L’Algérie sera-t-elle touchée par les émeutes du pain dans les pays voisins ?
Par R. Mahmoudi – Les manifestations contre la cherté de la vie engendrée par la hausse des prix introduite par la loi de finances 2018 se sont étendues, en deux jours, à plusieurs régions du pays dont Kasserine, Sidi Bouzid, Tunis et Sakiet Sidi Youssef et ont donné lieu à des affrontements entre les forces de l’ordre et les protestataires.
La situation s’est nettement dégradée en Tunisie où les troubles qui se sont produits simultanément dans plusieurs villes du pays ont déjà fait un mort, dans la soirée de lundi, à Tébourba, du gouvernorat de la Manouba. L’information sur la mort de ce manifestant a rapidement circulé sur les réseaux sociaux, bien que le ministère de l’Intérieur ait démenti, dans un communiqué diffusé dans la nuit de lundi à mardi, en niant toute trace de violence ou blessure sur la victime.
Si les autorités tunisiennes sont habituées, depuis quelques années, à des contestations sociales de cette nature, la situation risque cette fois-ci d’échapper à leur contrôle et de se transformer, comme en Iran, en mouvement de désobéissance civile. Anticipant une aggravation de la situation, l’armée est vite intervenue pour protéger les édifices publics, comme il y a quelques mois, dans la région de Tatouine, lorsque, face à la gronde sociale, le chef de l’Etat a ordonné à l’armée de sécuriser les sites de production.
Plus qu’une simple explosion sociale, ces nouveaux troubles en Tunisie font écho à une vague de soulèvements qui traversent depuis quelques semaines de vastes contrées du monde arabe et musulman. De l’Iran au Maroc, en passant par la Jordanie et l’Arabie Saoudite, les augmentations de prix et d’un large éventail de produits de consommation, induites par les politiques d’austérité sévères appliquées par les gouvernements de ces pays à partir de l’année 2018, sont à l’origine de la plus violente gronde sociale qu’aient connue ces pays depuis longtemps.
On a vu comment en Iran des contestations qui avaient commencé avec des slogans dénonçant la cherté de la vie et la hausse des taxes ont très rapidement dégénéré pour se transformer en mouvement de dissidence contre la politique du pouvoir et ont fait vaciller l’autorité du président Rohani et celle du clergé, réputées pourtant très stables.
Cette vague de contestation de la faim s’est étendue au cours de la même semaine dans d’autres pays de la région. En Arabie Saoudite, premier producteur mondial de pétrole, seule une répression féroce du régime empêche pour l’instant les citoyens saoudiens de sortir dans la rue. Selon les informations parvenant de ce pays, distillés sur les réseaux sociaux, une large frange de la population est à bout de nerfs à cause de l’augmentation jamais connue du prix du carburant et l’érosion du pouvoir d’achat des ménages. L’exacerbation de la crie politique dans ce pays, après les grandes purges opérées par le prince héritier, fait planer le spectre d’une révolte populaire dans ce pays.
En Jordanie, royaume vivant des aides des pays du Golfe et des Etats-Unis, c’est la révolte du pain depuis deux jours. Les citoyens protestent contre la hausse du prix du pain due à la levée des subventions de l’Etat sur certains produits. De son côté, le gouvernement se plaint des fortes charges que représenterait pour lui la présence de quelques millions de réfugiés syriens et irakiens sur le sol jordanien. Donc, le lien à la situation politique est ici aussi établi.
Au Soudan, un étudiant est mort, dimanche, dans des manifestations de protestation contre la hausse du prix du pain à Khartoum. Pour tenter d’empêcher une propagation des émeutes dans le pays, les autorités ont procédé à l’arrestation d’un dirigeant de l’opposition et la fermeture de plusieurs journaux.
Plus près de nous, le Maroc semble s’installer dans une zone de turbulence dont le pouvoir monarchique ne sortira pas indemne. Croyant pouvoir gérer les contestations par des promesses et des ukases, le roi Mohammed VI voit son trône de plus en plus menacé. Car, au rythme où va ce mouvement, la population marocaine, qui souffre à la fois d’injustice et de misère, finira par revendiquer un changement de système.
A des degrés différents, l’Algérie n’est pas épargnée par cette onde de choc qui traverse les pays de la région. L’ébullition que connait depuis quelques jours le front social, avec le déclenchement de grèves dans de nombreux secteurs (santé, éducation…) et une colère citoyenne qui couve depuis l’annonce des nouvelles mesures antisociales que contient la loi de finances 2018 sont des signaux très forts que le gouvernement doit prendre très au sérieux. Or, avec un Exécutif aussi instable, à cause de cette guerre intestine qui refait surface et qui accentue les divisions, il y a lieu de craindre le pire.
R. M.
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