretien accordé au magazine français Le Point, M. Ghozali refuse de mettre tous les problèmes que rencontre le pays sur le dos d’une seule personne, à savoir le président de la République. «J’ai trouvé cette focalisation personnelle, satanique et cynique à la fois, qui consiste à jouer de la maladie de l’homme pour détourner les projecteurs et donc les regards d’un système politique dont la maladie, cachée celle-là, représente le problème le plus grave, un système usé jusqu’à la corde, une machinerie qui roule sur les jantes et qui refuse de tirer les conséquences de ses tragiques échecs», soutient Sid-Ahmed Ghozali.
Invité à commenter l’appel à la destitution du président Bouteflika lancé par Abdennour Ali-Yahia, Ahmed-Taleb Ibrahimi et Rachid Benyelles, cet ancien chef du gouvernement estime que les personnalités sus-citées «pensent peut-être que le Président serait à lui seul la cause de nos difficultés». Sid-Ahmed Ghozali dit ne pas voir les choses de la même manière. Cela pour la simple raison que si Bouteflika venait à disparaître, il n’y aurait absolument aucun changement, car le système est toujours là. «Nous assistons depuis une dizaine d’années à une manière de braquer tous les projecteurs sur un homme, comme si c’était pour le désigner comme étant le seul responsable, comme si on concoctait dans quelque officine la préparation d’un bouc émissaire à offrir en pâture à la rue, dans l’éventualité où celle-ci se mettrait à bouger», relève-t-il, considérant que la démarche autour de l’article 102 pose problème.
Sid-Ahmed Ghozali se demande pourquoi veut-on activer cet article maintenant, et pas il y a quatre ans, et même avant, jusqu’à 2005 ou 2009, puisque c’est depuis la première hospitalisation de 2005 à Paris que la santé du Président n’était notoirement plus au niveau de ses lourdes charges. Ainsi, l’ancien chef du gouvernement refuse de s’associer à une initiative qui lui paraît «reposer sur un bien possible décalage entre l’analyse et la réalité politique». «Je ne peux être suspect de complaisance : premier opposant politique en 1999, je le demeure. Cela ne me conduit pas pour autant à me laisser envahir par quelque subjectivité, qu’elle fût positive ou négative. Je ne m’oppose pas à la personne, que je n’ai jamais attaquée, mais au responsable politique, à ses conceptions, ses méthodes et ses choix politiques, à la façon si peu constitutionnelle dont il a été porté et systématiquement reconduit au sommet de l’Etat», précise Sid-Ahmed Ghozali, qui revient sur le possible rôle de l’Armée dans le changement.
«Je ne peux pas croire qu’un, deux ou trois hommes, si proches soient-ils du Président, si haut placés soient-ils dans l’oligarchie, puissent peser lourd face à un système qui s’est intronisé, sédimenté, ramifié, sur plusieurs décennies, en un appareil de centaines de milliers d’acteurs. Je ne crois pas non plus que ce sont les militaires qui dirigent le pays. J’ai conscience que ce que je dis va à contre-courant de la thèse communément admise», affirme-t-il.
Pour Sid-Ahmed Ghozali, la vraie question, ce n’est pas de savoir qui va succéder à Bouteflika et qui va le désigner, mais plutôt de trouver le moyen de faire sortir le pays de cette démocratie virtuelle et d’aller vers une légitimité démocratique et populaire effective. «Il est à craindre qu’à force de s’arcbouter vaille que vaille à la légitimité sécuritaire, après avoir musardé par les légitimités historique puis militaire, l’on n’ait imprudemment préparé le lit à une nouvelle légitimité, celle de l’argent illégitime», conclut cet ex-chef du gouvernement et ancien diplomate.
H. A.
Comment (59)