La schizophrénie algérienne (II)
Par Mesloub Khider – Les berbéristes revendiquent à cor et à cri l’officialisation de la langue kabyle. Certes, la revendication est légitime. Mais au nom de quelle légitimité exigent-ils son application à l’échelle nationale ?
A vouloir imposer la langue kabyle à l’ensemble des Algériens dont la langue maternelle depuis des siècles maintenant est la langue vernaculaire arabe (derdja) et la langue administrative officielle est la langue littéraire arabe (el-fousha) n’est-ce pas reproduire et inverser l’oppression linguistique ? En effet, c’est transformer les Kabyles en oppresseurs par leurs exigences de contraindre tous les Algériens à apprendre et à parler le kabyle.
En effet, à titre personnel, quoique Kabyle, je suis contre la généralisation de la langue kabyle à l’ensemble des Algériens. En d’autres termes, il n’est pas pertinent de vouloir l’imposer dans toutes les écoles algériennes. Il faut conserver la langue arabe comme langue officielle au niveau national et introduire la langue kabyle de manière massive dans les régions berbérophones. Quant aux autres régions arabophones, l’école la proposera à titre facultatif au-delà d’un certain cycle scolaire.
Pour les Kabyles résidant dans les villes arabophones désireux scolariser leurs enfants dans les écoles dispensant la langue amazigh, il faut favoriser l’ouverture d’établissements scolaires privés financés ou subventionnés par la collectivité, à savoir la commune ou l’Etat. De manière à permettre à ces élèves l’apprentissage de leur langue maternelle dans des conditions favorables, notamment par l’aménagement de leurs temps scolaires.
En résumé, concentrer tous les moyens humains et financiers dans les régions berbérophones pour leur permettre d’instaurer des écoles dispensant l’enseignement en amazigh, rapidement opérationnelles et efficientes à l’ensemble de leurs élèves. Et dans les régions arabophones, favoriser l’ouverture d’écoles privées destinées aux parents désireux dispenser un enseignement kabyle à leurs progénitures.
Demeure la question controversée du choix des caractères d’écritures à adopter pour dispenser l’enseignement en amazigh. Certains prônent l’adoption de l’alphabet latin, d’autres penchent pour l’arabe arabe.
Sur ce chapitre, également, la schizophrénie s’invite au débat. La majorité des berbéristes, souvent francophones, plaident pour les caractères latins pour des raisons purement idéologiques et égoïstes. Ou carrément pour des motifs racistes ou de mépris de la langue arabe. Parce qu’ils ont reçu un enseignement à dominante française, ils soutiennent que les caractères latins sont mieux adaptés à l’étude de la langue amazighe. Sans nous démontrer scientifiquement cette assertion.
A la vérité, aveuglés par leur occidentalisme étriqué pathologique, ils oublient que la majorité des Algériens sont arabophones. Et tous les élèves, depuis maintenant plus de quarante ans, depuis la généralisation de la langue arabe dans l’enseignement et dans les administrations, reçoivent un enseignement en arabe. Cette langue, devenue langue officielle de l’Algérie.
Cette évidence est une donnée historique. L’Algérie, qu’on le veuille ou non, est d’expression arabe. On peut même affirmer qu’elle est arabe, d’un point de vue linguistique et culturel. Il faut être de mauvaise foi ou être aveuglé par un ostracisme clinique pour soutenir le contraire. Certes, le substrat maghrébin fut berbère. Encore faudrait-il éclairer ce terme. Qu’entend-on par berbère ? A quelles dimensions renvoie-t-il ? Aux dimensions ethniques, culturelles, linguistiques, géographiques, etc. ? D’ailleurs, le vocable lui-même a été forgé par les Grecs pour désigner les peuplades étrangères. Si on devait apporter une définition, on dirait qu’il s’agit d’un terme générique pour qualifier tous les habitants de l’Afrique du Nord. Il est l’équivalent du mot Européen.
Et par voie de conséquence, si l’on se limite juste au registre de la langue berbère, elle renvoie à une multitude d’idiomes disséminés à travers tout le Maghreb, marqués par des variantes très prononcées. Rien de commun entre les langues parlées de la Kabylie et celles des régions marocaines, libyennes ou nigériennes. A l’exemple du latin, langue originelle des langues française, italienne, espagnole, roumaine, berbère est un terme générique pour désigner les multiples dialectes issus de ce substrat linguistique. Substrat linguistique disparu depuis des siècles pour laisser place juste à quelques idiomes concentrés dans certaines régions de l’Algérie et du Maroc.
Entre temps, l’histoire impitoyable s’est chargée d’œuvrer à l’installation d’une autre langue associée à la récente religion en pleine expansion géographique, la langue arabe. Par un processus historique naturel, contrairement aux assertions berbéristes d’une implantation rampante forcée ou d’une imposition par les pouvoirs des califats, la langue arabe a fini par supplanter les multiples dialectes amazighs. Et au fil des siècles, elle est devenue la langue maternelle, vernaculaire des Algériens, comme de la majorité de la population maghrébine. Il n’y a donc ni falsification historique, ni sentiment de trahison, ni de honte de qualifier l’Algérie pays arabe, du nom de ceux qui ont apporté la nouvelle religion et converti les Berbères.
