Kheyreddine versus Andrea Doria et la première bataille d’Alger

Kheyreddine
A la suite de la tentative des Espagnols de prendre Alger en 1518, Kheyreddine prend conscience de la nécessité de s'appuyer sur l'aide ottomane. D. R.

Par Mourad Rouighi – Celui qu’on surnommait Soliman le Magnifique, Suleyman Al Qanouni (le législateur), celui qui fit vivre à l’Empire ottoman ses heures de gloire et qui conquit toute l’Anatolie, les Balkans, la Hongrie, la Grèce et le sud de l’Autriche, les Iles de l’Egée et l’Azerbaïdjan, l’Arménie, la Perse, la Mésopotamie, l’Afghanistan, l’émirat de Diyarbakir, une partie de la Russie et le sud de la Chine, le Yémen, l’Arabie, la Grande Syrie, la Palestine, l’Egypte, l’émirat de Tripoli et la Tunisie, celui que les historiens hissent au niveau de Jules César, Alexandre le Grand, Gengis Khan et Napoléon, choisit pour défendre Alger et l’Algérie, le plus valeureux des frères Arroudj, Kheyreddine.

Et lorsqu’au palais de Topkapi, sur son trône d’ébène et ayant à la main son célèbre chapelet serti de pierres précieuses, il reçoit le Beylerbey d’Alger, Soliman sait que l’heure est grave ; il informe Kheyreddine de ses visées sur la Hongrie et de son intuition que Charles Quint et son chef militaire, l’Italien Andrea Doria, en réaction, attaqueraient Alger, la réponse du chef algérois n’admit aucun commentaire : «Sultan Effendi ! Nous sommes prêts !»

L’alliance entre ces deux hommes d’exception vit le jour vingt ans auparavant, lorsque les frères Arroudj se rendirent à l’évidence que sans l’appui de la Sublime Porte, ils ne parviendraient jamais à contrer les visées des Espagnols sur l’Algérie, ils signèrent donc un pacte de mutuelle entraide, la flotte de Kheyreddine se mettant sous l’étendard des «Cinq croissants» de Soliman, en échange d’une protection ottomane d’Alger.

Après la mort d’Arroudj à Tlemcen, Kheyreddine parvient à reprendre Alger des mains des Espagnols, il y construisit une ville fonctionnelle, divers bastions militaires et un môle qui deviendra plus tard le port d’Alger.

De l’autre côté de la Méditerranée, l’amiral (mot arabe désignant amir al-bahr – le Prince des mers) Andrea Doria ne rêvait que d’une chose, éliminer ce rival qu’était devenu Kheyreddine Pacha et mettre la main sur une place maritime de première importance, Alger !

Membre d’une illustre famille de la noblesse génoise, Andrea Doria fut pendant un demi-siècle le principal adversaire de Kheyreddine ; il lui vouait un sentiment partagé, une secrète admiration pour son courage et son sens stratégique, selon les récits de certains de ses compagnons, et une haine totale, comme témoignèrent d’autres.

De même, l’alliance des Algérois et des autres places côtières avec le Grand Turc pouvait retarder le projet de Charles V visant à étendre sa domination sur toute l’Afrique du Nord, voire l’annuler, d’où la nécessité de s’emparer au plus vite d’Alger.

L’automne 1536 donnera aux uns comme aux autres la possibilité d’en découdre et d’aller au bout de leurs idées… et de leurs visées ; Soliman le Magnifique parvint à pénétrer plus à l’intérieur du sol hongrois et remporta en l’occasion son énième victoire… Vienne était de plus en plus proche ; quant à Andrea Doria, il planifiait en grand secret sa revanche, avec une seule idée derrière la tête : Alger.

Vers la mi-septembre de la même année, il put enfin convaincre un sceptique Charles Quint à attaquer la ville-bastion, comme la surnommaient les Génois, et ce, malgré les mises en garde de certains de ses conseillers ; Andrea Doria ne s’en soucia guère et dirigea depuis Livourne soixante-cinq galères, quatre-cent cinquante navires et vingt-quatre mille soldats, tout droit vers son rival de toujours : Kheyreddine.

Or, les résultats de l’entreprise furent désastreux, une violente tempête se déclenchant le 24 octobre qui mit en déroute la flotte composée principalement de Génois et d’Espagnols et finit par couler 160 navires ; les Algérois, profitant de la confusion des troupes, assaillirent les hommes de Doria et les obligèrent à la fuite.

Charles Quint lui-même se réfugia en catastrophe en Espagne ; de cette débâcle tira profit le roi de France, François Ier, qui scella une alliance avec l’Empire ottoman, prévoyant une suzeraineté de la Porte sur toute l’Afrique du Nord ; un accord qui fut respecté et qui résistera trois siècles.

