Affaire Hariri : pourquoi Macron veut-il sauver l’Arabie Saoudite de l’impasse ?
Par R. Mahmoudi – A quatre jours avant l’expiration du délai fixé par le président libanais, Michel Aoun, pour avoir une réponse définitive sur le sort de son Premier ministre, Saad Hariri, et agir en conséquence, la diplomatie française a réussi, au bout d’une offensive qui n’a pas cessé dès le premier jour, à tirer l’Arabie Saoudite d’une véritable impasse qui risque de lui attirer les foudres de l’ONU et de l’Union européenne, lesquelles peuvent brandir la menace de sanctions. De quoi inciter les Français à monnayer lourdement leurs bons offices.
En proposant et obtenant le «rapatriement» en France de Saad Hariri, le président français peut, en effet, se targuer de lui avoir permis d’éviter de revenir au Liban où il sera certainement reçu comme un «héros» national, chose que ne peuvent tolérer ses protecteurs saoudiens. Ce qui laisse supposer que les Français ont concocté ce plan de concert avec les Al-Saoud, et sans vraiment prendre le pouls de la classe politique libanaise qui, elle, dans son unanimité, en veut aux Al-Saoud et les accuse d’avoir foulé aux pieds leur souveraineté nationale. Mêmes les représentants du Courant du Futur, parti de Hariri, ont publiquement dénoncé un «enlèvement». Ce qui signifie que pour le Premier ministre démissionnaire, même s’il revient dans son pays, rien ne sera plus comme avant et qu’il devrait assumer une rupture périlleuse avec la tutelle saoudienne. Un scénario qui paraît cauchemardesque pour toute la famille Hariri, qui voit déjà ses affaires en Arabie Saoudite fondre comme neige.
L’évolution rapide et incontrôlée de la situation depuis l’annonce surprise de la démission de Saad Hariri à Riyad dénote à la fois une cécité politique criante chez les dirigeants saoudiens et une folle ruée pour soutirer les milliards thésaurisés par des hommes d’affaires et des émirs en disgrâce. On parle de plus de 300 milliards de dollars gelés à ce jour. Il se trouve que la famille Hariri, qui gère une société de bâtiment en voie de banqueroute, a toujours travaillé sous tutelle des Al-Fahd, puis des Al-Abdallah, aujourd’hui presque tous assignés à résidence surveillée, dans la foulée des arrestations. Dans cette histoire, Hariri est plutôt perçu comme un homme d’affaires que comme un dirigeant politique d’un pays qui s’appelle le Liban. Du coup, ils ont sous-estimé la réaction des Libanais et, a fortiori, des partisans sunnites du Premier ministre qui réclament à tue-tête le retour de leur leader.
Dans ses déclarations, Emmanuel Macron se dit soucieux de la «stabilité» du Liban, reconnaissant au passage que la séquestration de Hariri en Arabie Saoudite pour une plus longue durée allait provoquer l’embrasement. Or, vue du Liban, une telle initiative ne pourra qu’exacerber la crise et creuser davantage le fossé entre les différents clans qui gouvernent ce pays, en ce sens qu’une absence prolongée et, surtout, inexpliquée du Premier ministre va replonger le pays dans le vide politique.
Le Liban a mis deux ans et demi pour élire un nouveau président de la République. C’est pourquoi les Français vont devoir faire face, seuls, à la colère des Libanais.
R. M.
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