Pour illustrer notre affirmation, nous nous appuierons sur l’exemple de la France. Chacun est informé que l’on désigne l’habitant de la France par le vocable Français. Cette dénomination ne suscite et provoque aucune désapprobation, ni ne soulève de condamnation en France. Pourtant, historiquement les premiers habitants de ce pays furent les Gaulois. Puis, à l’époque romaine, il y eut des brassages de populations favorisés par l’émigration. Ce qui donna naissance aux Gallo-romains. Sans oublier les armoricains (les Bretons). Au lendemain de l’effondrement de l’empire romain survenu en l’an 476 de notre ère, la France a vécu une longue période d’invasions provoquées par les fameux Barbares germains. Parmi toutes les nombreuses tribus installées en France, la tribu des Francs se démarqua par son tempérament guerrier et son esprit conquérant.
Cette tribu des Francs, arrivée tardivement dans l’Hexagone, était minoritaire comparé à la majorité de l’autre population composée de Gaulois et de Gallo-romains. Progressivement, elle prendra les rênes du pouvoir royal. Imposera sa lignée. Convertira les autres peuples de l’Hexagone à sa nouvelle religion chrétienne. Et dominera tout le territoire situé au nord de la France. Et en particulier Paris. Puis au fil des siècles, son pouvoir s’étendra à toute la France.
Pourtant, c’est cette minoritaire tribu qui donnera son nom à ce pays devenu France, imposera son idiome, sa langue à l’ensemble des autres régions. Aujourd’hui, ce pays s’appelle la France et parle le français (du nom des Francs). Et aucun habitant de la France descendant des Gaulois et autres tribus ne s’offusque qu’il soit désigné sous le vocable de Français (dont il est d’ailleurs fier), ni que son pays soit dénommé France. Ce descendant de Gaulois, véritable autochtone de ce pays, ne trouve rien à redire sur sa francité. Il l’assume sans complexe et avec fierté.
Pourquoi, en m’adressant aux Kabyles en particulier et aux Berbères en général, contestent-ils le caractère et l’identité arabes de l’Algérie ? De toute évidence, de mon point de vue, définir l’Algérie comme arabe est historiquement fondé si l’on retient comme définition de la nation le principe juridique de communauté de langue, de religion, de culture, d’histoire. Et non pas la définition se fondant sur les concepts ethnicistes, raciaux pour postuler l’appartenance nationale.
De manière générale, si on se place au plan de la définition du droit international, la nation se définit de la manière suivante : communauté de langue, de culture, de religion, d’histoire. Sur ces fondements-là, on peut affirmer que l’Algérie est arabe, de confession musulmane. Dans ce stérile débat sur l’identité réelle et authentique de l’Algérie, définie par les uns comme amazigh, et arabe pour d’autres, le clivage est superflu, superfétatoire. En vérité, le paradoxe, c’est que le Kabyle est un Arabe qui parle kabyle. En effet, rien ne le distingue, ne le différencie de l’Algérien arabophone ou arabe. Excepté la langue. Ils partagent la même histoire, la même culture, la même religion, les mêmes physionomies, etc.
Pour revenir à la controverse sur le choix de l’alphabet à utiliser dans l’enseignement de tamazigh, étonnamment, ce sont les mêmes militants berbéristes adeptes de l’enseignement de tamazight au niveau national qui sont défavorables à son étude en caractères arabes. Leur choix est purement idéologique, politique. Et absolument pas scientifique. Encore la schizophrénie à l’œuvre. Pourtant, pragmatiquement, il est plus judicieux de dispenser l’enseignement amazighe avec les caractères arabes. D’abord, pour des raisons purement linguistiques.
En effet, la majorité des Algériens, grâce à la massification scolaire, maîtrise parfaitement la langue arabe. Il serait donc plus pertinent, pour des motifs d’efficacité d’apprentissage, d’enseigner tamazight dans l’alphabet arabe. Car les lettres arabes, la littérature arabe, sont plus familières aux Algériens.
D’autant plus, seconde raison et chance d’élargir son audience, que cette perspective permettrait aux arabophones désireux apprendre la langue amazighe d’accéder plus aisément à son étude. Ce que ne semble pas vouloir les berbéristes en militant pour le choix des caractères latins.
Ce refus de l’alphabet arabe dissimile-t-il un racisme latent envers les Algériens arabophones, considérés comme indignes d’étudier la langue tamazight avec l’alphabet arabe ? Ou bien la langue tamazight serait-elle trop précieuse pour ne pas se laisser souillée par l’alphabet arabe perçu comme «colonial», ou vecteur d’ignorance et porteur d’arriération ? Ou bien serait-elle réservée exclusivement à ces valeureux et nobles Kabyles, seuls dignes de la parler et de l’étudier en caractères latins, histoire de conforter les thèses colonialistes des origines latines des Kabyles ?
Je serai tenté de le croire, quand on observe la tournure prise par les mouvements revendicatifs berbéristes. Nul n’ignore l’apparition et le développement de l’organisation séparatiste, indépendantiste, le MAK, qui veut créer un Bantoustan kabyle par les seuls et pour les seuls Kabyles. La défense de la pureté de la race dans toute sa laideur !
Pour conclure sur ce chapitre, à mon humble avis, par-delà les dissensions marquées par des considérations idéologiques manifestes et l’absence d’objectivité scientifique, l’utilisation de l’alphabet arabe serait mieux adaptée à l’apprentissage et la diffusion de la langue tamazight.
M. K.
(Suite et fin)
Comment (104)