Quand Yasmina Khadra exprimait sa colère sur la situation en Algérie
Par Houari Achouri – De l’étranger et en langue espagnole, à partir d’une tribune sur le quotidien El Pais, dont Algériepatriotique avait pris connaissance dans sa traduction en français, l’écrivain Yasmina Khadra nous avait livré une longue lamentation sur son pays qui souffre (elle date du 1er juin dernier). Mohamed Moulessehoul (le vrai nom de l’écrivain) compare, en quelque sorte, l’Algérie, faute d’autres repères «locaux», qui ne manquent pourtant pas, à un «monastère triste et désœuvré», et comme un monastère n’existe pas sans ses clochers, il les trouve «en berne. Fêlés, misérables et laids».
Bien sûr, cette image ne se rapporte pas à l’Algérie «naturelle», sinon un autre grand des médias, le Français Yann Arthus-Bertrand, n’aurait jamais été subjugué par sa beauté. La métaphore utilisée par l’écrivain algérien irait très bien, à quelques rares exceptions près, à l’exercice du pouvoir, dominé çà et là, en Algérie, par la médiocrité. Est-ce ce qu’il voulait signifier ? Sur ce point, il est difficile de trouver à redire et ses compatriotes en Algérie en savent peut-être bien plus que Yasmina Khadra.
A différents niveaux, la médiocrité continue d’imposer ses lubies et ses idées débiles à la société toute entière, refusant le débat démocratique et marginalisant l’élite pour la pousser au repli sur soi, en exil ou chez soi, afin qu’elle ne menace pas ses positions.
Son habitude d’écrire des fictions a certainement amené Yasmina Khadra à déformer aussi grossièrement l’image de l’Algérie, en exagérant, peut-être sciemment, les défauts, et en occultant malheureusement le côté positif incarné par la nouvelle génération qui n’est pas faite que de candidats à l’émigration ou de réserve du terrorisme, sous-estimant à tort ce qu’elle comprend aussi comme jeune élite qui a conquis sa place, ici, dans le pays réel.
Le problème avec nos intellectuels et personnalités politiques qui émettent des critiques parfois tout à fait justes à l’endroit du pouvoir, c’est qu’ils ont tous un talon d’Achille qui les décrédibilise ; celui de Yasmina Khadra a encore sa trace tout fraîche et indélébile à jamais, au Centre culturel algérien à Paris. Il n’a pas craché sur ce poste quand le pouvoir le lui a offert. A un moment ou à un autre, quelque part dans les rouages du pouvoir ou ses dépendances, mais suffisamment sous la lumière pour être vu par tous, «ils» ont fait partie du système, motivés toujours par de bonnes raisons, les mêmes qui les conduisent à l’attaquer maintenant qu’il les a éjectés d’une façon ou d’une autre, et mis sur la touche.
Yasmina Khadra, qui a découvert que «le système doit disparaître», se demande «où donner de la tête». Il semble ignorer qu’en attendant que la médiocrité s’efface devant le mérite, les jeunes, qui ne pensent ni à l’émigration ni à Daech, et ils sont l’écrasante majorité en Algérie, ne restent pas les bras croisés. Ils ont l’avantage de ne pas connaître l’aigreur que les anciens du système ruminent contre lui. Ces jeunes, on peut les rencontrer dans n’importe quelle ville en Algérie, sans avoir à se déplacer ailleurs. Ils ont encore de l’enthousiasme et savent ce que Yasmina Khadra ne sait pas : que faire, et ils le font, avec persévérance et sans désespoir.
Yasmina Khadra est un écrivain apprécié par un grand nombre de lecteurs algériens. En politique, il réussit moins. Il a voulu être candidat à l’élection présidentielle de 2014, mais il a compris qu’«on ne peut aller contre la volonté d’un peuple» et a abandonné cette idée. Partie remise peut-être pour 2019 ?
H. A.
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