Une contribution de Youcef Benzatat – Yasmina Khadra perd sa littérature
Par Youcef Benzatat – Après avoir ramené à une querelle de «chiffonniers» le débat intellectuel initié par Rachid Boudjedra dans son pamphlet «Les contrebandiers de l’histoire», qui traite de l’histoire et de la littérature, Yasmina Khadra récidive, en publiant une déclaration sur sa page Facebook dans laquelle il s’attaque cette fois-ci à des sites électroniques et nommément au site en ligne Algeriepatriotique dans les mêmes termes, le même langage de «chiffonniers», hargneux, aigri et ostentatoirement grisé par ses succès commerciaux outre-continent.
Algeriepatriotique avait, en effet, traité cette affaire de «contrebandiers de l’histoire» avec tout le professionnalisme qui sied à un média soucieux de contribuer au débat sur la sortie de crise et le devenir de l’Algérie, de sa culture, de son identité, de son économie et de sa souveraineté. Une réflexion approfondie a été déployée autour de ce «non-débat» sur ses colonnes, et que les lecteurs de ce média avaient animés avec un grand intérêt et bonheur. Hélas ! Yasmina Khadra, refusant à apporter la moindre contribution à ce débat, du fait d’être coincé entre les lignes de partage définies par ses mécènes faussaires, ces pourvoyeurs de faiseurs d’opinion, ces soldats de l’apocalypse, avides de perfidie contre les peuples et les nations émergentes de la barbarie de la nuit coloniale ou de celle qui l’a suivie, n’avait d’autre argument à proposer que l’égrènement de ses succès commerciaux, bâtis pour l’essentiel sur les sentiers de la contrebande de l’histoire.
Dans sa déclaration du 20 novembre, il affirme : «J’ai toujours défendu le peuple algérien, non par chauvinisme, mais par conviction. Je sais combien il a souffert, combien on l’a avili, et je sais surtout qu’il est capable de recouvrer son lustre d’antan. C’est la raison pour laquelle je continue de le magnifier malgré les déconvenues qui ont pavé son chemin de croix.» L’amour de son peuple et le sentiment compassionnel que l’on éprouve pour lui consistent a priori à s’imprégner de la lumière qui rayonne de son humanité et son désir de liberté. L’amour ne se décrète pas, il se démontre, se prouve et s’éprouve.
Le style c’est l’homme, s’accordent à dire les théoriciens de l’art. Celui-ci porte l’œuvre comme un fardeau au bout de la plume. Un regard critique sur son œuvre peut nous renseigner sur l’amour que porte Khadra à son peuple !
Le commissaire Llob – Laïb pour les intimes ! – nous embarque dans un thriller en pure style à la Yasmina Khadra, dans une mise en scène où le commissaire Llob traque, à la Eliot Ness, une bourgeoisie fantasmée, compradore, mafieuse et pourvoyeuse du terrorisme islamiste de plus, qui complote dans l’ombre contre l’Algérie et que le flic intègre, chargé de la débusquer, élimine un à un ses membres. Ses personnages sans aura et dépourvus d’incarnation se détachent du décor comme l’est le signifiant flottant qu’ils semblent squatter et qu’incarne le commissaire Llob dans une posture magnifiée d’ordre et de morale. C’est dire que la corruption et le terrorisme seraient le fait d’individus isolés de toute institution et de toute manipulation à l’échelle régionale et internationale et certainement sans rapport avec les démons qui rongent la société. En un mot, c’est mentir à son peuple et faire de la contrebande de l’histoire que de défendre une telle version des faits historiques, qui ont fait basculer le destin de ce peuple entre les mains d’immoraux spoliateurs et de violents barbares et dont l’impact sur la mémoire collective est sans précédent. Le style Khadra on le retrouve plus accompli encore dans l’autre thriller non avoué, à savoir Ce que le jour doit à la nuit.
Une mise en scène à la hauteur des honneurs devant lesquels il a été désigné à la tête du Centre culturel algérien à Paris, qui n’a de culturel que le nom. C’est dire là aussi que le système de pouvoir liberticide et corrompu, qui s’est emparé de la souveraineté du peuple algérien depuis son accès à l’indépendance, sait comment neutraliser ses sujets, on se jouant de leur cupidité, de leur prédisposition à la corruption, qu’ils soient des politiques ou des intellectuels. Accepter une telle proposition, relève de la compromission. C’est trahir ses convictions et surtout tourner le dos à la responsabilité morale que le statut d’intellectuel confère. En un mot : c’est trahir son peuple que de collaborer avec son spoliateur. Et ce n’est peut-pas être la meilleure façon d’aimer son peuple comme on aime l’humanité entière.
Ecrire de la littérature, c’est d’abord assumer son style, qui transparaît dans toute forme d’expression, aussi bien verbale qu’écrite, y compris dans les gestes et faits quotidiens de la vie. S’attaquer à un média dans des termes odieux, pour avoir manifesté son argument critique sur un travail littéraire, et sans apporter d’arguments contradictoires pouvant faire honneur à son engagement dans la critique littéraire – même si le prétexte avancé, celui de la confusion des dates autour de propos qu’il aurait ou non prononcés dans le journal El Païs, qui est à l’origine de sa manifestation bruyante –, c’est dévoiler son véritable style, non pas celui que l’on force pour les besoins de la fiction, mais plutôt celui qui incarne l’auteur, l’homme. Ce qu’il est réellement et le véritable Amour qu’il porte à son peuple. Autrement dit, Monsieur Yasmina Khadra s’est manifesté de façon tellement bruyante qu’il a perdu le chant de sa littérature dans la précipitation.
Y. B.
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