Contribution du Dr Arab Kennouche – Corruption et rapatriement des cerveaux
Par Dr Arab Kennouche – Qui a vraiment entendu parler des Haba, Toumi, Sanhadji, des Zerhouni et des Arkoun autrement qu’à travers une presse internationale qui les encense, mais oubliant presque qu’ils furent également le produit de l’Ecole algérienne ? Qui connaît véritablement aujourd’hui la portée des travaux d’un physicien comme Nouredine Melikechi dans la réalisation du robot Curiosity qui atterrit sur Mars en 2012 ? Autant de sommités qui ont atteint l’Everest de la science à l’étranger, dans des domaines de haute technologie, aisément nobelisables, qui vont de la génétique à la robotique, en passant par les nanotechnologies sans oublier les traditionnelles sciences humaines.
L’Algérie, plus que quiconque parmi les pays arabes, souffre d’une cruelle fuite des cerveaux qui se compte par dizaines de milliers sur le territoire national, un phénomène propre à ce pays, que même l’Egypte forte de ses presque 100 millions d’habitants ne connaît pas avec autant d’acuité. De quoi faire taire les critiques injustes du système de l’éducation nationale dont les derniers prolongements médiatiques sont devenus insupportables, pour qui sait décrypter un tant soit peu l’affaire toute récente de l’Institut Français d’Alger. A qui incombe la faute ? Aux cerveaux qui oublient leur pays ou bien à cette Algérie qui ne sait pas les retenir ?
L’Algérie est bel et bien un pays de formation et de savoir. On peut toujours trouver mieux à l’échelle internationale, certes, mais il faudra un jour reconnaître l’apport de l’Université algérienne à la science globale. Elle le fait à sa manière, avec les moyens du bord, diriez-vous, mais on peut même dire et affirmer le contraire : les Algériens sont pour la plupart opérationnels avant même de partir pour l’étranger, et ceci les Occidentaux ne le savent que fort bien. En 2017, les médecins algériens représentent la première communauté étrangère en France, hors Union européenne, avec environ 5 000 praticiens. Une véritable hécatombe pour le pays qui doit réagir au plus vite sachant que, dans le même temps, des milliers de licenciés dans d’autres domaines attendent avec impatience de se parfaire à l’étranger : une manne inestimable pour les Occidentaux. Il est donc fort à parier qu’il y aura à l’avenir parmi eux d’autres Zerhouni, Haba, Melikechi qui, une fois installés à l’étranger, ne voudront plus revenir au pays, et pour cause….
La cause première de cette saignée réside dans la faiblesse extrême des salaires, tenons-le pour dit, comparés à ceux pratiqués en Occident. Un intellectuel algérien, chercheur de surcroît, ne dispose pas des conditions de rémunération lui permettant de vivre en véritable scientifique, ancré dans le monde international de la recherche avec ses exigences très particulières de production scientifique. Il voit de surcroît autour de lui, dans le monde des affaires politico-financières, une meute de rapaces affairistes qui brasse des millions de dollars chaque année avec un simple brevet des collèges comme bagage, alors que ses propres rémunérations ne sont même pas au niveau des salaires minimaux européens, aberration d’un système économique corrompu et nourri à tous les niveaux. Sans parler des conditions d’équipements déplorables dans certains cas. D’où ce désir d’exil pleinement justifié. Résultat des comptes : l’Algérie se classe en deuxième position en 2016, derrière la Chine, dans la délivrance des visas pour «motif scientifique» par la France. Les cerveaux algériens sont aspirés dans le monde entier : du jamais vu dans le monde arabe.
Dans le même temps, l’évasion fiscale internationale fait rage en Algérie : 16 milliards de dollars se sont évaporés entre 2003 et 2012, selon le cabinet américain GFI (Global Financial Integrity), autant d’argent qui aurait pu aider à mieux rémunérer les scientifiques algériens ou, mieux encore, à instituer une véritable politique de rapatriement des cerveaux par les autorités nationales. Or, la situation économique de l’Algérie dépend encore plus aujourd’hui de cette faille béante qui a conduit des milliers de cerveaux à quitter le navire Algérie. Il ne sert à rien, en effet, de vouloir promouvoir la production nationale, dans un souci de réduction de la facture des importations si, dans le même temps, on empêche la matière grise algérienne de rester au pays, de sorte à créer et gérer un réseau national d’entreprises aptes à renverser la vapeur et stimuler les exportations hors hydrocarbures. On ne voit guère, en effet, ni dans le programme du président Bouteflika, ni même dans la politique du gouvernement Ouyahia, ce bloc de mesures qui stopperait l’hémorragie de la fuite des cerveaux, des ingénieurs et chercheurs développeurs, des techniciens qui sont la seule et véritable charnière de sortie de crise des années à venir, entendues comme relance de la production nationale. Que faut-il donc faire ?
Les montants faramineux de la corruption récemment divulgués par les médias occidentaux (on parle de centaines de milliards de dollars sur deux décennies) sont à mettre en balance avec les besoins d’un financement d’une politique de containment des cerveaux en Algérie. Comment, en effet, s’en prendre à une jeunesse à qui l’on reproche de se précipiter dans les bras de la France et d’autres nations développées si, dans le même temps, elle est condamnée à toucher un salaire de misère après des années de sacrifice dans les grandes écoles et universités algériennes ? Comment reprocher à une jeunesse formée et ambitieuse de vouloir s’exiler ailleurs quand un simple importateur lui vole des millions de dinars chaque année par les trous qu’il crée dans les caisses de l’Etat, ce même Etat s’interdisant toute promotion financière de la matière grise ? Il faudra donc un jour récupérer les fonds de la corruption détournés par milliards pour enfin financer les cadres de demain en Algérie. A ce titre, il est certain que les politiques gouvernementales seront insuffisantes et complètement inefficaces à remettre l’Algérie sur les rails de l’exportation si l’on continue ainsi avec un manque flagrant de cadres rémunérés selon les standards internationaux, fers de lance de la future production nationale salvatrice.
En Algérie, il semble que l’on n’ait pas pris au sérieux l’ensemble des facteurs de la crise actuelle qui est bien plus structurelle que conjoncturelle par le manque endémique de matière grise exploitable sur place, car très bien rémunérée. L’Algérie souffre aujourd’hui de cette énorme gabegie et de l’entretien de vastes réseaux de corruption internationale sur le long terme, qui a fait fuir d’énormes capitaux à l’étranger, qui auraient dû servir à mieux payer les médecins, les ingénieurs, les professeurs d’université, les grands techniciens et autres virtuoses de la technologie qui font aujourd’hui les beaux jours d’IBM et de la Nasa. Une nation n’est forte que par ses savants : l’économie suit. Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne fut complètement anéantie. Mais elle se releva presqu’aussitôt, redevenant une décennie plus tard la puissance qu’elle continue d’être aujourd’hui. Pourquoi ? Par le nombre des connaissances scientifiques accumulées sur des siècles, des décennies par des savants honorés et rémunérés à leur juste valeur. Le capital-savoir ne se dilapide pour ainsi dire jamais. Bien moins vite que celui de la corruption.
Il est donc impératif pour l’Algérie de sortir de l’ornière de la chasse aux sorcières qu’elle mène contre les meilleurs de ses fils, en les privant de ses meilleures ressources, et en fermant les yeux sur les plus grands crimes économiques de son histoire. La situation actuelle plaide plus que jamais pour un endiguement définitif de la corruption en Algérie afin que les deniers de l’Etat reviennent au cœur du combat économique que constituent la formation et la rétention des élites en Algérie et sur le continent africain.
A. K.
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