Macron en Algérie ou la défaite du panafricanisme de Boumediène
Par Dr Arab Kennouche – La récente visite du chef de l’Etat français en Algérie a laissé comme un arrière-goût de déjà vu dans les relations diplomatiques entre les deux nations : on feint la rupture avec le passé douloureux pour entamer une nouvelle ère de coopération bilatérale, sans affect, sans émotion et sans fausse compassion pour enfin établir un lien amical et sincère débouchant sur un éventail de contrats économiques. N’était-ce pas là le souhait des présidents Chirac et Bouteflika qui paraphèrent un véritable traité d’amitié entre les deux pays devant ouvrir la voie à un véritable Plan Marshall avec l’Algérie, mais sans véritables lendemains ?
Macron ne semble pourtant pas avoir touché d’un iota aux constantes de la politique algérienne de la France dont les autorités sont vigilantes à ne pas promouvoir au-delà des déclarations de bonnes intentions, un véritable partenariat économique en Algérie, comme la France a su si bien le faire avec ses partenaires européens –notamment allemand, britannique et italien dans le cadre de l’Union européenne – et de ses grands projets aéronautiques de l’Airbus, pour prendre un exemple édifiant. Mais les contextes géopolitiques sont différents et les charges émotionnelles bien plus prégnantes.
Se souvenir ou oublier et avancer
Tout d’abord, il existe une divergence de fond dans l’approche de la collaboration économique avec cette puissance industrielle et ancienne colonisatrice que fut la France et qui tient essentiellement à la fameuse question mémorielle des crimes commis en Algérie. Pour l’Algérie, il ne saurait être question de partenariat sans une remise à plat de la question des victimes de la Guerre d’Algérie et de toute la période de la colonisation, non pas par principe idéologique, ou pétition de principe, mais pour des raisons pragmatiques, et finalement très conjoncturelles, visant à décharger de sa pesanteur émotionnelle l’ensemble des relations politiques et économiques à venir avec la France.
La position algérienne demeure cohérente et logique au sens où les autorités ne désirent pas rejouer un pan tragique de son histoire nationale en accusant la France sans obtenir l’effet cathartique d’un pardon officiel qu’elles percevraient comme bénéfique aux deux nations au plan économique. On pourrait définir cette posture comme un couplage pragmatico-émotionnel. La France elle, conçoit le problème autrement en arguant que le passé est mort et révolu et que l’argument du deuil ou de la souffrance non évacuée n’est pas logiquement recevable pour créer un climat d’affaires général entre les deux pays.
C’est le sens des déclarations successives du président Macron avant et après son arrivée en Algérie, largement soutenues par une conception nouvelle du rapport à la souffrance des générations passées, qui sont pour ainsi dire déjà en retrait du macronisme politique et économique à venir. La France – et Macron en tête –considère en effet qu’un tel devoir de mémoire est une entreprise de long terme aux résultats incertains, qui tiennent plus de l’émotionnel historique sur lequel on a en fait aucune prise que d’une démarche véritablement pragmatique comme le soutient la partie algérienne.
Autrement dit, il appartient à l’histoire sacrée de faire par elle-même son travail de mémoire et d’apaisement des passions, plus qu’aux appareils étatiques des deux nations, qui de toute façon n’ont aucune emprise sur l’intégralité de la psychologie collective des nations.
Pour Macron, l’étape de la repentance n’est pas nécessaire et reste illusoire pour regarder la réalité économique et politique d’aujourd’hui en face, favoriser les entreprises françaises sur le marché algérien et vice versa. L’économique l’emporte sur l’émotionnel idéologique. C’est un point de vue défendable si l’on considère comment la France a su transcender ses inimitiés héréditaires germanique et britannique sans devoir de mémoire, et qui aujourd’hui, collabore pleinement dans le développement économique de l’espace européen.
Réalisme et néo-panafricanisme ?
Mais si Macron peine encore à se soumettre à un repentir national, c’est plus pour des raisons de politique interne qui échappent souvent à l’opinion publique algérienne : il existe encore aujourd’hui dans l’Hexagone de nombreux électeurs, de droite comme de gauche, qui ne reconnaissent pas l’indépendance de l’Algérie dans leur cœur et que l’on peut regrouper en trois types d’électorat : celui des harkis, celui des anciens combattants de l’armée française, et enfin celui des pieds-noirs. Il faut ajouter à ces sous-électorats un ensemble de formations politiques ouvertement hostiles à l’Algérie indépendante comme le Front national, ou bien au mieux, nostalgiques de l’Algérie française.
Ce véritable front anti-algérien ne connaît pas de frontières sociologique et partisane définies et demeure hautement stratégique à chaque fois que le corps électoral est convoqué en France : Macron n’invente donc rien en ménageant grandement ce cataplasme, allant jusqu’à créer comme un second front en Algérie en invitant officiellement des intellectuels algériens en froid avec le «régime d’Alger». Le président de la République française ne fait pas donc ce qu’il entend concernant les affaires algériennes car il existe un ensemble de facteurs sociologiques incontournables et incidents sur l’exercice du pouvoir politique de la Ve République tels que toute concession mémorielle favoriserait l’expression d’un nationalisme exacerbé en France.
Dans la balance entre ménager l’électorat musulman et celui de la droite française lato sensu, aucun président français ne commettrait, en termes électoralistes, l’erreur d’une remise en cause de la grandeur de l’empire français, fut-ce sur les cadavres de millions d’innocents.
On peut donc s’étonner une fois de plus qu’Alger, comme nombre de capitales africaines, puisse se rendre coupable en exigeant l’impossible de la part de Paris. Car il est évident que Macron, dans le sillage de la politique sarkozienne de l’Afrique – souvenons-nous du discours de Dakar de l’ancien président ! – prétend à une reconquête économique et politique qui ne se fasse pas en vue d’un partenariat gagnant/gagnant mais selon un modèle idéologique hérité de l’empire : c’est en termes d’espace économique vital, de zone d’influence, de préservation des intérêts vitaux français dans l’ancienne AOF qu’il faut comprendre la nouvelle politique africaine de Paris. Celle-ci semble décrire une rupture avec le passé lu comme décomplexé, que les nombreux exercices de rhétorique du président Macron appuient chaque jour, et selon un style qui vise finalement à dissimuler une continuité dans la manœuvre.
On peut donc légitimement se révolter qu’un pays comme l’Algérie, qui a beaucoup plaidé pour un nouvel ordre économique international, verse dans la complainte et la compassion mémorielles alors que le spectacle affligeant des amis attitrés de la France, embourbés dans le sous-développement et la déliquescence étatique –comme le Tchad, le Niger et le Mali pour n’en citer que quelques-uns – n’ont jamais obtenu pour leur peuple les bienfaits qu’ils attendaient de l’amitié française.
Ainsi, la visite de Macron en Afrique de l’Ouest puis en Algérie représente bel et bien une défaite du panafricanisme des Nkrumah, Nyerere, Sankara, Boumediène et autres. N’ayant su proposer une vision alternative des relations euro-africaines qui fasse la part des choses entre volontarisme économique et émancipation politique, l’Algérie aussi, par la présidence Bouteflika, a été incapable de repenser sa politique de voisinage tant au Sahel qu’au-delà du fleuve Niger, dans le cadre d’un néo-panafricanisme adapté à la mondialisation, désormais vital pour toutes les nations du continent.
A. K.
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