Le non-dit du conflit identitaire
Par Youcef Benzatat – Depuis l’indépendance, voire depuis la crise identitaire qui a ébranlé le mouvement national à la veille du déclenchement de la guerre de libération nationale, la question identitaire a toujours été abordée en termes de conflit et jamais sous forme de débat pragmatique en vue de construire un cadre identitaire dans lequel tout Algérien et toute Algérienne se sentent représentés et sans que personne ne s’estime exclu ou marginalisé.
A l’autoritaire et démagogique expression «nous sommes arabes, nous sommes arabes, nous sommes arabes», prononcée de manière provocatrice et arrogante par le premier président Ahmed Ben Bella au tournant de l’indépendance nationale, répond, par une négation de la réalité identitaire en une volonté de repli sur soi et de ghettoïsation ethnique, toute une région par une obsession «nous ne sommes pas arabes, nous sommes amazighes».
Plus d’un demi-siècle est passé et nous sommes toujours à la case départ. Ce qui devait être un débat apaisé et responsable pour sortir de cette impasse, c’est transformé en un conflit permanent. Instrumentalisé par les uns et les autres à des fins politiques, provoquant une scission au sein de la population à la limite de l’irréversible avec une surenchère de violence destructrice et meurtrière.
Au «printemps berbère» et son lot de morts, qui inaugura une escalade d’un cycle sans fin de haine et de division au sein de la population, suivra l’hiver islamiste et ses milliers de morts et de destruction, scellant profondément le sentiment de la différence et de la haine entre les deux antagonistes : Amazighes contre Arabo-islamistes. Chacun revendiquant la justesse et la légitimité de son point de vue et rejetant radicalement celle de l’autre, sans jamais avoir osé ouvrir un débat pragmatique pour essayer de réconcilier les deux versions de l’identité, pourtant commune.
Les conséquences de cette impasse ont débouché sur une conception de l’identité sous une forme bipolaire, de sorte que si vous n’êtes pas avec les uns, vous êtes forcément avec les autres. Désormais, deux choix s’imposent à la population : être amazigh ou arabo-islamiste. Toute autre possibilité est niée et ignorée volontairement. A savoir que, l’adjectif islamiste ne peut se concevoir se conjuguant avec l’amazighité, ni celui de laïc ou athée avec l’arabité.
Au «printemps noir», avec sa dérive séparatiste, s’opposa la légitimation institutionnelle de la violence identitaire de l’autre partie, sous couvert d’une réconciliation nationale démagogique. Le champ politique et médiatique suivra la même logique, ce qui était embryonnaire et non avoué est devenu une réalité assumée au grand jour. On assiste alors à la formation de deux blocs médiatico-politiques, constitués par des partis politiques et des médias s’identifiant et militant pour l’une ou l’autre cause. Ce que devait être un débat identitaire, s’est mué en un conflit idéologique et identitaire structurel bipolaire, de sorte que si vous ne participer pas de l’un ni de l’autre, vous êtes considéré hostile par les uns et les autres.
Ce refus évident du débat pragmatique par l’une et l’autre partie, en se réfugiant dans la radicalisation et l’extrémisme, par l’entretien et la surenchère du conflit autour de la question identitaire, dissimule en réalité la crainte de voir la réfutation argumentée de leur revendication.
C’est pour cette raison que le débat pragmatique autour de la question identitaire est le lieu privilégié de sortie de cette impasse et de cette crise structurelle qui empêche la société algérienne d’émerger et d’édifier un Etat démocratique et moderne. Ce débat tant espéré aura la vertu de lever le voile sur un non-dit essentiel du conflit, qu’illustre le parler populaire national, la derja, le métissage millénaire de la population et le caractère transculturel de la culture, refoulé aussi bien par les uns et les autres et que la population dans sa majorité consomme inconsciemment et sourdement.
Y. B.
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