Extraits du recueil de Khaled Nezzar : De Gaulle, la recherche de la victoire (I)
Le 13 mai 1958, date du coup d’Etat perpétré par le lobby ultra, qui fera revenir Charles de Gaulle au pouvoir, est d’abord la victoire des tenants du «droit de suite» et de la guerre à outrance pour l’annihilation des forces armées algériennes. Charles de Gaulle, crédité de courage politique et d’un sens aigu des intérêts de la France, saurait, pensent les maîtres d’œuvre du complot, revigorer le front intérieur et redresser la situation militaire.
Les manifestations de mai 1958, appelées «fraternisation», sont conçues dans les salons du château de la Trappe, à une quinzaine de kilomètres d’Alger. Les colonels Argoud et Lacheroy en sont les architectes ; Alain de Sérigny, le propagandiste lyrique, Borgeaud, Blachère, Schiaffino et Abbo les financiers ; les harkis – défroqués pour la circonstance – les figurants consentants et l’«Algérie française» la bénéficiaire politique.
Le général de Gaulle ne peut admettre qu’en deux petites décennies les armées françaises soient défaites à trois reprises. Ajouter à la débandade de 1940, à la raclée de 1954 en Indochine, la honte d’un Waterloo algérien lui est insupportable en termes de prestige. Défaire par les armes la rébellion est un objectif qui s’inscrit dans sa vision de la grandeur de son pays. Exorciser la défaite de Diên Biên Phu par une victoire militaire en Algérie est, pour lui, un impératif «moral» autant que politique.
Pour vaincre l’ALN, Charles de Gaulle a besoin d’un chef militaire moins «routinier», plus désinhibé, en mesure de passer outre toutes les certitudes et toutes les habitudes, réaliste et audacieux à la fois, un chef qui saura faire ce que ses prédécesseurs n’ont jamais osé : aller sur le terrain à la recherche patiente des formations de l’ALN puis mettre le paquet et les détruire. Il jette son dévolu sur un général d’aviation. Challe, l’homme choisi, engage l’armée française dans l’offensive à outrance.
Avant d’agir, Challe reforme d’abord ses réserves générales par la réarticulation des 10e, 25e DP et la 11e DI et par l’incorporation de nombreux éléments harkis.
Il renforce les défenses du 1er barrage, lance la construction d’une deuxième ligne, qui portera son nom.
La ligne «Morice», construite à partir de juin 1957, va de la mer Méditerranée jusqu’au sud de Négrine. Elle déroule ses fortifications parallèlement à la route Annaba-Tébessa (à l’est de cette route). Elle forme à la hauteur de Tébessa une sorte de «verrue» pour prendre, dans une sorte de nasse, les monts des Nementcha. A partir de 1959, elle sera donc renforcée par cette deuxième ligne dont le généralisme attend tout. Cette ligne commence immédiatement à l’ouest de la ville de La Calle. Elle se rapproche davantage de la frontière avec la Tunisie. Elle rejoint la ligne Morice à la hauteur de Souk-Ahras, se confond avec cette dernière, s’en éloigne juste en face de l’agglomération de Taoura (Gambetta), descend jusqu’à Tébessa et «soude» ses barbelés et ses glacis dans ceux de «la verrue» Nementcha.
Les deux ouvrages, quand ils s’éloignent l’un de l’autre, créent deux interlignes. Le premier, y compris les territoires compris entre les barrages et la frontière, est le terrain d’action de la Zone I de la Base de l’Est, que j’évoque dans cet ouvrage ; le second interligne et les espaces compris entre ce dernier et la frontière tunisienne sont la zone d’action du IIIe bataillon de la Base de l’Est et des Zones V et VI de la wilaya I. Le dispositif français très puissant, qui traverse le cœur même de la base de l’Est, n’a pas empêché les hommes de cette dernière de mener leurs opérations de guerre.
Dans ces lignes qui traversent le cœur de la Base de l’Est, il affecte l’essentiel de ses troupes, composées de cinq Régiments étrangers d’infanterie (1er, 2e, 3e, 4e et 5e REI), deux Régiments étrangers de parachutistes (REP). 6 000 hommes répartis dans le 2e REP et dans trois régiments d’infanterie de marine (1er, 2e et 3e RPI. MA). A ces forces, il ajoute le 9e Régiment de chasseurs parachutistes, deux compagnies de commandos de l’air, une demi-brigade de fusiliers marins ainsi que la 13e demi-brigade de la légion étrangère (DBLE) et plusieurs compagnies sahariennes de légion portée.
Il disposera, ainsi, outre les unités de surfaces (qui comptent plusieurs dizaines de milliers de rationnaires) de 40 000 hommes pour l’intervention rapide appuyés par un fort pourcentage d’escadrons blindés.
Challe, général d’aviation, ne peut pas laisser en reste l’arme qu’il connaît le mieux. L’aviation jouera un rôle essentiel dans son dispositif.
L’armée de l’air française a été mise très fortement à contribution, en exploitant toutes ses possibilités pour rendre le franchissement du barrage périlleux. La reconnaissance aérienne pour vérifier l’état physique de l’obstacle et de déceler d’éventuelles traces de franchissement et l’appui feu. Elle a aligné de nombreuses escadrilles d’avions légers d’appui (EALA), équipées des redoutables T6 ou T28, des hélicoptères «Pirate», des «Mistral» F 47 Thunderbolt et AD4 Skyraiders. Grâce à ses moyens particuliers, l’armée de l’air française a étendu ses missions au-delà de l’espace aérien algérien, le plus loin possible, pour empêcher le ravitaillement de l’ALN par voie maritime ou aérienne. Les «B26» interviennent en mission lucioles d’éclairage du champ de bataille, ou en mission de bombardement.
Le commandement militaire est réorganisé par corps d’armée, zones et secteurs. Cette configuration demeure à peu près inchangée jusqu’au cessez-le-feu du 19 mars 1962.
Une fois ses moyens constitués, Challe lance un demi-million de soldats à l’assaut des djebels. Le 22 juillet 1959, l’opération «Jumelles» met en ligne plus de 20 000 hommes en Kabylie. Elle est la première d’une série d’autres opérations offensives désignées par des appellations «précieuses». Elles passent au peigne fin tous les massifs montagneux de l’Algérie : la Kabylie, l’Ouarsenis, les monts de Saïda et de Frenda, le Zaccar, l’Atlas blidéen, le Hodna, les hauteurs du Djidjellois, la presqu’île de Collo, le massif de l’Edough et l’Aurès.
Avec Challe aux commandes, l’année 1959 est l’année des nouveaux espoirs pour les stratégies politico-militaires françaises. Les réserves générales de Challe, où les troupes d’intervention rapides jouent un rôle essentiel, engrangent des succès certains. Des figures emblématiques de la résistance tombent. Le 28 mars, Amirouche et Haoues, les chefs prestigieux des Wilayas III et VI, sont tués dans un combat qui les oppose aux parachutistes du colonel Ducasse. Ali Hambli, qui tient une importante position à cheval sur la frontière algéro-tunisienne, se rallie, le 21 mars, avec 156 hommes. L’ALN connaît beaucoup de pertes sur les barrages fortifiés, y compris celui construit sur la frontière ouest.
Le général de Gaulle, encouragé, déclare le 16 avril de la même année : «J’estime qu’il peut y avoir une solution militaire à l’affaire algérienne, parce que les barrages aux frontières remplissent leur rôle et qu’il est possible de se débarrasser assez rapidement de l’adversaire !…»
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