Quant à nos deux «marins», Kheyreddine et Andrea Doria, l’un continua jusqu’à ses derniers jours à défendre les intérêts de l’empire, à travers l’Odjak d’Alger qu’il fonda pour moderniser la ville et la protéger, en s’appuyant notamment sur les redoutables Yéni Ceri (janissaires) et sur une population qui lui était acquise et qui vécut sous son mandat ses heures de gloire.

Andrea Doria, lui, rongé par la tristesse, fut nommé prince de Melfi et Grand Chancelier du royaume de Naples, il livra aux navires algériens d’épiques batailles pour le contrôle de la Méditerranée, il dut toutefois combattre un nouvel adversaire, les Corses, qui désiraient plus que jamais s’affranchir de la domination génoise.

Avec le recul requis, l’un comme l’autre représentaient les symboles éternels de courage, de vaillance et de bravoure ; aujourd’hui, le joyau de la marine italienne porte le nom de l’amiral génois et nombre de palais, à Rome comme à Venise, le célèbrent de la manière la plus fastueuse ; tandis qu’à Alger et à Istanbul se dressent, majestueuses, les statues de Kheyreddine Pacha, la plus célèbre étant celle face au palais de Topkapi, dessinée par le grand génie que fut Sinan Mimar, le premier à se vanter du titre de «Haseki» (favori de l’empereur) et à qui on doit les merveilles de cette ville ; cette œuvre d’art symbolisant en quelque sorte l’hommage sincère des Algérois et des Stambouliotes pour le Lion des mers, qui y mourut en combattant, en 1546, à l’âge de 70 ans…

M. R.

Comment (9)

    citoyen
    27 octobre 2017 - 22 h 03 min

    @Anonyme
    Surtout surtout restes Anonyme
    ca serait malheureux de te savoir algerien

    Anonyme
    27 octobre 2017 - 18 h 28 min

    Ce que la France a construit pendant un siècle, les Turcs n’ont pas fait le 1/100 pendant 3 siècles. De là à nous rabâcher cette mission civilisatrice….
    Dites qu’ils étaient ici pour lever les impôts et ne pas se mélange avec la population, sans vous rappeler bien sûr le nombre de révoltes des tribus contre la pression fiscale Turc.
    Mais malgré tout ça, je ne suis pas en train de dédouaner les Français, c’est juste pour dire que la même pièce comporte deux faces, un colonisateur, reste un colonisateur Turc ou Français.

    hocine
    26 octobre 2017 - 16 h 33 min

    à travers cet article en peut considere la presence ottomane en algerie civilisatrice et pas colonialiste

    Ammar
    26 octobre 2017 - 16 h 32 min

    La garde du palais de topkapi derrière le fameux 3ème portail  »la résidence du sultan » inaccessible au hôte était gardé par des Algériens, envoyé spécialement par le Bey d’Alger afin d’assure la sécurité.

    Rayes Al Bahriya
    26 octobre 2017 - 13 h 11 min

    Kheyreddine BARABAROUSSE … avait fait un rêve
    Prémonitoire où le prophète Mohammad QLSSL.
    lui ordonna de reprendre ses vaisseaux; après un
    Repli sur l’ile de djerba en Tunisie; pour aller libérer
    ALGER la sainte.
    Lire aussi lr roman historique: BARBEROUSSE LE MAÎTRE DE LA MÉDITERRANÉE.
    Geneviève Chauvel.

      Anonyme
      26 octobre 2017 - 15 h 19 min

      Tous les combattants de l’antiquitè et moyen age ont eu ces « rèves »…il n ya rien de nouveau

    bougie
    26 octobre 2017 - 12 h 50 min

    De 1515 à 1830 la régence d’Alger sous les ottomans fût une période fastueuse ,nos amis turcs dirigèrent le pays avec sagesse et équité ,ils laissèrent des infrastructures qui perdurent de nos jours ,des villes ,des routes ,des ponts ,contrairement à la présence romaine et française dont il ne reste presque rien .

      Anonyme
      26 octobre 2017 - 13 h 30 min

      Si le metre de mesure d’ un occupant serait justifiable pour ses quelques casbahs, la France devrait etre plus qu’ aimable. L’ arabislamisme est l’ infrastructure culturelle qui predispose le pays a’ la volonte’ orientale. Le ver est dans le fruit!

    Anonyme
    26 octobre 2017 - 12 h 20 min

    Les colons othomans ont combattu pour leur empire dont les vrais algériens n’étaient que de la chair à canons. Les kouliglis ont été l’expression du dédain raciste envers les peuples occupés. Ils refuserent la race inferieure- les enfants issus de mariages mixte algero-turcs.
    Il n y a pas de quoi etre fier. Un colon cache un autre.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.