Un spécialiste du monde arabe dévoile les non-dits du Louvre Abu Dhabi
Par Houari Achouri – L’inauguration aujourd’hui, mercredi 8 novembre, du Louvre Abu Dhabi par le président français, Emmanuel Macron, en présence du Cheikh Mohammed Ben Zayed Al-Nahyane, a été largement commentée en France par les médias et les spécialistes du monde arabe pour tenter de détecter et comprendre les «non-dits assourdissants» qui entourent cet événement.
Le site d’information Atlantico a interrogé à ce propos Alexandre Kazerouni, chercheur et enseignant à l’Ecole normale supérieure et à sciences-po., connu pour être auteur du Miroir des cheikhs, un livre édité cette année, dans lequel ce politologue spécialisé du monde arabe contemporain a montré comment les familles régnantes des émirats du Golfe exploitent de façon politique les musées. Alexandre Kazerouni s’est attaché dans l’interview qu’il a accordée à Atlantico à révéler les bases inavouables de ce lien particulier, en apparence culturel, créé par le Louvre Abu Dhabi entre la France et les Emirats arabes unis.
D’abord, c’est tout simplement une question d’argent, explique-t-il. Pour lui, Le Louvre Abu Dhabi est «un accord de prestation de service qui a permis de drainer une partie des revenus du pétrole d’Abu Dhabi dans d’autres directions que simplement le secteur de l’armement ou celui des hydrocarbures en France». La preuve : «La classe moyenne fonctionnarisée locale a été exclue de la mise en œuvre du projet du Louvre», affirme-t-il. A travers cette prestation de service, l’objectif est de capter «des relais que les Emirats n’avaient pas jusque-là», en intéressant les milieux culturels et des médias qui façonnent l’opinion publique en France. Le chercheur fait remarquer que la famille régnante aux Emirats arabes unis n’avait aucune interaction directe avec l’opinion publique française. Désormais, ce lien direct existe grâce au Louvre Abu Dhabi, fait-il constater.
Alexandre Kazerouni tient à relativiser l’argument «selon lequel ce musée scelle une alliance des pays éclairés luttant contre l’islamisme», un argument, ajoute-t-il, qui est également brandi à propos des vagues d’arrestations en Arabie Saoudite. Il remet les pendules à l’heure, en précisant que ce sont «principalement les libéraux et les Frères musulmans qui sont concernés» par les arrestations. Il est convaincu que «la dérive autoritaire qui va de pair avec l’importation des produits culturels libéraux ne s’attaque pas à l’islamisme ou, du moins, pas à celui qui concerne principalement les Français». Cette appréciation vaut, là aussi, pour les transformations annoncées et commencées en Arabie Saoudite dans la vie sociale, notamment dans le sens de l’émancipation des femmes.
Il revient et insiste sur «l’objectif général et final» que visent les dirigeants d’Abu Dhabi : préparer l’opinion publique française à se ranger à leurs côtés «en cas de crise ou de menace pour les Emirats arabes unis». Il parle carrément de l’éventualité d’une intervention militaire française dans ce pays pour sauver son régime. Il considère qu’à la base de cette démarche des dirigeants des Emirats, il y a l’expérience du Koweït en 1990-91 quand une coalition internationale conduite par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la France est intervenue militairement pour aider ce pays occupé par l’Irak.
Alexandre Kazerouni a tenu à faire ressortir les changements intervenus entre le moment où ce projet a été lancé, du temps de Jacques Chirac, dans «le contexte du dialogue des cultures qui était un contre-feu intellectuel face à la prédiction du choc des civilisations» et, aujourd’hui, où «Abu Dhabi est le camp de la réaction aux “révolutions arabes”». Il estime que «les Emirats arabes unis sont devenus, avec l’Arabie Saoudite, un des deux fers de lance des contre-révolutions arabes».
H. A.
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