La pensée unique, inique, cynique
Par Mesloub Khider – «Tenter de protéger sa pensée contre la nouveauté n’a pas de sens. Au contraire, il faut la transformer au contact de ce qui apparaît.»
En ces temps stériles et serviles, le tribunal de l’inquisition présidé par quasiment tous les Algériens fonctionne à plein régime dans notre chère patrie démocratique qu’est l’Algérie. Que Boualem Sansal, Kamel Daoud, Yasmina Khadra ou autres intellectuels pensent autrement, aussitôt ils sont voués aux gémonies.
Loin de moi d’être en admiration béate devant ces écrivains. Mais, je leur reconnais cette hardiesse d’esprit de s’être libérés de l’emprise doctrinale religieuse et patriotarde. Ils rédigent leurs ouvrages en hommes libres.
Assurément, ils sont de leur temps mercantile, ils savent vendre du rêve littéraire. Et à l’ère de la mondialisation capitaliste, ils ont su s’arracher à leur village-Algérie pour se lancer à la conquête du marché littéraire international. A leur manière, ce sont des internationalistes ou plutôt des cosmopolites des belles-lettres. Leur horizon intellectuel s’est élargi à l’échelle planétaire et leurs intérêts personnels également.
Leur vocation n’est pas de vanter le drapeau national. Mais d’éventer le drame national. Ou plutôt, pour certains d’entre eux, d’évacuer de ses oripeaux le territoire national.
On n’est plus au temps de l’élévation du niveau de conscience politique collective, mais de l’évolution des consciences individuelles. Ils œuvrent pour l’évasion des consciences, trop longtemps bridées, brisées, par la littérature.
La narration nationale, déversée à outrance depuis l’indépendance, s’efface devant la narration romancée distillée avec beaucoup de ressourcement imaginatif et pour d’énormes ressources pécuniaires. Les affaires sont les affaires. Nos célèbres écrivains ont troqué la religion de l’islam contre la religion de l’argent. L’argent n’a pas d’odeur. Celui qui le vénère s’enveloppe de sainteté.
La notoriété de nos braves romanciers s’élève en même temps que leur quotité financière.
Et en ces moments d’islamisme sanglant et mortifère, de psychose généralisée, de désarroi mondialisé, pour nos écrivains dénationalisés, mais point démonétisés, il est fructueux et rentable de tremper leur plume dans l’encrier pour puiser quelques gouttes d’espérance afin de tresser une prose à la gloire de la vie. A travers notamment des récits plaisants, complaisants en particulier à l’égard du lectorat occidental, friand de romans exotiques truffés de stéréotypes sur les populations anciennement colonisées, ces peuplades indigènes toujours pétries d’archaïsmes dépaysants inépuisables. N’empêche, par leurs œuvres, ces écrivains algériens bousculent les barrières littéraires traditionnelles et franchissent les frontières nationales. Ils sont lus par des millions de lecteurs, en de multiples langues. Et leurs divers livres novateurs et contemporains rencontrent dans le monde, surtout en ces périodes troublées, plus de sympathie et d’acquéreurs que l’unique livre ancien auquel se nourrissent la majorité des Algériens.
A chacun sa fiction, son moyen d’évasion, son outil d’épanouissement, son livre de chevet (ou achevé définitivement) !
De manière générale, dès lors qu’un intellectuel algérien sort des grilles de lecture islamo-chauvines algériennes, en adoptant donc des postulats différents, aussitôt il est lynché, accusé de toutes les trahisons. Et nos plumitifs de service sévissent aussitôt contre lui pour lui infliger les pires sévices. Les tombereaux d’anathèmes et d’injures remplacent l’argumentation. Le dénigrement leur tient lieu de raisonnement. La diffamation remplace la dissertation. La calomnie se défoule pour complaire à la foule. L’opprobre habille leur être dénué et dénudé.
L’atteinte à la dignité nationale ou le blasphème sont érigés en couperets pour faire disparaître la satanée tête qui ose penser autrement !
Que notre écrivain étatique et erratique Rachid Boudjedra ait transformé sa plume point acérée en glaive bien aiguisé pour trancher nos valeureuses têtes pensantes (trop penchantes à ses yeux pendants et à son caractère de mauvais perdant), ne m’étonne guère, dans cette conjoncture impérialisto-kalifato-guerrière, où la sagesse a plié bagage sans ambages. Comme à l’époque des pires périodes noires de l’histoire, les mêmes réactions ataviques s’emparent de nos bonnes âmes toujours promptes à s’ériger en juge de la bonne conscience et de la bien-pensance pour réclamer l’embrasement de ces satanés cerveaux par le bûcher. Ou, comme à l’époque stalinienne, en guise de sentences, les pires condamnations sont ordonnées : bannissement, déchéance de la nationalité algérienne, enfermement dans un hôpital psychiatrique.
Ainsi, un penseur algérien ne peut sortir des sentiers battus intellectuels, mentaux, tracés pour lui par notre noble doxa nationale sans s’exposer aux accusations de trahison. Un Algérien est naturellement nationaliste et musulman. Il ne peut être internationaliste et athée, libre penseur ou agnostique, chrétien ou juif, faute de quoi son algérianité lui est déniée.
Et, s’il a le bonheur d’être encensé par la presse occidentale, d’être invité sur les plateaux télés des émissions françaises, il devient suspicieux. Surtout, s’il se risque à la moindre critique de l’Algérie. Sans ménagement, aussitôt, on lui accole toutes les étiquettes : sioniste, pro-américain, au service de la France, vendu au Maroc…
Et quand la stigmatisation ne suffit pas, l’excommunication est convoquée pour parachever l’œuvre de dénigrement.
Et s’il persiste dans ses «errements», l’accusé impénitent sera passible d’une fatwa ordonnant sa mise à mort pour le bien de la paix (tombale) algérienne.
M. K.
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