Le juriste Rousseau : «Les pieds-noirs ne constituent pas un peuple»
Par R. Mahmoudi – En réponse à l’idée saugrenue des pieds-noirs de créer leur propre Etat, lancée récemment dans le sillage des revendications nationalistes, notamment catalogne et kurde, le constitutionnaliste français Dominique Rousseau démonte tout l’argumentaire sur lequel ces nostalgiques de l’Algérie française fondent leur démarche pour justifier la création d’un «gouvernement provisoire pied-noir en exil».
«Ils revendiquent dans leurs missives le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Soit, mais encore faut-il que les pieds-noirs soient juridiquement reconnus comme un peuple à part entière, comme les Kurdes, par exemple, qui en ont les éléments caractéristiques. A mon sens, ce sont des citoyens français qui se sont installés à un moment donné en France», explique d’entrée le juriste.
Autre point dénotant le caractère farfelu d’un tel projet : la revendication d’un territoire, qui est fondamental dans la construction d’un Etat viable. «Les pieds-noirs n’ont pas de territoire. Parce que, précisément, ils ne constituent pas un peuple. Leur territoire est celui de leur nationalité, la France. Ils ne peuvent donc pas se dire en exil», écrit le professeur Dominique Rousseau. Et de poursuivre : «Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ne conduit pas à revendiquer automatiquement un Etat.»
Commentant la suggestion des pieds-noirs de mettre en place un gouvernement provisoire, Dominique Rousseau la juge tout simplement «surprenante». «Le gouvernement en exil, explique-t-il, c’est de Gaulle, à Londres, lorsque son propre territoire est occupé. La première chose qu’il avait faite, ça a été de montrer qu’il avait un territoire. Là, il n’y a de base ni constitutionnelle, ni juridique, ni territoriale.»
Si les initiateurs de ce gouvernement en exil tâchent de préciser qu’ils n’ont pas de territoire, puisqu’ils parlent de négociations pour «en acquérir un», l’acquisition d’un territoire, selon le juriste, ne ferait de celui-ci qu’un «territoire privé», donc dénué de compétence juridique pour édicter des règles, un code civil, un code pénal. En conclusion, c’est un territoire «juridiquement impossible».*
Pour rappel, un groupe de pieds-noirs a mis en place, il y a quelques semaines, une instance baptisée «Fédération des deux rives» et dont la création a été «actée lors d’une réunion organisée près de Montpellier».
Cette instance est présidée par Pierre Granès et comprend un «parlement» composée de trente-cinq «députés désignés». Le parlement est présidé par Christian Schembré, président montpelliérain de l’Association pour la promotion du «peuple» pied-noir. Ce gouvernement fantoche est composé de treize «ministres» et dirigé par Jacques Villard, cofondateur du «Cercle algérianiste» en 1973.
«La création de notre Etat s’appuie sur la Convention de Montevideo du 26 décembre 1933 qui officialise le droit des peuples à se constituer en Etat. Or, le peuple pied-noir est une réalité de 5 millions d’âmes, dont 1,3 million résidant en France», a expliqué Jacques Villard dans une déclaration à la presse, parue cette semaine.
R. M.
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